La porte principale s'ouvrit et un flot d'enfants se déversa dans la cour. Certains couraient, trop heureux de cette fin de journée, et d'autres avançaient au pas avec le sourire aux lèvres. Michaela faisait partie de ces derniers. Elle avançait tout en discutant joyeusement avec ses amis jusqu'à ce qu'elle aperçoive le visage bienveillant de son père derrière les grilles de l'école. Elle pressa le pas, impatiente de le retrouver.
- Tu as passé une bonne journée chérie? lui demanda-t-il lorsqu'elle le rejoignit.
Il lui pris son sac à dos et le passa sur son épaule pour soulager sa fille du poids de ses affaires.
- Oui! Tu ne travailles pas aujourd'hui?
- Je suis sortit plus tôt, ta mère dîne avec ta tante ce soir. Alors toi et moi, on sera rien qu'en tête à tête! Tu penses supporter ton vieux père?La petite, qui avait fêté ses dix années quelques jours plus tôt, se mit à rire et lui prit la main alors qu'ils prenaient la direction de leur domicile. Lorsqu'elle était avec son père, elle n'était pas effrayée par la rue. Ayant grandi dans le Bronx, la petite savait combien les rues de leur quartier pouvaient être dangereuses. La criminalité y était présente et les journaux ne cessaient de faire part des derniers faits divers. Pourtant, parmi ces guerres de pouvoirs, Michaela savait qu'elle n'avait rien à craindre car son père la protégeait.
Joseph Clade gérait depuis plusieurs années un centre de sports de combats où se réunissaient jeunes et adultes pour se défouler après de dures journées. Gérant d'une main de fer l'endroit, le père de Michaela avait toujours fait savoir que les querelles étaient interdites au sein du club. Chaque membre savait qu'une exclusion était vite arrivée à la moindre provocation. Le centre étant un des rares endroits où chacun se sentait protégé, il était la plupart du temps à l'abris des guerres qui se déroulaient dans les rues. Ainsi, Joseph était respecté dans le quartier pour ce qu'il apportait à la communauté. Par le simple fait de combattre les guerres de rues en offrant à tous un endroit où se défouler, il permettait à certains de retrouver la bonne voie.
Lorsqu'ils arrivèrent à leur domicile, un homme et un adolescent se tenaient devant. Tous deux se redressèrent lorsqu'ils aperçurent le père et la fille.
- Joseph, on vient te remercier pour ce que tu as fait. Pour avoir aider Marlon avant qu'il ne fasse quelque chose qu'il aurait regretté. dit l'homme tout en lançant un regard sévère à son fils qui avait les yeux sur le sol.
Sous le regard inquisiteur de son père, le garçon leva finalement les yeux et croisa le regard de Joseph Clade.
- Oui... Merci.Cela n'avait été que deux mots mais on sentait la sincérité dans sa voix. Une sincérité mêlait à de la honte pour l'acte qu'il avait failli commettre. Sur ce, l'homme reprit la parole.
- Est-ce que tu accepterais que mon fils revienne s’entraîner au centre?Après quelques secondes de silence, Joseph lâcha la main de sa fille qui observait toute la scène timidement. Il approcha le jeune homme qu'il imposait de toute sa hauteur. Il avait adopté ce regard dur et implacable qu'on lui connaissait et qui impressionnait chacun. A chaque fois que Michaela le voyait agir en coach, elle se sentait toute petite. Comment vouloir décevoir un tel regard?
- C'est la dernière fois que tu me déçois, tu m'as compris? Tu n'auras pas d'autre chance. Respecte ton entourage, avance dans la vie et le centre te sera toujours grand ouvert.Le garçon hocha timidement de la tête, visiblement soulagé de s'être vu accorder une nouvelle chance de faire ses preuves. Joseph arrêta toute tentative d'intimidation en souriant sincèrement. Il donna une tape amicale sur le bras du garçon avant de reprendre la main de sa fille et de saluer les deux hommes.
Son père faisait le bien dans le quartier et Michaela ne pouvait en être plus heureuse. Elle n'avait que dix ans mais elle comprenait tout le bien qu'il apportait dans un quartier où il était facile de céder à la tentation de la criminalité que ce soit pour sortir de la pauvreté ou pour se faire une réputation. Tous deux ignoraient alors que leur vie ne serait plus jamais la même.
