Le peu de fois où il a réussit à faire une nuit complète n’est plus qu’un souvenir. Il redevient familier avec la sensation de ne dormir que quelques minutes par nuit. Cette fatigue omniprésente qui lui dessine d’immenses cernes sous les yeux. Et aujourd’hui, plus que d’habitude. C’est pas faute d’essayer. Il s’allonge, fixe le plafond en espérant que le marchand de sable ne soit pas trop radin voire même qu’il y aille à coup de pelle pour lui. Mais non. Les yeux grands ouverts, il attend en vain que le sommeil vienne. Le fait qu’Ezra soit au plus bas ne l’aide pas à fermer les yeux calmement et se laisser emmener dans les bras de Morphée. Ce mélange d’inquiétude et de fatigue, saupoudré par un léger - gros - manque de patience le rend irritable et peu enclin à communiquer avec les autres êtres humains. Et aujourd’hui, c’est Karen qui en a fait les frais, alors qu’elle voulait simplement lui demander quelque chose d’innocent. Il avait fallu qu’il se fasse engueuler par ses patrons pour qu’il comprenne qu’il était allé trop loin. Et au lieu de s’excuser comme il l’aurait fait en temps normal, il a préféré se murer dans le silence avant de claquer la porte du cabinet pour prendre sa journée. Ce n’est seulement une fois dehors qu’il s’est demandé où il devait aller. Il ne pouvait pas rentrer car ça attirerait des questions et éventuellement des leçons de morale de la part d’Ezra, quand il se sent assez en forme pour lui passer quelques savons. Et il ne peut décemment pas envoyer chier son meilleur ami. Pas maintenant. Lunette de soleil sur le nez pour cacher ces maudites cernes et son envie de tuer n’importe qui, il décide de passer la journée dehors, à prendre l’air.

Et c’est ainsi qu’il se retrouve à Prenova, sans réelle raison. Fumant bien trop de cigarettes pour que ce soit bon pour lui. Ce n’est pas juste pour les autres de supporter ses sautes d’humeur mais cette fois, il s’en fout. Il s’en fout tellement qu’il n’a pas l’intention de s’excuser auprès de Karen avant un moment, ni même de donner signe de vie avant que sa colère et sa mauvaise humeur soit retombée. Ça ne lui plait pas d’être ce connard-là mais il persiste dans sa mauvaise foi et continue de rager intérieurement dans sa tête, en se disant que c’était la faute de sa collègue, non la sienne. Ces excuses marchent habituellement avec Keith. Pas avec Karen. Parce que Karen n’est pas Keith et qu’elle l’a toujours soutenu. Il jure dans sa barbe en balançant son énième clope au sol pour reprendre son tour de Prenova. C’est vraiment une mauvaise idée, parce que ça ne le calme pas. Ses pas le mènent dans une rue qu’il connaît bien parce qu’il a l’habitude de s’y arrêter pour se prendre un café quand il passe dans le coin. Et là tout de suite, un café n’est pas une mauvaise idée. Il n’en a presque pas bu de la journée et ça expliquerait peut-être sa mauvaise humeur. Seulement… Il y a beaucoup de trop de monde à l’intérieur pour son propre bien. Il jette un coup d’oeil à son téléphone pour regarder l’heure. Il lui reste un peu de temps à tuer avant de pouvoir rentrer l’air de rien à Hammer Bay. Il fait le calcul. Il passe en coup de vent, commande sa boisson à emporter et part se mettre dans un endroit tranquille pour profiter d’un peu de solitude et de calme. Ça, c’est le bon plan. Il range son téléphone et pousse la porte. Il est accueilli par la meilleure des odeurs. Celle des grains de cafés. Rien que ça, ça le rend plus enclin à supporter les gens parce que ça vaut le coup. Il n’y pas de problème qui ne peut être résolu par un bon café. Enfin, dis comme ça, ça semble vachement utopique mais il se comprend. Le café, c’est la clé.

