Je regardais Charles avec l’espoir naïf que ma fille soit neutralisée sans attenter à la vie de qui que ce soit. Mon vieil ami ne doutait pas un seul instant de ma détermination à sacrifier la chair de ma chair au profit de tous les autres mutants. Si Wanda devait mourir, ce n’était que pour protéger nos semblables de ses pouvoirs. Inutile de préciser que cette décision ne fit pas l’unanimité auprès des proches de la Sorcière Rouge. J’avais révélé ma survie en décidant de l’aider. De mon point de vue, mon décès et ses adeptes avaient été un avantage stratégique important dans mes plans contre l’humanité. J’avais du faire amende honorable et me réconcilier avec Charles. Montrer patte blanche devenait une mauvaise habitude envers les X–Men et leur école de la tolérance. A leurs idées de coexistence pacifiques s’ajoutaient les problèmes personnels des résidants de l’institut. J’en avais assez avec mes nouveaux enfants pour me rapprocher des protégés du professeur X. L’hypocrisie peignait encore leur visage lorsqu’ils se rendaient peu à peu compte que je n’avais pas dit mon dernier mot.

Depuis les attaques de Cassandra Nova, la sœur jumelle de Charles, beaucoup des Homos Superior croyait en ma disparition. Il y eu bien un imposteur mais est–il utile de lui rendre hommage ? Je ne le crois pas. L’important vous voyez réside dans ces attaques de Sentinelles qui avaient ravagé Genosha.  Cette île magnifique était un havre de paix pour les mutants du monde entier. Enfin, nous nous retrouvions ensemble sans les faibles humains. Mon idéal avait fait ce que Charles avait échoué avec son Institut. Oui, il eu fallu menacer la Terre toute entière de catastrophes meurtrières pour que les Nations Unies répondent favorablement à mon projet politique majeur pour notre espèce. On avait une patrie et un dirigeant respectable, moi. Le tableau était trop beau pour durer, n’est ce pas ? Il y eu ce terrible virus Legacy qui précipita dans la tombe nombre des concitoyens de Genosha, nombre de mutants. Il me suffit de lever une armée et de marcher sur le reste du monde. Notre domination ne faisait plus aucun doute. Comme une vieille rengaine, Charles et ses résidants surdoués se dressèrent sur mon chemin en comptant plus que jamais sur une vraie punition. C’est affaibli par mon injuste défaite que je fis connaissance pour la première fois avec ma tendre Polaris.

Mes enfants forment un concept récent. Je ne les ai connu que trop grands pour m’y attacher comme je l’aurais du. Ils sont mon sang mais ils ont été des étrangers pendant trop de temps. Je tâche de faire œuvre de père. Il faut avouer que l’exercice est maladroit mais le temps forge quelques liens au hasard de notre histoire. Je ne suis pas certain qu’avoir Magneto le terroriste comme paternel soit réjouissant. Magda, la femme qui jadis avait épousé un simple homme du nom d’Erik Magnus, avait caché son engrossement. Wanda et Pietro grandirent sans même connaître mon existence tandis que je faisais encore le deuil de ma femme et de ma première née. A la sortie des camps de la mort, le couple de fuyards que nous fûmes me semble aujourd’hui l’époque la plus heureuse de ma vie. Nous étions traumatisés mais nous avions un foyer. Mes pouvoirs sont apparus, ma maison a brulé et les hommes m’ont empêché de sauver ma fille. Je les ai assassiné et j’ai fuis, seul. Quelques années plus tard, je rencontrais Charles en Israël. Nous avions défié Hydra et le Baron Von Strucker. Je m’étais servi dans les caisses de l’organisation. L’or nazi servirait plus tard à mes plans. Notre route, entre Charles et moi, ne cessa de s’entrecroiser sans jamais parvenir à se tracer de concert.

Je regardais Charles avec l’espoir naïf que ma fille soit neutralisée sans attenter à la vie de qui que ce soit. Pourtant, on ne m’empêcha pas de penser que rien ne se déroulerai pour le mieux.