Cela avait commencé avec de l'inquiétude sur le visage de son père qui n'avait eu de cesse d'observer l'horloge murale de la soirée. Puis cela avait été sa voix basse mais paniquée qu'elle avait entendu à travers les murs de sa chambre alors qu'elle était censé dormir. Finalement, son père était entré dans la pièce et l'avait prise dans ses bras avant de sonner à la porte de la voisine. Il avait confié à cette dernière la petite en expliquant qu'il avait quelque chose d'important à faire et qu'il ne serait pas long. Qu'il n'y avait pas à s'inquiéter. Michaela avait été contente de dormir dans la même chambre qu'une de ses amies d'école. C'était comme une pyjama partie en plein milieu de semaine. Mais cela n'avait rien eu d'amusant. En effet, au milieu de la nuit, elle avait été réveillée par son père et plusieurs policiers.
Silencieuse, elle avait observé les policiers toute intimidée, se demandant ce qui arrivait. Effrayée par la situation, elle avait osé prononcer une demande :
- Où est ma maman? Je veux ma maman.L'un des hommes en uniforme arbora une triste mine mêlée à de la pitié. Après avoir pris une grande inspiration, il s'était agenouillé près de la fillette.
- Petite, ta maman est partie au ciel.Michaela avait alors pris conscience de son père, écrouler sur le sol, le visage inondé de larmes. L'homme fort qu'elle connaissait semblait plus abattu que jamais.
* * *
- Plus fort... C'est tout ce que tu peux faire?! ... Lève tes bras et plante tes pieds! ... Tu m'écoutes ou pas?! Michaela stoppa tout mouvement et lança un regard glacial à son père.
- J'en ai marre! J'ai des courbatures et des bleus partout! Ça fait des heures qu'on est ici et il est 23h! J'ai des devoirs à faire pour demain! protesta-t-elle le corps en sueur.
Elle n'était plus la fillette qu'elle était encore il y a trois ans. A présent, elle entrait dans l'adolescence. Si son père l'impressionnait toujours autant, encore plus maintenant qu'il n'avait plus rien de l'homme bienveillant qu'il avait été un jour, elle osait parfois lever la voix quand elle était exténuée.
- Tu n'es pas essoufflée et tu ne m'as pas l'air d'être fatiguée. Cela veut donc dire que tu n'en fais pas assez! Alors on continuera tant que je l'aurais décidé! hurla-t-il à son tour en faisant sursauter sa fille. Reprend ta position, maintenant.
Retenant des larmes de rage, Michaela reprit sa position et attaqua son père qui évita le coup une nouvelle fois. Elle ne semblait peut-être pas fatiguée physiquement mais elle l'était moralement. Elle était dans le centre de combat depuis sa sortie d'école et son père l'avait entraînée sans relâche comme il en avait l'habitude. Il ne semblait plus se soucier qu'elle aille loin dans les études. Tout ce qui lui importait à présent était qu'elle sache se défendre.
Après quelques minutes de combat, elle réussit à se défaire de l'emprise de son père et le mit au sol grâce à une des multiples prises qu'il lui avait appris. Il lui enseignait le plus de sports de combat possible, bien plus encore qu'aux élèves qui payaient pour son enseignement. Elle pouvait très certainement en mettre plusieurs à terre mais cela ne semblait jamais suffire aux yeux de Joseph. Alors il s'acharnait toujours plus.
C'était probablement une des raisons qui empêchaient Michaela de dormir. Cela faisait des jours et des jours qu'elle n'avait dormi que quelques heures par nuit, si ce n'était pas du tout. Son corps aurait du la lâcher depuis mais il semblait qu'elle soit plus résistante qu'elle ne le pensait. Aussi, il n'y avait pas seulement le sommeil qui lui manquait mais la faim également. C'est à peine si elle mangeait et son corps ne semblait réclamer aucune nourriture pourtant. Cela l'inquiétait. Son père la surmenait et ce devait être la source de tous ces problèmes de santé. Elle devrait aller voir un médecin.
- Encore.
- Non! protesta-t-elle à nouveau.
Mes études ne t'importent peut-être plus mais elles sont importantes pour moi alors il est temps que j'aille faire mes devoirs!