C’est pendant qu’il patiente avec son téléphone dans la main qu’il entend les conversations des autres. Il les écoute sans vraiment les écouter. La blonde devant lui parle à ce qui semble être sa meilleure amie du dernier film qu’elle a vu, le couple qui passe près de lui s’engueule à voix basse parce que madame a oublié que monsieur ne prend jamais de sucre dans son café et un groupe d’ado s’esclaffe dans un coin parce que l’un d’eux a dit une blague très drôle. Et rien que ça, ça lui fait prendre conscience qu’il est minuscule dans la grande machine de la vie. Que la terre continue de tourner et que sa mauvaise humeur passagère n’est qu’un détail. Il lève les yeux au ciel en se traitant d’idiot. Parce qu’il a vraiment l’air stupide maintenant. Il s’excusera auprès de Karen demain. Il ira chercher des cafés et des donuts pour tout le cabinet histoire de se faire pardonner. Il n’aime pas être ce connard qui laisse ses sautes d’humeur le contrôler et le rendre imbuvable pour tout le monde. Il se gratte la nuque en tournant la tête, parce qu’il se maudit d’être aussi con par moment. Et c’est là que ça se gâte. Comme dans un film, la scène semble se dérouler au ralentis. Il croise le regard d’une fille à la chevelure rousse et son coeur s’arrête de battre tandis que son regard s’agrandit par la surprise. Il se fige en voyant son expression. Combien y’avait de chance pour qu’il la croise ici ? Pile aujourd’hui ? Ce n’est pas comme si ça fait un an qu’ils s’évitent soigneusement, parce qu’ils ne sont pas remis tous les deux de ce moment dans le garde-manger du Pegasus. Très vite, les flashs de cet évènement lui revienne en tête alors qu’elle s’avance vers lui. Il commence à paniquer plus qu’à être gêné.

C’est Dylan, son amie et le grand amour d’Ezra et pourtant, il est pas capable de se comporter comme si rien ne s’était passé. Il baisse la tête quand elle le salue, se mordant la lèvre. « Salut, Dylan. » Un an à s’éviter, ça ne peut que rendre la situation très gênante pour les deux. Surtout après l’aveu d’Ezra. Il pourrait lui en vouloir d’avoir laissé tomber son meilleur ami mais ce n’est pas son genre. Il lui en veut juste un peu de ne pas avoir été là à la mort d’Archer et des évènements qui ont suivi. Mais là encore, comment aurait-elle pu savoir que ça allait arriver et qu’Ezra péterait un plomb ? Elle n’aurait pas pu. Assez gênant, c’est le cas de le dire. Gabriel a un rire nerveux. Ouais. Gênant. Heureusement qu’il a ses lunettes sur le nez parce qu’il se doute que son expression doit valoir le détour. « Je m’attendais pas à croiser des connaissances non plus, si ça peut te rassurer.» Et comment il est censé répondre à sa question au juste ? Oui ? Non ? Ne se prononce pas ? C’est pas une inconnue non plus. Elle le connait, depuis tout ce temps. Elle sait comment il réagit. « Je vais… pas trop mal. » Et un petit sourire pour se donner une contenance. « J’étais dans le coin pour… prendre un café.» Il désigne le comptoir et se trouve idiot d’avoir dit ça, vu qu’effectivement, ils sont dans un café et qu’il n’est pas venu pour acheter une brosse à chiottes. Mais avant d’être encore plus ridicule qu’il ne l’est, il décide de retourner la question à Dylan. « Et toi ? Comment tu vas ? Depuis…» Bordel, Gabriel, ferme ta gueule. «… ce temps ? » Crétin. Tu n’es qu’un crétin. Il se met une énorme baffe mentale. Il soupire. Il n’est vraiment pas doué pour jouer à ça. Autant mettre les pieds dans le plat et crever l’abcès une bonne fois pour toutes. « Je vais pas y arriver. On peut continuer à faire semblant ou on peut aller discuter comme des adultes dans un coin avec un café ? » Ils ont pas mal de chose à se dire, en fait. Beaucoup, beaucoup de choses à se dire.

 Les pensées se bousculent, frayent un chemin dans sa tête embrumée par toutes ces questions. Comment elle va ? Qu’est-ce qu’elle devient ? Et tant d’autres, qu’il peine à formuler même en pensée, parce qu’elle le concerne, lui. Il n’y arrive pas. Faire semblant, comme si le Pegasus n’était jamais arrivé, comme si il n’y avait pas eu toutes ces tragédies qui s’étaient succédées les unes après les autres. Malgré tout ça, Dylan reste son amie. Et là, dans ce café, Gabriel n’arrive pas à faire semblant. Il ne veut pas qu’ils restent à se regarder en chien de faience dans une situation gênante, à chercher leurs mots et tâtonner. Peut-être que leur relation ne sera plus jamais comme avant, mais ils doivent crever l’abcès. Ça ne peut pas être pire que maintenant. Il lui propose donc d’en discuter, calmement. Mettre les choses à plat. Aborder les sujets qui fâchent. Ezra, la mort d’Archer, le Pegasus. Le bébé. Il lui désigne une table et va s’y asseoir avec elle. Ça le stresse un peu mais il se souvient que c’est lui qui a proposé ça. Il a envie de fumer une cigarette pour se donner du courage.

