Ce matin, j'étais un peu stressée. Pressé aussi. L'université avait prévu un vernissage qui devait se dérouler aujourd'hui-même. C'était particulièrement angoissant. Chaque étudiants, spécialisés dans l'art, devaient présenter leurs œuvres à de parfaits inconnus. Pendant des mois, on s'était préparé. On avait travaillé d'arrache-pied pour créer quelque chose de valable. Certains avaient opté pour des tableaux, faits à la peinture ou au fusain. D'autres, comme moi, avaient préféré concevoir des sculptures tout droit sorti de notre imagination.

Depuis toute petite, du moins aussi loin que je m'en souvienne, j'aimais créer. J'avais une inspiration débordante, pouvant parfois s’apparenter à de l'extravagance. Autre mon amour pour mes petites plantes, qui m'apaisaient quand j'étais un peu trop nerveuse, je passais mon temps à imaginer des trucs : particulièrement dans un univers héroïque fantaisie où la réalité n'existait pas : Elfes, gobelins, guerriers bourrés de muscles qui se battaient à l'épée pour sauver leurs honneurs. Dragons majestueux qui déployaient leurs ailes, en crachant du feu. Bref, tout ce qui arrivait à me transporter  dans un monde parallèle, laissant libre cours à ma folie. Cette fois-ci, j'avais concocté plusieurs créatures fantastiques : un griffon en bois brut, une harpie que j'avais un peu raté et quelques autres personnages qui manquaient de précision à mon goût. Enfin qu'importe maintenant, il était trop tard pour tout recommencer. J'avais fais ce que j'avais pu, avec les moyens du bord.

C'est donc en mode speedy gonzales que je m'habillais, pour ne surtout pas arriver en retard. Ce n'était pas le jour. Je m'activais à rassembler mes affaires, passant par la case : chambre de Mai, pour prendre l'un de ses pantalons troué avec un petit haut qui allait avec, histoire d'être assortie. Puis, une fois cela fait, je descendis en hâte les escaliers et allais embrassé ma mère dans la cuisine.
- A ce soir ! Et si je rentre tard, promis je t'appelle, lançais-je en sortant presque tout de suite après, fermant la porte derrière moi.

Je ne mis guère longtemps à arriver. Bon nombre de mes camarades étaient déjà présent. Chacun semblait préoccupé, angoissé. Je fis la bise à quelques amis puis allais ensuite m'occuper de mes propres sculptures, disposées au plus loin de la salle réservée à cet effet. Il commençait à avoir du monde, beaucoup de monde. Dans le lot de gens qui affluaient, je reconnus quelques têtes pour les avoir déjà croisé lors d'une soirée mondaine, en compagnie de mes parents. Bien qu'on n'y allait pas souvent, je me forçais parfois à les suivre afin de rencontrer de nouvelles personnes.

Au fur et à mesure que l'heure défilait, cette petite boule se forma dans ma gorge, me faisant presque sautiller sur place. J'attendis donc patiemment, près de mes petites œuvres, que quelqu'un me pose des questions où s'intéressent à ce que j'avais fais. Même si je savais au plus profond de moi, que je n'étais pas la plus douée de ma classe. Le stress sans doute. Cela faisait ressurgir un léger manque de confiance en soi.
- Allez, on respire et on inspire. Il parait que c'est bon pour le karma.

Alors que j'essayais de calmer ma respiration, j'entendis quelqu'un s'approcher et se racler la gorge juste à côté de moi. Surprise, je sursautais, tournant la tête vers la gauche.

Un jeune homme, qui me disait quelque chose, me regardait, m'avouant m'avoir entendu. J'esquissais un léger sourire, un peu gênée par la situation.
- Oh, dis-je en me tournant vers lui, entrelaçant mes doigts pour paraître la plus sérieuse possible, désolé, j'ai tendance à dire à voix haute ce qui me passe par la tête.

Je marquais un court silence, profitant de ce laps de temps pour reprendre mes esprits. L'inconnu approuva alors les vertus de la respiration. Il me conseilla celle qui vient plus précisément du ventre, reconnaissant que c'était la plus difficile mais de loin, la plus efficace de toute. J'en avais déjà entendu parler. Mai me disait souvent que la méditation était le meilleur remède contre le stress. Et qui dis : méditation, disait souvent respiration consciente. J'avais bien tenté de m'y coller une fois mais avec ma patience légendaire, rester assise pendant des heures sans rien faire m'avais vite gonfler. Je baissais légèrement la tête, me promettant intérieurement de retenter un jour l'expérience.
- Merci pour le conseil. Je vais tâcher de m'en souvenir.

N'empêche, c'était bizarre de se faire vouvoyer. Dans les soirées mondaines, c'était assez fréquent mais c'était bien la première fois qu'un homme de mon âge, voir plus jeune, l'utilisait avec moi. J'avais la soudaine impression d'être plus âgée. Lentement, je me redressais, surmontant du mieux possible cette nervosité qui agissait, tel un poison, sur mon état d'esprit.
- C'est exact ! Je fais partie de l'exposition. Enfin, je veux dire, des élèves qui exposent aujourd'hui.

C'est fou comme le stress me faisait perdre mes moyens. Secouant légèrement la tête, je me mis une claque intérieure avant de reprendre de plus belle, un large sourire aux lèvres :
- Et bien, je suis plus : Sculptures pour ma part. Si vous voulez jeter un coup d'oeil, elles sont juste là.

Tout en disant ces derniers mots, je montrais mes créatures fantastiques, sculptées dans du bois brut. La plus imposante et la mieux réussi était le griffon. J'avais passé de nombreuses heures dessus et j'étais plutôt fière du résultat. Tant qu'aux autres... j'étais un poil déçue. La harpie faisait bien triste mine sans parler du dragon qui avait une grosse entaille sur l'aile droite. D'après mes souvenirs, pour ce dernier, j'avais quelque chose de prévu à la fin du cours, ce qui faisait que je l'avais "légèrement" bâclé. Préférant oublier ce détail peu glorieux, je me tournais de nouveau vers le jeune homme :
- J'avoue que certaines ne sont pas très jolies à regarder. J'ai encore quelques progrès à faire. M'enfin, si vous pouvez me donner votre avis, je vous en serai éternellement reconnaissante !