- Tu n'iras nulle part et tu vas m'obéir. On continuera jusqu'à ce que tu sois fatiguée. Tu veux qu'il t'arrive la même chose qu'à ta mère, c'est ça?! Mourir dans la rue, toute seule! Parce que tu n'auras pas su te défendre?!La rage emporta Michaela une nouvelle fois. Ces coups furent de plus en plus forts mais son père connaissait toutes ses techniques, puisqu'il les lui avait apprises. Elle ne cessa de frapper plus fort cependant et, intérieurement, pria pour que son père, lui, soit emportée par sa propre faim et son désir de sommeil. C'est alors qu'il sembla distrait et elle l'envoya au sol une nouvelle fois. Allongé sur le tapis, il se tenait le ventre et ses yeux se mirent à papillonner avant de se fermer. Michaela observa la scène sans comprendre et prit soudain peur. Elle s'agenouilla près de lui et le secoua violemment.
- Papa!Celui-ci ouvrit les yeux et son regard sembla perdu pendant quelques secondes. Il se redressa et observa alors sa fille. Ce qui lui était arrivé n'était pas normal.
- Je ne me suis pas évanoui. Je me suis endormi...Michaela observa son père sans comprendre. Elle n'avait pas conscience alors de ce qu'elle pouvait faire au delà de ses aptitudes sportives. Quant à Joseph, lui, il avait déjà compris.
* * *
- Michaela... Est-ce que ton père est violent avec toi? L'adolescente garda le silence et son regard évitait toujours de croiser ceux de son professeur et de l'assistante sociale qui lui parlait toujours avec ce ton mielleux qui l'agaçait. Elle n'avait qu'une hâte, sortir de ce bureau où on l'avait convoqué. Elle avait bien essayé d'échapper à son professeur de littérature mais celui-ci l'avait empêché de sortir de la classe pour s'assurer qu'elle se rendait bien à son rendez-vous.
Bien qu'elle avait essayé de se montrer discrète en recouvrant la plus grande partie de son corps avec ses vêtements, quelques bleus s'étaient dévoilés aux yeux des autres au fil du temps. Et cette semaine là, elle avait arboré un œil au beurre noir qui lui avait été impossible de cacher, même avec du maquillage. Il faut dire qu'avec ses entraînements intensifs, elle n'avait jamais eu le temps d'apprendre quelque chose d'aussi futile que le maquillage. Elle n'avait pas le temps d'être une adolescente.
- Michaela, essaya à son tour son professeur.
On veut simplement t'aider. Mais on ne pourra pas y arriver si tu ne nous parles pas.
- Et si je veux pas? répondit-elle nonchalamment.
- Nous savons ce qui est arrivé à ta mère et nous comprenons que tu ne veuilles pas perdre ton père mais...
- Mais rien, vous ne savez absolument rien. coupa la jeune femme en se levant de sa chaise et se dirigeant vers la porte.
- Michaela, on devra forcément en parler au principal...Elle savait ce que cela signifiait. L'appel des services sociaux. De tous les collèges et lycées des USA, il avait fallu qu'elle tombe sur un des 10% qui se souciaient réellement de leurs élèves. Elle aurait préféré qu'ils la laissent tranquille.
Elle sortit du bureau et claqua la porte. Elle s'avança dans le couloir bondé d'élèves en lançant un regard assassin à tous ceux qui osaient la regardaient. A présent, elle était seule dans cette école. Elle n'avait plus d'amis puisqu'elle n'avait plus de temps à leur consacrer. Mais comme le pensait probablement son père, à quoi bon avoir des amis si c'était pour ne pas savoir se défendre en cas d'agression? Pfff, sa logique la tuerait un jour. Elle aurait aimé être une adolescente comme les autres. Mais elle ne l'était pas.
Elle rejoignit son casier et prépara ses affaires pour le prochain cours.
- Regardez qui voila, entendit-elle dire une voix qu'elle reconnut.
Après avoir tranquillement terminer son sac, elle se retourna et son regard croisa celui d'un garçon de son âge qui, lui aussi, arborait un œil au beurre noir. Celui-ci, c'est elle qui l'avait infligé.
- Ça va ton œil? le provoqua-t-elle.
Il était entouré de ses amis. Amis qui avait assisté à la raclée qu'elle avait mis à leur chef quand celui-ci l'avait provoqué dans la rue. Aucun n'avait eu le courage de s'interposer face à la violence dont elle avait fait preuve.