Dans le coin de la pièce, ils sont plus tranquille pour discuter, avec juste assez de bruit de fond pour se faire oublier et donner l’impression que personne n’est en train de les écouter. Il est calme malgré tout. Il a fini par virer ses lunettes de soleil et les poser devant lui sur la table. Il doit avoir une sacrée tête mais il s’en fiche. Il n’est plus à ça près, maintenant. Une serveuse arrive, prend leur commande et il donne la sienne sans la moindre hésitation. Il attend patiemment que Dylan choisisse et il remarque que sa voix tremble. Il se mord la lèvre et sent l’appréhension lui brûler la peau. Il ne sait pas où cette discussion va les mener, car il y a tellement de chose à dire. Il regrette presque. S’il s’écoutait, il serait déjà parti sans demander son reste mais il sent qu’il doit rester. C’est bizarre un peu, dans sa tête. Il y a ce silence gênant entre eux, cet ange qui passe et qui s’arrête à la moitié du chemin. Et qui reprend sa route quand la serveuse revient au bout d’un moment. Il ne pensait pas que ce serait si difficile, en fait. Il ne sait pas par où commencer, quel sujet aborder et comment la discussion va tourner. Et c’est finalement Dylan qui prend les devants. Merci à elle.

Il a presque envie de rire nerveusement à sa question. Oui, Ezra lui a dit. Des mois et une tentative de suicide plus tard. Gabriel retient de justesse la réponse et se contente d’un simple hochement de tête. Dylan poursuit et Gabriel l’interrompt à voix basse en secouant doucement la tête. « T’as pas besoin de te justifier, Dylan…» Non, elle n’en a pas besoin. Il pourrait lui en vouloir mais les ruptures… C’est quelque chose de normal. Et après ce qui s’est passé… Voilà quoi. Il peut comprendre. Il n’approuve pas pour autant parce que Ezra est son meilleur ami mais il peut comprendre.  Le sujet Archer vient aussi sur le tapis. Et là, Gabriel baisse les yeux sur la table. La mort d’Archer et ses conséquences. Les jours étranges qui se sont succédés. L’enterrement, qu’il revoit dans sa tête mais qu’il a l’impression de vivre en tant qu’étranger, car il n’a jamais été très proche de cet Andrews. Dylan n’a pas osé aller les déranger. Là encore, il est bien placé pour comprendre. Il a ressenti la même chose. Dylan et lui, même s’ils gravitent autour des Andrews, ne font pas parti de leur famille. Gabriel considère Maggie et Ezra comme les frères et soeurs qu’il n’a jamais eu - encore que, une soeur, il en a bien une, mais c’est encore un autre sujet - mais ce genre d’évènement lui fait également comprendre que ouais, il n’est pas un Andrews, lui. « Ouais… C’était bizarre…» dit Gabriel plus pour lui-même que pour Dylan.

Et enfin, la question. Celle qu’il appréhende le plus parce qu’il ne sait pas comment y répondre. Oui, ce serait mentir. Non, ce serait trahir un peu Ezra. Il se retrouve acculé, dans un impasse, à chercher ses mots. Il baisse à nouveau les yeux, jouant avec ses lunettes de soleil pour chercher la meilleure formule possible pour dire à Dylan que non, Ezra ne va pas bien du tout mais sans le dire à voix haute. Il redresse la tête pour regarder la rousse, inspirant. « Il vient de perdre son frère. Tu connais Ezra.» Gabriel se mord la langue et baisse à nouveau la tête. Et puis merde, elle a le droit de savoir. Tant pis si Andrews lui en veut. Dylan aura peut-être plus de chance de l’aider que lui. Il ne sait pas quoi faire, à part proposer des solutions sur le court terme et craindre qu’Ezra fasse une connerie quand il n’est pas là. Voir son meilleur ami dans cet état le tue à petit feu parce qu’il ne sait pas quoi faire pour le tirer de là. Il secoue la tête et crève l’abcès. « Non, il ne va pas bien. Le soir de la mort d’Archer… Il… Il a bu.» Gabriel porte une main à sa tempe en fermant les yeux. Le manque de sommeil, ajouté à un sujet difficile à aborder, ça commence à lui filer mal à la tête. « Il a mis le feu à son atelier. Il n’a rien, il est chez moi en attendant de trouver un autre endroit où vivre mais… Comme tu t’en doutes, c’est pas la joie.»  

Il a l’impression d’avoir trahi Ezra. