Les flashs lui agressent la rétine. Même à travers ses lunettes de soleil hissées sur son nez, ça continue de l’aveugler. Lorna met une main sur un côté de son visage pour s’en protéger. Elle voulait juste sortir s’amuser un peu à la base. Mais il faut croire qu’elle n’a plus le droit. Elle grimace quand Grudu (faudrait vraiment qu’elle lui demande son vrai prénom un jour, au lieu de se contenter de son surnom) écarte de son passage un photographe qui est trop près d’elle. Plus que jamais, Lorna déteste les bains de foules. Tout ça à cause d’un incident qui a eu lieu au cours de la soirée. Elle se rendait juste à un concert à la base. Celui de Katsu Iwasaki. La soirée, c’était ça. Ecouter de la musique, danser, s’amuser. Mais il a fallu qu’un pauvre imbécile vienne la gâcher en lui lançant le contenu de son verre de bière à la tronche pour protester contre le gouvernement en place. Ce qui devait arriver était arrivé. Grudu avait plaqué cet abruti au sol et l’attention générale avait été tournée vers Lorna qui ne savait plus où se mettre. Obligée de quitter le concert au plus vite, maudissant Grudu. Les médias vont se délecter de cette histoire. Lorna n’est presque jamais au coeur de scandale. Il y a eu cette affaire de photo avec Keith qui a vite été oubliée. Elle fait attention à ça. Mais vu que Pietro a décidé d’être sage et jouer son rôle d’héritier, l’attention des tabloids se tourne vers la petite dernière, qui veut simplement vivre sa vie. En espérant qu’elle fasse un faux pas.

Elle soupire, presse le pas et baisse la tête en serrant les dents et les mâchoires, les yeux au bord des larmes. Des larmes de rage. Elle n’a rien demandé. Elle veut juste être tranquille pour s’amuser. Mais elle s’appelle Lorna Lehnsherr et l’Ultimate Festival de Genosha est une plaie béante dans le coeur des habitants de l’île. Pour la première fois de sa vie, Lorna déplore d’être la princesse. Là tout de suite, alors qu’elle retient des larmes de rage et des insultes envers les photographes, encore dégoulinante de la bière qu’elle s’est reçu en plein visage, elle donnerait n’importe quoi pour être une fille normale. Et surtout, pour ne plus porter ce nom. Son garde du corps fait le vide devant elle pour qu’elle puisse avancer et c’est une épreuve pour Lorna. La voiture est un peu plus loin, mais Lorna décide brusquement de pivoter et de s’engouffrer par la première porte qui se présente à elle. Elle n’a pas regardé l’enseigne. Elle s’engouffre et s’adosse la porte en soufflant, le coeur battant. Le calme à l’intérieur de son refuge contraste avec l’agitation de l’extérieur. Elle en profite pour souffler et écarter les mèches de cheveux qui collent à son visage. Elle sortira quand elle sera certaine qu’on la laissera tranquille. Elle ne veut pas avoir à s’expliquer pour le geste de son garde du corps, ni sur les décisions politiques de son père, ni sur quoi que ce soit d’autre. Là, elle veut qu’on l’oublie. Elle redresse la tête et voit des regards tournés vers elle. Merde. Elle est dans un bar ? Elle a même pas fait gaffe. De la musique parvient à ses oreilles et elle distingue une scène. Ah bah super. Elle a voulu fuir la foule et elle n’a rien trouvé de mieux pour ça qu’un bar. Elle se redresse et se racle la gorge en adoptant une pose naturelle. L’air de rien. Elle se dirige vers la serveuse la plus proche, comme si c’était son intention première et comme si elle ne venait pas du tout d'échapper à des photographes. « Ahem, bonsoir ! Euh… Est-ce que vous avez une table de libre ?» Est-ce que c’est le genre d’endroit où il faut réserver ? Elle ne sait pas trop. Elle n’est jamais venue ici. Ça ne ressemble pas à un bar classique, en fait. Et là, c’est un peu dur de garder la face et avoir l’air de rien quand beaucoup de regards sont braqués sur elle.