- Ça va. Mais mon père a pas trop aimé apprendre que c'était une fille qui me l'avait fait.
- J'y peux rien si tu sais pas te défendre.Des élèves commençaient à se rassembler autour d'eux. Avec tous les problèmes qu'elle s'était attiré, il ne fallait surtout pas qu'elle cède à la violence. Cela n'arrangerait en rien son cas.
- Je vais te le faire regretter.Un sourire amusé s'invita sur le visage de Michaela sans qu'elle ne puisse le contenir.
- Toi? Et comment tu vas faire?
- Approche et tu verras.Ainsi était son plan. La provoquer et l'humilier en pleine école sachant qu'elle ne pourrait se défendre sous peine d'expulsion. Elle soupira et leva les yeux aux ciels avant de s'éloigner.
- Alors? Tu te dégonfles? Tu sais pas te défendre? Remarque, tu tiens ça de ta pauvre mère.Michaela se figea quelques secondes sous les rires des élèves autour d'eux.
- J'espère que ça a été long et douloureux. Il devait il y avoir beaucoup de sang, non?Elle ne put se retenir, en un revers de pied elle l'avait mis au sol sous les exclamations de tous. Choqué par le coup, il tenta malgré tout de se relever et de se défendre pour sauver son honneur. Il attaqua en premier et elle para facilement.
- Je vais te faire rejoindre ta mère, sale pute. cracha-t-il.
Il savait se battre lui aussi, étant un membre du centre de sports de combat. Mais il n'avait pas eu autant d'adversaires qu'elle. Adversaires qui, pour la plupart, avaient été des adultes. Son père avait voulu s'assurer qu'elle sache combattre n'importe qui malgré ses jeunes années. Aussi, elle avait passé des nuits entières à s’entraîner sans relâche depuis la découverte de ses dons. Sa vie ne tournait plus qu'autour du combat et seulement le combat.
Il ne cessait de la provoquer, encore et encore. Et elle ne cessait de frapper, toujours plus fort. Lorsqu'il compara sa mère à une prostituée, ce fut la goutte qui fit déborder le vase. Michaela oublia tout ce qui les entourait et laissa surgir toute sa haine et sa rage. Elle lui cassa le bras sous les cris horrifiés des élèves. Lorsqu'il fut allongé sur le sol, elle le frappa au visage sans jamais s'arrêter. Ses mains étaient en sang mais elle n'arrêtait pas, aveuglée par sa haine. Elle frappait encore, encore et encore. Elle fut stoppé par son professeur de littérature qui lui avait sauté dessus pour l'éloigner du corps inerte. Sans difficultés, elle se libéra de son emprise et se releva. C'est alors qu'elle prit conscience de ce qu'elle avait fait. Son adversaire était-il mort? Non, mais il avait bien failli y passer.
Elle vit tous les regards horrifiés posaient sur elle, comme si elle était un monstre. C'est là qu'elle comprit. On allait l'arrêter si elle ne fuyait pas. Alors elle prit ses jambes à son cou et couru et sortit de l'établissement. Elle ne s'arrêta que lorsqu'elle fut chez elle et où son père la découvrit couverte du sang d'un autre.
- Il est temps pour nous de partir, déclara-t-il.
Quelques heures plus tard, la police découvrit le domicile des Clade vide. Jamais ils ne retrouvèrent les deux fugitifs.
* * *
Elle ignorait encore comment son père avait trouvé cet endroit. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'il avait depuis longtemps prévu leur exil. Avant même que ce dernier ne soit nécessaire.
Ils se trouvaient au beau milieu d'une forêt, dans une usine abandonnée. Lorsqu'ils y étaient entrés pour la première fois, Michaela avait remarqué que l'endroit avait été aménagé de sorte à ce que deux personnes puissent y vivre mais aussi pour devenir un vrai centre d'entrainement. Son père n'avait donc pas abandonné son obsession avec l'exercice et la défense.
Cela faisait plusieurs mois à présent qu'ils y vivaient et Michaela n'en pouvait plus. Elle était épuisée psychologiquement. Elle n'avait pas un instant à elle. N'ayant pas besoin de dormir, elle enchaînait entrainement après entrainement. Et ce même lorsque son père dormait. Elle aurait très bien pu se détendre la nuit mais elle avait bien remarqué les caméras installées partout dans le lieu. Si elle s'arrêtait ne serait-ce que dix minutes sans y être autorisée, son père le saurait et le lui ferait regretter.
Elle allait devenir folle si elle continuait comme ça. Elle se sentait de moins en moins humaine. A ne pas manger, boire dormir ou même respirer, elle avait l'impression de n'être devenu qu'un vulgaire robot de combat. Il fallait que tout cela prenne fin. Son père avait perdu la raison et elle devait faire quelque chose avant qu'il ne soit trop tard. Mais n'était-ce pas déjà trop tard?
Cette nuit-là, son père lui avait ordonné de travailler sur sa souplesse et les différentes figures gymnastiques qu'elle pouvait utiliser en combat. Bien sûr, elle devait faire attention à ne pas se blesser. Avec cet entrainement intensif, c'était vite arrivé et elle n'avait pas envie de passer ses journées une nouvelle fois à surmonter la colère de son père et ses divers cours. En effet, son père lui donnait également des cours sur des sujets qu'il considérait important comme la politique ou encore la sociologie. Sans jamais oublier de donner sa vision des choses qui voulait le monde absolument abominable. Mais il lui apprenait également des sujets comme les langues, l'histoire, la géographie et les mathématiques. Ce qui avait suppris Michaela avait été l'enseignement des armes à feu. Lui qui avait toujours été contre le 2ème amendement jusqu'ici, il avait révélé une toute autre facette de sa personnalité.
Michaela venait de terminer un long enchaînement de figures quand son père était entré dans le gymnase aménagé après sa nuit de sommeil. La jeune femme sentit son ventre se tordre. Elle avait pris une décision. Elle devait s'y tenir. Elle ne pouvait baisser les bras maintenant.
- Continue, je te regarde. lui ordonna-t-il.
Elle ne put s'empêcher d'obéir une nouvelle fois. Le regard de son père l'impressionnait toujours. Elle executa plusieurs figures sour les yeux attentifs de Joseph. Ce dernier gardait le silence. Comme d'habitude, soit il lui ferait parvenir les critiques qu'il avait, soit il lui ordonnerait d'effectuer un autre exercice. Jamais il ne montrait de satisfaction.
Michaela décida alors de ne plus faire aucun mouvement, la peur au ventre. Bien entendu, son père prit la parole.
- Est-ce que je t'ai dit d'arrêter?
- J'arrête.
- Je te demande pardon?Il approcha de sa fille avec une colère parfaitement visible sur le visage. Michaela rassembla son courage et fit face à son père.
- J'en ai marre. J'arrête tout. Je veux retrouver mon ancienne vie.
- Et te retrouver derrière les barreaux pour avoir presque tué un camarade de classe?Elle en était parfaitement consciente. Et c'est ce qui l'avait fait tenir tout ce temps. La peur de devoir vivre en prison pour de nombreuses années.
- Tant pis. Tout vaut mieux que cette vie que tu me fais vivre.Elle n'en revenait pas d'avoir oser dire cela. Joseph sembla surpris lui aussi. Puis son expression se changea une nouvelle fois et de la rage apparut sur ses traits. A grand pas, il franchit les quelques mètres qui le séparait de Michaela et lui prit brutalement le bras avant de la diriger dans une autre salle. Sans trop savoir pourquoi, l'adolescente ne se débattit pas alors même qu'elle savait pouvoir mettre l'homme à terre.
Il la conduisit dans une salle dans laquelle elle n'avait jamais posé les pieds. Une pièce dépourvu de tout objet. Sa seule particularité était qu'un mur manquait, remplacé par ce qui semblait être une vitre renforcée. Avant qu'elle ne puisse poser la moindre question, elle entendit un verrou être enclenché derrière elle. Son père l'avait enfermé.
Elle se retrouva dans le noir le plus complet. Elle sentit la peur s'emparer d'elle petit à petit. Son père comptait-il la laisser ici pendant de nombreux jours telle une prisonnière? Elle ne serait pas étonnée.
Elle cherchait une manière de sortir quand, soudainement, de l'autre côté de la vitre renforcée apparu des images. Des images projetées sur le mur. Une vidéo était jouée. La qualité était mauvaise mais pas suffisamment pour que Michaela ne puisse reconnaître le visage de sa mère dans une ruelle. Un visage tiraillé par la peur et la panique. Les mêmes émotions qui surgirent en Michaela avec une force impressionnante.
