Mes yeux commencent à me démanger. Je vois légèrement flou. Je cligne plusieurs fois pour relire ma ligne de code et quand ça se répète pour toutes nouvelles que j’ajoute, je comprends que la journée touche à sa fin. Du moins concernant l’écran. Mes yeux me piquent et ils sont certainement rouges - les inconvénients de passer jour et nuit les yeux rivés sur toutes sortes d’écrans. Et la seule parade, c’est de se changer les esprits, prendre l’air, faire totalement autre chose. Et comme d’habitude, la seule chose qui me motive à lâcher mon boulot : c’est le sport. Ou l’entraînement, ce qui revient à peu près au même. Je referme l’ordinateur qui trône sur mes genoux et le dépose sur la table basse avant de sortir mon cul du canapé. Je m’étire légèrement en me dirigeant vers le fond de l’appartement. La porte de la chambre de Myron est presque fermé, je distingue qu’un fin filet entre le mur et la porte. Je toque trois fois à celle-ci mais n’obtiens aucune réponse. En y réfléchissant, j’ignore s’il est sorti dans la journée ou s’il n’est même pas rentré depuis la vieille. Je passe la plupart de mon temps concentrée sur la mise en place de mon virus afin de tenter une nouvelle attaque contre la sécurité du Shield. Je me bute à un mur, encore plus depuis qu’une ancienne rivale a rejoint le grand groupe. Maudite brune, maudite hackeuse, maudit code. J’avance tout de même, mais sa présence au service informatique du shield ne m’enchante pas du tout. Comprenant que mon colocataire ne serait pas là pour m’accompagner ou pour me fournir un punching ball, je décide d’aller courir un peu. Un rapide détour dans ma chambre, histoire de me changer et de mettre les chaussures adéquates et moins de 5 minutes plus tard je fais claquer la porte de l’appartement. Presque une heure s'est écoulée depuis mon départ et j’ai pas l’impression d’avoir vidé mon esprit. Je retourne en boucle les différentes fonctions que j’ai définies dans mes lignes de code et n’arrive toujours pas à voir le problème. J’étais persuadée de me sortir tout ça de la tête avec une bonne course mais la seule chose que j’ai récoltée c’est d’avoir la respiration saccadée et d’être en nage. Il ne semble toujours pas avoir de trace de Myron pour pouvoir me plaindre alors après avoir bu plusieurs gorgées d’eau, je me dirige dans la salle de bain. Je me glisse rapidement sous l’eau chaude mais là encore, malgré la sensation agréable qu’elle procure sur ma peau, je n’ai que ce putain de code en tête. Après ma douche, j’ai à peine le temps de m’habiller qu’on toque à la porte. Je me dirige rapidement, les sourcils légèrement froncés à me demander qui est ce visiteur inconnu. Ou plutôt visiteuse. J’ai tout juste eu le temps d’ouvrir la porte que je vois Anna de l’autre côté. Son visage est fermé et immédiatement je me demande ce qui se passe. Plus rapide que moi, elle lève ce qu’elle tient en main et s’adresse à moi.
- Euh. Oui. Voyons, je ne dirais jamais non à de l’alcool.
Si elle avait l'intention de passer sa soirée à vider la bouteille de whisky qu’elle m’a montrée, elle avait frappé à la bonne porte. Non je ne buvais pas tout le temps, mais je ne disais presque jamais non quand on me le proposait. Après tout, la vie est courte, alors autant profiter. La seule chose qui m’interpelle, c’est le ton et l’expression sur son visage et ce comportement qui n’est pas habituel chez elle. Clairement, quelque chose ne va pas. Mais une fois de plus elle se fait plus rapide et répond à la question que j’avais sur le bout des lèvres.
- Oh. Fais comme chez toi, entre.
Je lui tourne le dos, lui laissant la place d’entrée et de refermer la porte derrière elle. Le salon est vide, et donc, tout à nous.
- Je sors des verres ou c’est trop grave et tu veux attaquer la bouteille au goulot ?
J'utilisais un brin d’humour mais au fond j’étais plutôt inquiète pour Anna. Je l’avais croisé chez Hydra et malgré l’origine douteuse de notre rencontre, c’était une fille bien, je le sentais. De plus, elle avait été là pour moi quand Aileen avait disparu de la surface de la Terre, ce qui m’avait franchement bien foutu en l’air. Je fais un rapide détour en lui désignant le canapé et sa liberté de s’y installer. Je ramène tout de même des verres et des chips qui trainaient dans un coin de la cuisine. Ou plutôt dans le placard de Myron - mais il ne m’en voudra certainement pas. Je la rejoins et m’assieds sur la canapé, de façon à tout de même pouvoir la voir. Je pose les verres et les chips sur la table basse et attrape le paquet de clope à la place. Je sors une que je coince entre mes lèvres et allume dans la foulée. Je tends alors le paquet à Anna, au cas ou…
- Tu veux en parler ou tu veux te saouler direct ?
