Le son des freins d'une voiture qui s'arrête brusquement, le son de quelque chose qui frappe très fort contre le pare-brise, et cette même vitre protectrice qui craque, qui explose. La tête rousse de Siobhan se tourne dans la direction d'où proviennent les bruits, et elle hurle. Comment ? Comment a-t-il pu s'éclipser de son regard une seule seconde ? Elle laisse tomber les fleurs et les gants de jardinerie, et elle s'élance. Elle s'élance, cheveux au vent, le regard paniqué. Elle voit par terre cet enfant, et elle ne veut pas. Elle ne veut pas s'approcher davantage, mais lorsqu'elle voit ses cheveux roux et cette petite tâche de naissance en arrière de son oreille droite, elle hurle encore plus fort. « CHARLIE », qu'elle hurle comme une demeurée. Son bébé, celui qu'elle a porté, celui à qui elle a donné la vie. Celui qu'elle a choisi au lieu de cet ignoble ex. Il est immobile, par terre, en sang. Le chauffeur de l'automobile ne montre aucun signe de vie non plus, et de suite, ses mains fragiles composent le numéro des urgences. Elle peine à parler.  « Mon bébé... Mo... Mon fils... », sa voix tremble, ses mains ont envie de balancer l'appareil à l'autre bout du monde. L'opératrice s'impatiente, lui dit de se calmer. « Mon petit... Il a été frappé... Voiture... », sont les seuls mots qu'elle prononce avant de laisser tomber l'appareil sur le sol, parce que son enfant se mouve un peu. C'est peut-être un geste nerveux, un geste qu'un mort ne peut faire. Non, non. Il n'est pas mort. Il. N'est. Pas. Mort. Elle se rapproche de lui, le serre contre elle, contre sa poitrine. Elle se fout du sang qui dégoûte de son petit corps d'enfant, elle se fout de ce qui tourne autour d'elle, des hurlements qu'elle entend plus loin. Elle n'a rien à faire de ce putain de chauffard qui a frappé son fils, qui est peut-être mort, aussi. Siobhan ne voit que son bébé, ce petit être innocent qui n'avait pas perçu le danger de la route, lorsque son ballon est allé trop loin. Il n'a pas demandé à se faire happer d'une telle façon... Elle se lève, son enfant dans les bras, pour finalement aller voir si l'autre s'est réveillé. Puis dans sa main, elle perçoit un téléphone, avec l'application de SMS ouverte.
Avant qu'elle n'ait le temps de faire quoique ce soit, l'ambulance arrive. L'ambulance arrive, et Siobhan quitte ce lieu infernal. Sauf qu'elle n'a pas remarqué que l'autre imbécile s'est réveillé.

« Il est mort... 13h29. », fit le médecin urgentiste, à bout de souffle. Elle-même médecin, elle sait ce que ça fait, de prononcer de telles paroles. Sauf qu'en tant que mère, cela la détruit, cela la ramène à la réalité. Son coeur se brise, éclate en mille morceaux, et elle hurle son désespoir. Elle est seule ; sa famille ne lui adresse plus la parole depuis que la rouquine a livré son propre père et sa propre mère à la police. Des meurtriers, c'est ce qu'ils étaient. Elle secoue la tête, elle ne veut pas penser à eux, pas à un moment aussi terrible dans sa vie. La rousse voit ses cheveux virevolter autour d'elle, mais elle n'y prête pas attention. Elle veut voir son fils, une dernière fois. Elle voit voir sa peau froide, constater elle-même son décès. Et ses pleurs s'intensifient lorsqu'on la laisse quelques minutes avec son bébé. L'hémorragie était trop forte, qu'ils disent. Ils n'ont pas pu le sauver, qu'ils répètent. La peine est trop forte pour qu'elle y survive ; la douleur emplit son coeur et ses entrailles.
Mais après cinq minutes, on vient la chercher. On doit emmener le corps de son bébé pour une autopsie, elle le sait. Elle ne veut pas ; elle ne peut pas. Mais on l'y force, on la tient. Ils emportent son enfant, et ils emportent son âme par la même occasion.

« Charlie, tu peux venir ici ? » Elle voit le petit arriver, sur ses deux jambes encore courtes. Elle ne peut s'empêcher de lui sourire et de le serrer contre elle. « Qu'qui a? », prononce la voix fluette de son enfant, du haut de ses presque trois ans. Elle s'accroupit pour être à sa hauteur, et elle le regarde, le sourire aux lèvres. « Que dirais-tu d'aller chez grand-ma et grand-pa pendant que maman doit aller travailler? » Il s'écrit de joie, il danse presque, même. Ses parents sont des êtres formidables ; ils l'ont toujours aidée avec son petit bébé, et maintenant, ils ont proposé d'eux-même le prendre pour la fin de semaine ; étant neuro-chirurgienne, c'est un métier qui demande beaucoup de temps, de patience et de tact. La jeune femme va donc porter son enfant chez ses grands parents, avant de se diriger vers l'hôpital de Genosha. Étant médecin urgentiste pour la soirée, tout devrait bien se passer.

La soirée se passe normalement, jusqu'à ce qu'une ambulance arrive. Une ambulance dans laquelle se trouve un enfant d'à peine six ans et une femme enceinte d'environ trente semaines s'y trouvent, et Siobhan est aux prises d'un flash violent, mais rapide. Elle secoue la tête, se concentrant sur les victimes. Elle court pour emmener les deux blessés dans les salles d'opérations, et en voyant le petit enfant, ce pauvre être qui demande si sa maman et sa petite soeur survivront... Le coeur de Siobhan se serre. « Je te promets de tout faire pour les sauver. » Elle laisse le gamin qui n'a que quelques blessures mineures aux infirmières, et elle se charge de la maman. Cette dernière ne répond plus aux signaux vitaux et elle semble être en arrêt respiratoire. Le hic, c'est que son bébé entrera aussi en arrêt si on ne ramène pas la maman en vie... ou si on ne sort pas l'enfant. Elle explique la situation au père, désespéré, et il accepte. Il faut au moins tenter de sauver ceux qu'ils peuvent, pendant qu'ils le peuvent encore. Elle s'affaire à tenter de raviver la mère, et les médecins obstétriciens opèrent la césarienne. Le bébé respire, mais le placenta avait arrêté de le nourrir. Il faut donc se presser ; le bébé est emmené aux soins d'urgence, et encore, et encore, la jeune médecin fait tout pour ramener la femme d'entre les morts.

« Votre petite fille a survécu... Quant à votre femme, seul le temps pourra nous le dire. Mais elle respire d'elle-même, sans la machine. Gardez espoir. », murmure la neuro-chirurgienne, complètement éreintée par cette soirée de dingues. Elle ne s'attendait pas à ce que l'homme la serre contre lui, elle hoquette de surprise et elle lui sourit. « Je ne sais pas comment vous remercier, docteur. Merci, merci... », les paroles lui font chaud au coeur, et elle ne peut s'empêcher de répondre. « Je vous en prie. », habituellement, elle ne faisait que sourire aux patients et les conseiller sur la marche à suivre par la suite, mais là, la situation est particulière.
Toutefois, en voyant cette femme, sur son lit, elle ne peut empêcher son esprit d'avoir d'autres flashs. Une voiture, un bruit, puis elle s'arrête. Elle secoue la tête, et elle ne se rend pas compte qu'elle s'agrippe très fermement à la poignée de la chambre. Lorsqu'elle la lâche, elle voit une légère brûlure, au creux de sa main. Elle hausse un sourcil, puis elle s'éloigne. Il est temps de rentrer à la maison, là où elle serra en paix...