   

Lorna fulmine toujours parce qu’elle se sent souillée. C’est bien la première fois qu’on lui jette de la bière au visage. Elle ne se sent même pas désolée pour le pauvre crétin qui s’est fait étaler par terre pour son garde du corps. Pas la moindre pitié. Ça ne lui ressemble pourtant pas de ressentir une telle colère, elle qui est plutôt souriante, avenante et qui prend un soin particulier à s’assurer que tout le monde va bien du mieux qu’elle le peut. Ont-ils oubliés qu’elle aussi, elle s’est fait agressé par la Garde Rouge lors de ce festival ? Alors qu’ils sont censé travailler pour sa famille ? Que Pietro aussi s’était retrouvé là ? N’ont-ils pas compris que Pietro et Lorna n’avaient rien à voir avec cet énorme gâchis qu’était l’Ultimate ? Non. C’est plus facile de s’en prendre à elle alors qu’elle avait subi ça comme tout le monde. C’est plus facile de lui lancer sa bière en pleine tête alors qu’elle est là pour écouter un concert et oublier la situation catastrophique de l’île.

Mais elle se force à adopter une posture naturelle devant la serveuse qui se trouve devant elle, souriant comme la princesse qu’elle est et tentant de masquer sa rage. Les mots qu’elle lui adresse semble la faire sursauter. Mince. La dernière chose dont Lorna a besoin, c’est qu’on fasse dans la cérémonie. Le sourire poli de la serveuse la rassure. Elle s’est réfugiée ici pour souffler un peu. La musique est d’ailleurs très agréable et Lorna la suit sans tarder. Elle ramène ses cheveux derrière ses oreilles et avance en scrutant les lieux. C’est vraiment sympathique, cet endroit. Elle n’est jamais venue ici et regrette un peu. Ça la change de ces trucs huppés où elle va d’habitude. Genre le bar à cocktail sur la plage où le personnel lui réserve pratiquement un bout de la plage pour qu’elle puisse siroter tranquillement. C’est un peu de sa faute, au final, cette rupture qu’elle sent entre elle et le peuple de Genosha. Elle n’a jamais vraiment percuté que son train de vie n’est pas pour tout le monde et à quel point elle était privilégiée. Maintenant, elle s’en aperçoit. Elle s’en est aperçue lors du festival, quand elle a pu repartir sans être inquiétée alors qu’elle avait participé comme les autres à la défense des émergés et autres innocents qui se sont fait malmener. Elle sent un nouveau sentiment de la honte la submerger. Elle a été trop longtemps une enfant gâtée. C’est terminé, ça. Ça commence aujourd’hui. Ou pas, parce qu’elle est emmenée directement dans un salon privé. Et comme elle sait que la serveuse veut bien faire, elle n’ose pas lui demander à aller ailleurs.

Elle s’appelle Selena. Lorna enregistre son prénom et lui offre un magnifique sourire. « Enchantée, Selena ! Je m’appelle Lorna.» Elle se retient d’ajouter qu’elle doit déjà savoir qui elle est, mais elle met un point d’honneur à se présenter quand même. Parce que mince, hein. Elle doit cesser de se comporter comme une gamine à qui tout est dû et se montrer plus humaine. Elle jette un oeil sur la carte et ne sait vraiment pas quoi prendre. Elle hésite quelques instants et lève les yeux vers Selena, souriant toujours. « Pourquoi pas. Vous avez quelque chose à me conseiller ?» Dans le doute, toujours demander au personnel. Il sait ce qui est bon ou non. Elle se mord la lèvre car elle vient de se rendre compte qu’elle ne sait pas vraiment où elle est et que ce serait pas trop mal. « Je suis désolée, c’est quoi le nom de cet endroit ? Je me suis réfugiée ici sans vraiment regarder où j’allais et… Je suis un peu bête, des fois. Je vous demande de me pardonner.» Elle se sent tellement stupide.