Apparemment la situation ne requiert pas de verre puisque la brune à côté de moi dépose déjà la bouteille jusqu’à ses lèvres. Je dépose tout de même les verres avec un léger haussement d’épaules, j’avais pas vraiment envie de retrouver les ranger. Je préfère rester ici avec Anna pour chercher à comprendre ce qui ne va pas. Elle boit plusieurs gorgées du liquide ambré et je ne la quitte pas des yeux. Elle semble épuisée et en colère. Lasse, certainement de ce qui l’a poussé à venir ici avec l'intention d’oublier tous ces problèmes. Installée dans ton canapé, je tire plusieurs fois sur ma clope, le regard toujours braqué sur mon amie. J’ignore si je dois parler, ajouter quelque chose ou juste me taire et la laisser faire. Finalement, je préfère lui poser directement la question. Autant savoir si le terrain est miné et si elle préfère garder tout pour elle ou si l’envie de soulager ce poids en elle l’a fait venir jusqu’à toi. La brune soupire longuement après une nouvelle gorgée. Je m’étonne légèrement de la rapidité avec laquelle elle se jette sur la bouteille, Anna n’a jamais été comme ça. Ce n'est pas le genre de fille à se réfugier dans l’alcool à la première difficulté. Je réalise alors que quelque chose de vraiment important l’a chamboulé et qu’à présent règne une forme de colère en elle. Colère qu’elle a apparemment décidé d’évacuer en se saoulant la gueule. Je tire à nouveau sur ma clope et laisse la fumée s’échapper d’entre mes lèvres quand elle pose finalement ses yeux dans les miens. J’y vois rapidement la peine qui se dissimule au fond d’elle. Je reste figée mais son regard s’échappe rapidement vers le fond de l’appartement.
- Non, Myron n’est pas là. Ces derniers temps, il sort pas mal, je suspecte une fille d’être derrière tout ça.
Je réplique le ton léger, avec un sourire qui s’attarde sur mes lèvres. En réalité j’en savais que dalle. J’étais moi aussi quelque peu absente et je le croisais de moins en moins. Quand j’étais à la maison lui filait et inversement. Il était certainement sur un boulot pour Hydra, ou en train de courir derriere une fille aux lèvres pulpeuses. La réalité c’est que j’en savais que dalle. Anna me passe la bouteille. Je l’attrape et en vide deux gorgées - histoire de la rattraper un peu. L’alcool brûle le long de ma gorge et mon corps est immédiatement parcouru par une sensation de bien être. La cigarette coincée entre mes doigts et la bouteille dans l’autre main, je m’enfonce un peu plus dans le canapé et pose mon coude sur le haut du sofa, m’en servant comme accoudoir. Cette fois, je fais vraiment face à la brune et mes jambes sont croisées sur le cuir usé. Trois mots et je comprends de quoi il est question. Je baisse immédiatement les yeux, comme pour éviter son regard. Je ne suis clairement pas la personne qui saurait trouver les mots justes dans ce genre de situation. Dans les peines de coeur. Ca ne m’est jamais arrivé et ça ne m’a jamais vraiment intéressé de toute manière, ces conneries de couple. J’avais une fois eu le coeur brisé, par mon père, et ça ne se reproduirait plus. Cela ne voulait pas dire que je vivais comme une none. Bien au contraire. Seulement je n’avais pas d’attache. Je n’avais jamais eu cette envie là. C’était un concept étrange et flou à mes yeux. Lorsqu’elle tourne la tête vers moi, je relève le menton pour la regarder. Elle reprend sa parole et mes sourcils se froncent de plus en plus.
- Idiote que quoi ?, je demande presque fâchée. C’est cette fille qui t’a lâchée ! Pas toi. C’est elle l’idiote, c’est de sa faute si elle n’a pas les épaules assez larges pour une relation. C’est trop facile de faire marche arrière après !
Je ferme la bouche. Pas parce que je suis à court d’arguments. Mais parce que je vois le visage de ma meilleure amie se décomposer. Elle retient ses larmes, et je m’en compte immédiatement. Et s’il y a bien une chose que je ne veux pas faire, c’est bien la faire pleurer. Je me lève d’un bond, non sans tirer une dernière taffe sur ma clope avant de l’écraser dans mon verre.
- Bordel, ça non !
Je murmure plus pour moi que pour elle. Je me dirige vers la cuisine d’un pas pressant. J’attrape deux cuillères dans le tiroir à couvert et ouvre ensuite le congélo qui se trouve au-dessus du frigo. J’attrape deux pots moyens de Ben & Jerry et retourne récupérer ma place dans le canapé.
- Alooors…, j’observe les deux pots qui commencent à geler mes doigts. Nous avons Cookie dough ou Chocolat brownie. Lequel tu veux ? Le whisky mélangé à la glace… c’est une tuerie !
L’expression sur le visage d’Anna est loin de m'enchanter. Je vois bien qu’elle est tourmentée par ce qui l’a poussé à venir chez moi, et d’un côté je ne sais pas si c’est vraiment une bonne idée d’en parler tout de suite. Ni même d’insulter sa copine fraîchement devenue son ex. En même temps, on ne peut pas dire que je sois une experte dans ce domaine, les histoires de couples c’est pas mon truc. Je n’ai jamais eu de copain ou de copine officielle et jusque là ça me convient plutôt bien. Encore plus quand je vois l’état d’Anna et les emmerdes que ça apporte. Je préfère rester loin de ces choses et puis ce n’est pas comme si j’avais accroché suffisamment avec quelqu’un pour vouloir quelque chose de sérieux. La seule personne qui est rentré dans ma vie après une aventure c’est Myron. Mon colloc’ à toute ma confiance et j’espère bien avoir la sienne. Et depuis cette amitié, le sexe n’est plus vraiment d’actualité entre nous, ce qui n’est pas plus mal. Je me fige d’un coup quand elle me demande ce qu’elle aurait pu lui apporter. J’ai un élan de colère qui grimpe en moi et je plonge mes yeux dans les siens.
- T’es pas sérieuse là ?
Je garde le silence les secondes suivantes parce que je sais très bien que ce n’est pas le moment pour lui passer un savon et pourtant c’est pas l’envie qui me manque. J’ai limite envie de lui en coller une pour lui remettre les idées en place. J’arrive pas à croire ce qu’elle me dit, comme si elle n’était rien, comme si elle ne valait rien du tout. La suite de ses propos ne fait que t’énerver davantage.
- Arrête parce que tu commences à m’énerver à dire des conneries.
Je me redresse et m’éloigne vers la cuisine. Pas parce que ma colère est trop grande, simplement parce que j’ai vu les larmes de mon amie naitrent dans ses yeux et qu’il est hors de question que je la laisse s'effondrer comme ça. Elle voulait se shooter à l’alcool, boire à ne plus se souvenir. Très bien, c’est ce qu’elle allait faire et j’allais l’aider. Mais pour éviter d’être vraiment trop mal dans quelques heures, je m’arrange pour remplir un minimum nos estomacs. La glace semble toute destinée à ça : elle remplira nos ventre et adoucira le coeur d’Anna. Elle choisit le brownie qui, d’un côté me fait sourire car je préfère le cookie dough. Je lui donne son pot avant de m'asseoir de nouveau en tailleur sur le vieux canapé de mon salon. Je ne tarde pas à ôter le couvercle du pot de glace et y plonger la cuillère. Je l’amène ensuite jusqu’à mes lèvres et fais disparaître la crème glacée en un éclair. Le froid envahit immédiatement ma bouche et je suis en train d’essayer de gérer la désagréable sensation de froid sur mes dents lorsqu’Anna reprend la parole.
- Arrête de dire que tu n’avais rien à lui offrir, c’est faux.
Sa personne suffisait. Anna toute entière suffisait largement à surmonter ce genre de vie. Ca n’aurait pas été simple, c’est sûr, mais je suis persuadé que quand on veut on peut. Et si cette fille aurait voulu, elle l’aurait fait. Elle se serait battu rien que pour passer quelques minutes avec Anna. Le fait qu’elle ne l’a pas fait me prouve bien qu’elle n’en valait pas la peine. Au bout d’un moment j’en ai marre. Je viens juste de reprendre une cuillère de ma glace mais je m’en fiche et j’explose littéralement.
- Mais merde, Anna ! Sans vouloir te vexer… mais ta gueule. Je veux pas t’entendre dire des conneries pareilles !
Je m’arrête parce que je manque de recracher la moitié de ma bouchée que je me dépêche d’engloutir.
- Tu t’entends parler sérieusement ? Cette fille t’a laissé tomber et s’est cacher derrière la pire des excuses. Si elle voulait ton cul, elle avait qu’a le dire clairement. Parce que si elle t’a mené en bateau juste pour ça, c’est une vraie conne. Et si elle a pris peur de tout ce que tu viens de me dire c’est qu’elle te méritait tout simplement pas !
Je m’adoucis légèrement parce que j’ai parlé assez vivement et j’ai peur d’avoir blessé mon amie. Je me déplace et m’assois sur le bord du canapé pour être plus près d’Anna. Je pose doucement ma main sur son bras et reprends d’une voix bien plus calme.
- Tu as énormément de chose à offrir Anna Marie Darkhölme. Bien plus qu’une simple nuit de sexe et si elle ne le voit pas…., je me tais, laissant deviner la suite peu élogieuse à la brune. - Alors je te défends de redire que tu n’aurais rien à apporter à quelqu’un !
Cette fois, c’est moi qui ai besoin d’une dose d’alcool. Je me détourne, m’éloigne légèrement d’elle et récupère la bouteille qu’elle a posée sur la table basse. Je la saisis exactement comme elle et l’apporte jusqu’à mes lèvres. Je laisse le liquide brûlant se frayer un chemin dans ma gorge, réchauffant à la fois mon coeur et mon corps. Après plusieurs gorgées, je pose à nouveau les yeux sur Anna.
- T’es une personne géniale Anna. Et une femme formidable. Ne t’imagines pas une seconde le contraire parce qu’une personne n’a pas su voir qui tu étais vraiment.
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