Le soleil était à peine levé que Maria se trouvait déjà au Shield. Ce n’était pas anormal en soit, la jeune femme était toujours l’une des premières arrivées, mais aujourd’hui, c’était différent. Elle n’était pas assise à son bureau, un café fumant et noir à la main en train d’éplucher les dossiers qui trainaient sur le coin de sa table. Non, elle était assise devant la secrétaire de Sebastian Shaw, son patron, dans l’attente de le rencontrer. Assise bien droite, les jambes croisées et les mains posées délicatement sur son genou, elle semblait zen et en contrôle malgré la gravité de la rencontre. Mais le fait était que la nervosité l’empêchait de démontrer une quelconque émotion. Elle se doutait des raisons de cet entretien. Elle avait reçu un appel de Shaw immédiatement après la fuite des gardes de l’Ultimate Festival lui demandant de le rencontrer à la première heure. C’était probablement pour entendre sa version, mais quelque chose lui disait qu’elle allait se retrouver dans la merde.
"Ahum. Commandante Hill. Il est prêt à vous recevoir." Maria hocha la tête. Elle prit une grande respiration de courage avant de se lever et d’ouvrir la porte du bureau de son chef.
Lorsqu’elle pénétra dans l’énorme bureau du grand patron du Shield, Maria retrouva ce dernier debout le dos tourné vers sa grande fenêtre par laquelle on voyait toute l’île. La vue était à couper le souffle, mais la jeune femme n’était pas là pour s’extasier devant la vue. Sebastian n’avait pas bougé d’un seul centimètre depuis qu’elle avait ouvert la porte. Elle s’avança doucement sur la pointe des pieds, comme si ne pas faire claquer ses talons sur le plancher allait décharger l’atmosphère de sa tension. Le bureau de Shaw avait toujours été froid et dépourvu de chaleur. Il n’y avait aucun objet personnel, aucune couleur, aucune photographie. Maria détestait pénétrer dans cette pièce inhospitalière. Elle avait toujours l’impression d’être de trop dans ce décor glacial. Aujourd’hui, c’était plus que pire. Elle n’aurait pas su dire pourquoi, mais elle espérait que l’entretien ne durerait pas trop longtemps. Elle avait retenu son souffle tout au long de son ascension vers la table de l’homme. Elle resta debout attendant un signe ou un geste pour l’inviter à s’asseoir, mais son patron restait aussi inerte qu’une statue. Elle soupira silencieusement et s’assit sur l’une des chaises blanches positionnées juste devant l’imposant bureau en érable de Sebastian. Au bout d’un deux minutes interminable de silence, il se décida enfin à ouvrir la bouche.
"Vous savez."Il se racla la gorge.
"Quand je vous ai recruté, je savais que j’avais déniché la perle rare. Je savais que vous iriez loin et que vous montreriez rapidement les échelons pour devenir mon bras droit. Je l’ai senti dès le départ. Et je ne me suis pas trompé." Maria se mordit la lèvre inférieure. Elle n’était pas stupide, elle savait exactement où cette introduction en matière allait la mener. Elle avala difficilement, mais resta droite et elle continuait de fixer le dos que lui présentait farouchement son patron.
"Je vous ai toujours fait confiance et j’ai toujours été en accord avec vos décisions. Je vous ai toujours soutenue, peu importe la situation. Vous pouviez toujours compter sur moi pour vous supporter. Vous ne m’aviez jamais déçu. Jusqu’à aujourd’hui. " Il se retourna pour enfin lui faire face. Il avait un visage sévère. Il tentait de contenir un visage neutre, mais Maria lisait, en effet, la déception dans son regard grisâtre. Et ça lui fit mal. Sebastian avait toujours été son mentor. Il avait toujours bien agit avec elle, il lui avait donné des tonnes de conseils et il avait toujours été derrière elle lorsque tout le monde la pointait du doigt pour les différentes décisions qu’elle avait prise au fil de sa carrière. Il était son patron, mais il était aussi devenu un ami, voire même un second père pour elle. Elle se sentait terriblement mal de l’avoir déçu et de le mettre dans cette position. Il la fixait, mais n’ajoutait rien. Comme s’il attendait une réponse de la part de sa commandante.
"Je suis désolée." Il frappa la surface de la table de son poing, faisant sursauter la brune. Visiblement, ce n’était pas la réponse qu’il attendait.
"Désolée? J’espère bien que vous êtes désolée, Maria! Vous nous avez mis dans une très mauvaise position. Oui nous! Le Shield entier! Vous avez frappé en plein visage une garde rouge qui ne faisait que son boulot! Comment avez-vous pu? Vous êtes la commandante en chef. La garde rouge est sous vos responsabilités et vous vous êtes mise entre eux. C’est inadmissible." Son visage était rouge de colère. Elle l’avait souvent vu dans cet état, mais elle n’en avait jamais été la cause. C’était plutôt terrifiant, mais elle n’avait pas l’intention de s’écraser devant lui.