   

Elle se sent idiote. Elle débarque ici, on lui déroule presque le tapis rouge et tout ce qu’elle fait, c’est demander où elle est, comme si elle émergeait d’un long sommeil. Voilà qui lui apprendra à ne pas regarder où elle entre. D’accord, elle voulait échapper aux photographes et au bain de foule, mais tout de même. Grudu a vraiment de quoi se faire des cheveux blancs, là, si elle commence à entrer dans des endroits au hasard comme ça. Mais la façon dont Selena s’adresse à elle a pour résultat de détendre les nerfs en pelote de Lorna. Elle a un petit sourire alors qu’elle l’entend parler de l’endroit en disant qu’elle n’a pas à s’excuser. Puis en poursuivant avec une façon qui met Lorna à l’aise. Un petit sourire se dessine sur les lèvres de la Princesse qui se sent un peu mieux. Elle se sent quand même un peu naze, parce que c’est un peu sa responsabilité de connaître les gens de Genosha et la manière dont ils vivent. C’est la princesse, tout de même. Elle se sent hautaine avec cette façon de faire et ça ne lui plait pas du tout. Parce qu’elle n’aime pas agir comme ça. Au moins, elle a sa réponse. Le cabaret d’Idunn. Tenu par Loki Odinson.  Ses yeux s’éclairent en entendant le nom. Mais oui, bien sûr. Ce nom lui ai familier. Elle l’a déjà entendu au détour d’une conversation mondaine. Peut-être même qu’elle a croisé lors de l’une de ces réceptions. Elle hoche donc la tête, reconnaissante envers la jeune serveuse pour éclairer sa lanterne et le faire avec tact. « Merci. La prochaine fois que je verrais monsieur Odinson au palais, je lui ferais part de l’accueil exemplaire que vous m’avez fait. » Elle sourit de plus belle. Non vraiment, Selena est parfaite, là.

Une expression songeuse s’illustre sur son visage devant l’apéritif que lui conseille Selena. Quelque chose d’exotique ?  « Le nom est exotique, déjà. Je vous crois sur parole. Va pour un Mai Tai ! » Pourquoi pas. Il faut toujours faire de nouvelles expériences, dans la vie. Mais elle ne veut pas le déguster seule. Une idée un peu folle lui traverse l’esprit. Elle veut apprendre à connaître davantage les gens à Genosha ? Autant s’y mettre dès maintenant. Elle pose son coude sur la table, nichant son menton au creux de ses mains avec un petit sourire. C’est pas du tout princier, mais elle s’en fiche. Elle lève la tête vers Selena et hausse les épaules. « Ma requête va vous paraitre un peu dingue mais… pourquoi ne pas venir en déguster un avec moi ? C’est triste de boire seule, un peu. » Elle grimace de façon exagérée. « J’ai besoin de compagnie ce soir et j’aime beaucoup votre bonne humeur. Vraiment. Et… » Elle se rend compte qu’elle a l’air de draguer Selena sans le vouloir. Elle s’assène une énorme claque mentale avant de poursuivre en levant les yeux au ciel. « Je ne cherche pas à flirter ou quoi que ce soit, hein ? Je veux simplement… apprendre à connaître les gens. » Elle plante un regard empreint de sincérité en direction de Selena. La pauvre. Si elle ne le prend pas pour une folle, c’est déjà fait. Lorna secoue un peu plus la tête. « Je ne veux pas vous obliger. Si vous avez trop de travail, je ne veux absolument pas qu’il vous arrive des problèmes à cause de moi. » Manquerait plus que ça, en plus. Elle n’a absolument pas envie que Selena se retrouve avec des ennuis parce que Lorna a fait son petit caprice. Elle lui lance un regard encourageant pour lui faire comprendre qu’elle acceptera son refus, si jamais.

   

Mais qu'est-ce qu'elle est en train de faire ? La pauvre Selena doit se poser des questions sur l'équilibre mental de Lorna et elle serait mal avisée de la juger, sur le coup. Ce n'est pas tous les jours que ce genre d'idée particulière lui prend. Elle ne pourrait pas en vouloir à Selena de se questionner, d'hésiter ou même de refuser. Après tout, ce n'était pas comme si ça venait de tomber comme un vulgaire cheveux sur la soupe. Lorna sent le rouge lui monter aux joues après avoir formulé sa requête. Elle peut aussi voir l'expression de Selena qui change du tout au tout. Elle poursuit donc, insistant bien sur le fait qu'elle n'est pas obligée d'accepter. Ce n'est pas parce qu'elle est de la famille royale que la jeune serveuse est forcée de venir s'asseoir à ses côtés.  Elle veut simplement, comme elle l'a expliqué, apprendre à connaître un peu mieux le peuple de Genosha, qu'elle ne fréquente plus de bien longtemps. Elle veut à tout prix changer les choses, la façon dont sa famille est perçue et remblayer le fossé qui se creuse entre eux et les habitants de l'île. Car la jeune princesse n'est pas idiote. Les derniers évènements de l'île ont mis à mal la confiance des habitants. Et elle ne pourrait leur en vouloir car elle ressent cette même colère. Ce profond sentiment d'injustice ne cesse de se tapir au fond d'elle. Elle perçoit l'hésitation de Selena et se sent encore plus idiote d'avoir demandé une chose pareille. Elle aurait dû s'en douter. Mais elle accepte finalement et Lorna s'autorise alors à souffler. Elle a toujours l'impression d'être idiote mais cette sensation s'est allégée en voyant le sourire de la brune. Elle tourne les talons pour aller chercher sa commande après avoir dit que c'était l'occasion de prendre sa pause. Lorna hoche la tête et dès l'instant où la jeune serveuse n'est plus dans son champs de vision, elle s'autorise à lâcher un énorme soupir de dépit contre elle-même. Mais quelle sombre andouille elle fait. Elle est complètement à côté de la plaque, complétement déconnectée de la réalité.

Elle passe tout le temps que Selena met à revenir à se morigéner, se répêtant qu'elle devait sortir de sa zone de confort. Lorna redresse la tête en entendant le pas léger de la serveuse qui dépose les boissons et des biscuits. Un fin sourire illumine le visage de Lorna en voyant les biscuits, sa gourmandise naturelle reprenant le dessus. « Oh ! Merci ! » A tous les cocktails mondains, c'est ce qu'elle préfère. Se servir dans les petits fours, enfourner dans sa bouche quelques amuse-bouches - beaucoup, en réalité - et passer au plateau suivant jusqu'à ce qu'elle les ait tous goûtés. Ce n'est pas très protocolaire, aussi, elle s'arrange pour le faire quand son père et Wanda ont le dos tourné. Elle écoute la requête de Selena et hoche la tête avec un grand sourire.  Elle regarde son verre, parsemé des couleurs vives du cocktail. En retirant doucement le petit parasol qui sert de décoration, Lorna y trempe les lèvres. Le goût lui plait énormément. « Vous n'aviez pas menti, c'est très exotique. Et ça me plait beaucoup ! » Pour confirmer ses dires, elle en reprend une gorgée. Elle repose le verre pour ne pas le boire trop vite car il ne faut pas oublier que c'est alcoolisée et elle se souvient encore de ce qu'il s'est passé la dernière fois qu'elle est sortie avec un verre de trop devant une horde de paparrazzi. Le doigt d'honneur qu'elle leur a adressé a servi d'argument à son père pour lui passer un savon monumental ! « C'est vous qui l'avez fait ? Si c'est le cas, il est très réussi ! » Souriant toujours, elle pioche dans les biscuits apéritifs. « Alors, dites-moi, Selena. Qu'est-ce que vous faites quand vous ne travaillez pas ici ? » Avec un regard plein de curiosité qu'elle pose sur Selena, Lorna mord dans le biscuit en se disant qu'on devrait pas lui mettre ces trucs à portée de main.