Le même cauchemar me faisait transpirer dans un dernier sursaut. Seul, ce lit me paraissait être un océan rappelant la position ingrate qui était la mienne. Genosha était mon royaume et pourtant peu de mes citoyens comprenaient le poids d’une telle responsabilité. J’essuyais d’un revers de drap la sueur qui coulait sur mon front. J’aperçu des lettres et des chiffres imprégnées sur mon bras. Un clignement plus tard, ils avaient disparu. Cette déconvenue se passait bien trop souvent pour n’être qu’un effet d’hystérie. La paranoïa n’était pas vraiment loin. Un coup d’œil au réveil suffit à me convaincre qu’il ne s’agissait qu’une énième hallucination de l’éveil. Le soleil ne brillait pas encore au travers des rideaux. Je m’avançai vers le balcon, ouvrit la porte délicate qui me séparait de l’extérieur et resserrai mon peignoir, surpris par la fraicheur du petit matin. Le cauchemar était si réel. J’y observais ma mère emmenée par des hommes austères, puis j’y témoignais de grands malheurs, de grands conflits. Il m’arrivait de douter de moi–même. Tout ce que j’avais construit ici, sur l’île de Genosha, était–il réel ou était–ce cela le rêve ? Mes lèvres émirent un petit rire nerveux. Mon pauvre Erik, ta vieillesse te joue des tours et il y avait bien trop de choses à faire au gouvernement pour te perdre dans des élucubrations enfantines. Qui pensait sincèrement qu’un songe fut réel sinon les enfants ? Mes soixante–dix ans m’avaient apporté sagesse et expérience. C’est ce qu’il manquait à mon fils pour me succéder. Il n’était que trop distrait. Écarter Kitty Pride de la maison avait été une déchirure pour Pietro. Porter mon nom le pesait toujours. Un roi n’a pourtant de griefs que pour sa population et sa prospérité. Une distraction n’avait pas le droit de détourner un héritier de la grande destinée qui lui tendait les bras. Un quelconque autre choix n’était pas permis. L’obligation du sang ne souffrait d’aucun caprice. Oui, on me prétendait dur avec les miens. Comment pouvait–on être plus proche de la vérité ? Tout ce que j’avais bâti ici, c’était le souhait de toute une vie.

Une poignée d’heure plus tard, on frappa à la porte. Mes rêveries m’avaient emmené si loin dans mes réflexions que je me rendis seulement compte que le soleil m’aveuglait. Mes yeux, étrangement éveillés pour un vieil homme, se plissèrent. On frappa à nouveau. « Entrez, bougre d’âne. » N’étaient–ils pas embauché pour me réveiller le matin ? Au prix qu’il coutait à mon foyer, je pensais intimement à remplacer ce personnel par un réveil mécanique. Il n’y avait pas plus fiable. Ce qu’on désignait comme un valet me déposa un plateau d’argent garni de victuailles appétissantes. Je ne pus que saliver. Voilà plus de deux heures que je trônais sur ce balcon sans avoir rien avaler. Le domestique s’inclina puis disparut. « Merci quand même » marmonnais–je avec un sourire amusé. Si je n’étais pas maitre en ces lieux, ce jeune homme ne m’aurait même pas donné une pièce en aumône.  Je ne le terrifiais pas, c’était mon occupation qui lui hérissait l’échine de frissons. Il était inutile de m’approcher du petit déjeuner. Moi aussi, je possédais quelques pouvoirs spéciaux, tout comme ces nouveaux talents que je traquais avec intérêt. Ils représentaient une menace certes, mais ils incarnaient l’avenir. Le plateau s’éleva pour s’approcher du balcon. Malheureusement, il s’échoua à mi–chemin, renversant la moitié de la tasse de café. J’ignorais encore pour quelle raison cette force m’abandonnait puis refaisait surface, le progrès devait être dompté avec le temps et la rigueur. Je récupérai ce que je pouvais de ce repas, présenté copieux, il se révéla être maigre. Un jeûne partiel ne pouvait pas me faire de mal. Il suffirait cependant à me réconcilier avec ma nature d’exigence et de dureté. On aurait pu même me prétendre métallique si seulement ma chair ne vieillissait pas, rouillée sans doute, mais d’une vivacité peu commune. Il fallait remercier Dieu pour ce précieux don qu’est la santé. Il y avait encore beaucoup trop de choses à apprendre à mes chers enfants, ne leur en déplaise.