"Je sais ce que j’ai vu et ce que j’ai fait. Et je ne regrette pas. Cette rafle n’avait pas lieu d’être. Elle n’était pas prévue et elle a été faite sous notre nez et dans notre dos. On aurait dû être au courant d’une rafle d’une telle ampleur. Ce n’est pas avec moi que vous devriez avoir une discussion, mais avec l’instigateur qui n’a pas suivi le protocole qui a été élaboré par vous! " Elle ne voulait pas hausser le ton devant Sebastian, mais les circonstances faisaient monter la colère en elle. Elle n’avait pas dormi de la nuit à se ressasser cette journée où le chaos régnait en maître. Elle avait peut-être fait une faute, mais elle n’était pas la seule.
"Je me fiche bien du protocole! La garde ne faisait que son boulot, soit contrôler tous ceux qui ne sont pas normaux. Vous auriez dû les soutenir et les aider! Pas les frapper et vous mettre dans leur chemin." Elle n’en revenait tout simplement pas. C’était lui avait qui mis en place ces règles et voilà qu’il les envoyait à la poubelle d’un seul coup? Sans raison.
"Le problème c’est qu’ils ne s’en prenaient pas seulement aux émergés, mais à tout le monde sans ménagement. Vous pensez que c’est mieux pour l’image du Shield? Leur faute est beaucoup plus grave que la mienne pour votre image, si vous voulez mon avis. " Elle avait planté son regard bleu dans le sien. Elle n’allait pas quitter cette pièce sans avoir terminé de donner sa version des faits et son avis. Elle avait peut-être mal agit, elle avait ses raisons qu’il n’avait pas à connaitre, mais ce n’était pas de ses agissements qu’on allait se rappeler. Même que sa non-action était probablement passé inaperçu aux yeux des civils. Ce n’était pas le cas des attaques sans scrupules de la garde qui allaient resté ancrer dans les mémoires.
Shaw avait levé la main pour la faire taire, comme s’il avait peur qu’elle aille raison et qu’il n’aille plus de raison de faire ce qu’il avait en tête. Le petit rictus d'hésitation n'avait pas échapper à la jeune femme, elle avait touché un point.
"Peu importe. Je n’ai pas le choix de sévir. Je ne peux pas laisser ma commandante faire n’importe quoi et aller contre la volonté de notre roi. "
Elle aurait dû s’en douter. C’était perdu d’avance. Il se fichait bien de son avis. Ses mains s’étaient agrippés aux accoudoirs de de sa chaise sachant parfaitement ce qui s’en venait.
"Vous êtes suspendue jusqu’à nouvel ordre. Vous n’êtes plus admise dans le bâtiment et vous n’avez plus accès aux dossiers du Shield. C’est Jüng qui prendra votre place. " Le couperet était tombé et il faisait mal. Le Shield était toute sa vie. Elle avait sacrifié tant de choses pour arriver à sa position et elle avait l’impression d’avoir fait tout cela pour rien. Dix années à travailler dur et fort anéanties en quelques secondes. Certes, ce n’était que temporaire, mais rien ne serait plus pareil à son retour. Elle allait devoir recommencer pratiquement à zéro. Elle baissa le regard. Elle ne voulait pas craquer devant Sebastian qui venait de lui enlever une partie d’elle. Tous ses projets et dossiers dans lesquels elle s’était investie corps et âmes allaient être pris en charge par quelqu’un d’autre. Elle savait que Leo allait faire du bon boulot, mais c’était son travail et ses recherches à elle. Elle hocha doucement la tête acceptant son sort. Elle n’avait pas l’intention de s’insurger ou de rouspéter. Cela ne servait à rien. Shaw avait besoin d’un exemple de punition exemplaire.
"Sachez que ça ne me fait pas du tout plaisir, Hill. Mais je sais que vous comprenez. " Elle le défia légèrement du regard avant de se lever sachant que c’était la fin de leur entretien. Il semblait réellement désolé, mais elle ne le prit pas en pitié.
"Je respecte votre décision commandant, mais je ne suis pas d’accord, non. " Maria tourna les talons et se dirigea vers la porte en prenant soin de bien faire claquer ses talons sur le bois franc. Juste avant de tourner la poignée de la porte pour sortir, Shaw s’adressa à elle une dernière fois.
"Maria?" Elle se retourna avec l’espoir que ceci n’était qu’une blague au creux du ventre.
"Je ne veux pas vous voir près de l’immeuble ou entendre que vous avez tenté de pénétrer dans nos systèmes ou que vous avez tenté de soudoyer un employé pour avoir des informations. Je ne voudrais pas à en venir en un congédiement. Laissez votre badge à Josephine avant de partir. " Puis, il lui tourna le dos. Elle était restée figée pendant quelques secondes n’en revenant pas. Elle se sentait comme une hors-la-loi. Elle se sentait humiliée et comme une moins que rien. Elle n’avait qu’une envie et c’était de partir de là. Elle ouvrit la porte, arracha son badge qu’elle lança sur le bureau de la secrétaire.