- Papa non! Je t'en supplie, non! Ne fais pas ça! Elle avait compris que son père lui montrait la vidéo relatant les derniers instants de sa femme. Celle-ci fut poussée au sol et sa voix raisonna dans la pièce. Elle suppliait l'homme de ne pas lui faire de mal, de prendre tout ce qu'elle avait. Mais l'argent de l'intéressait pas, il voulait faire souffrir. Et c'est ce qu'il infligea à sa victime qui poussait des hurlements et des appels à l'aide sans que jamais personne ne les ait entendu.
- ARRÊTE ÇA, JE T'EN SUPPLIE! hurla Michaela, les larmes aux yeux, des sanglots dans la voix.
Elle se recroquevilla dans un coin de la pièce, ferma les yeux, se boucha les oreilles et se balança d'avant en arrière. Priant pour que ce supplice s'arrête. Supplice qui ne prit fin que de nombreuses heures plus tard, alors qu'elle était assise au sol, les yeux vides mais néanmoins fixés sur la vidéo qui était jouée encore et encore. Quand les images et le son disparurent, elle n'eut aucune réaction. Son esprit rejouaient les images et les cris de sa mère sans qu'elle ne puisse rien y faire. C'est à peine si elle prit conscience de la présence de son père à ses côtés.
- Maintenant tu comprends pourquoi je te fais faire tout ça. Cela ne doit plus arriver. Cet homme que tu as vu, celui qui nous a arraché ta mère, mérite de mourir. Et c'est toi, qui le tuera.* * *
- S'il vous plait... Je vous en supplie. Epargnez moi.Michaela se tenait debout et observait sa victime sans la moindre émotion. L'homme était recroquevillé sur le sol, entouré de son propre sang. Sa peau était livide et il n'était pas difficile de comprendre que bientôt il ne serait plus de ce monde.
Il pleurait. Il suppliait. Il n'avait plus rien du criminel que les autorités n'avaient jamais réussi à attraper. Non, à la place, il ressemblait à un enfant. Un être vulnérable qui ne demandait qu'à être protégé.
- Pourquoi on t'épargnerait alors que tu l'as tué de sang froid? lui demanda froidement Joseph.
Est-ce que tu as eu de la pitié pour elle?L'homme lâcha un nouveau sanglot puis croisa le regard de Michaela, en espérant y trouver de l'espoir pour sa vie. Mais le regard de l'adolescente était vide. Elle l'avait torturé sans jamais éprouver le moindre remord. A vrai dire, elle avait agit comme un robot qui obéissait aux ordres que son système lui avait dicté.
- Je suis désolé.
- Tu crois qu'on en a quelque chose à faire que tu le sois?Michaela gardait toujours le silence, patiente. Enfin, le corps de l'homme s'immobilisa et un dernier souffle s'échappa de ses lèvres. La jeune fille de quinze ans se tourna alors vers son père.
- Et maintenant?* * *
Joseph avait progressivement sentit son influence perdre d'emprise sur Michaela. Petit à petit, elle avait pris le contrôle sur la situation. Elle écoutait ses directions, mais elle prenait de plus en plus de liberté quant à l'execution de ses missions. Décidant parfois d'épargner certaines personnes quand, lui, désirait qu'elle les tue tous.
Ils avaient fait leur justice au sein du Bronx puis cela s'était étendue progressivement dans tout New York. On avait associé un nom à cette adolescente tueuse et vengeresse qui effrayait les criminels : Misery Doll. Car elle pouvait vous faire sentir une misère intolérable de par ses pouvoirs et Doll parce qu'elle ressemblait à une poupée en raison de son âge. Avoir un nom ne l'importait guère mais cela avait réjoui Joseph qui avait compris qu'ils engendraient des changements dans la ville.
Mais avec cette réputation, devait venir une plus grande vigilence. Non seulement les criminels savaient qu'elle venait à leur trousse, que vous soyez un débutant ou non, mais la police aussi. Et cette dernière cherchait absolument à mettre la main sur cette célèbre poupée. Ainsi, Michaela savait qu'elle devait être plus prudente et faire preuve de patience lorsque cela était necessaire. Joseph ne semblait pas du même avis.
Il se montrait de plus en plus imprudent. Il ordonnait à sa fille de tuer encore et toujours plus. Et tout devait se faire vite avec lui. Si elle ne tuait pas aujourd'hui, un autre pourrait faire du mal le lendemain. Il ne voyait plus les dangers. Il la croyait invincible et était avide de vengeance. Plus rien d'autre ne comptait pour lui. Cela avait engendrait un lourd conflit entre eux la soirée précédente qui avait laissé Michaela pensive toute la nuit. Son père sombrait dans la folie toujours plus et elle devait agir.
Le matin, elle attendit patiemment que son père se lève en s'entrainant au lancer de couteaux. Techniquement, elle n'avait pas besoin d'entrainement, elle excellait à cet art qui était devenu une de ses marques de fabrique. Ainsi, elle s'entrainait calmement lorsque son père entra dans la salle.
- Qu'est-ce que tu fais? Tu devais t'entrainer à la course cette nuit.
- J'ai préféré m'entrainer à autre chose.Elle défia le regard de son père.
- Quand je te dis quelque chose, tu dois m'obéir. Je suis ton père.
- Il y a longtemps que tu n'es plus mon père.Il la regarda sans comprendre.
- J'ai perdu mon père le jour même où j'ai perdu ma mère. Depuis, tu n'as plus été qu'un inconnu rendu fou par le chagrin.Il garda le silence, attentif à ce qu'elle disait. Il voulait protester, bien sûr, mais il savait qu'elle avait quelque chose à lui faire part.
- Alors c'est terminé. Notre collaboration est terminé Joseph. Tu as été un bon entraîneur mais je vais me passer de toi à présent.
- Qu'est-ce que tu racontes?
- Ta soif de vengeance nous met en danger et si je veux pouvoir éliminer les criminels de ce monde, je vais devoir me séparer de toi.
- Tu n'oserais pas! Tu n'es rien sans moi!
- En effet, Michaela n'était rien sans toi. Mais je suis Misery Doll à présent, toi-même semblait heureux à cette idée.Joseph perdit patience et se dirigea à grand pas vers sa fille, levant la main. Mais il fut stoppé dans son élan et se retrouva recroquevillé sur le sol sans jamais avoir été touché par qui que ce soit.
- Je peux faire ce que je veux de toi. Te donner une telle soif que tu chercherais à boire tellement que tu en ferais une intoxication. Te donner une telle faim que tu mourrais en t'étouffant avec le premier aliment à ta portée. T'endormir pour te jeter calmement du haut d'une falaise... Ou te couper la respiration.Joseph se tint alors la gorge. La panique se lut sur son visage alors qu'il cherchait désespérement à respirer. Mais ce fut comme si son corps était incapable de se souvenir comme faire. Si son esprit était conscient de ce besoin de respirer, son corps, quant à lui, ne l'était plus.
- J'espère que tu reverras maman et que tu trouveras la paix.Après plusieurs secondes d'agonies, Joseph Clade rendit son dernier souffle sous les yeux de celle qu'il avait mis au monde 18 années plus tôt. Cette dernière se détourna du corps sans vie et quitta l'endroit, sans ressentir le moindre regret.
* * *
Elle avançait dans les couloirs sans la moindre trace de nervosité sur le visage. Calmement, elle écoutait les indications qu'on lui donnait dans son oreillette.
Tourne à gauche au prochain croisement. Elle prit la direction indiquée mais dû rapidement revenir sur ses pas pour éviter les balles qu'on lui tirait dessus. Elle s'empara d'un poignard à sa ceinture et le lança en direction du garde qui le reçut en plein coeur.
Elle s'avança dans le couloir, prit la mitraillette du nouveau mort et tira sur la serrure de la double porte qui finit par lâcher sous les coups. Un laboratoire apparut sous les yeux de la femme et elle découvrit ce qu'elle cherchait : un scientifique les mains en l'air. L'homme tremblait et cherchait vainement à s'accrocher à sa fierté, quand bien même il se savait coincé et savait parfaitement où on le conduirait.
- Dites à Hydra d'aller se faire foutre.Un sourire apparut sur les lèvres de celle qu'on appelait Misery Doll et qui avait rejoint l'organisation deux ans après s'être lancée en solitaire.
- Vous leur direz vous-même.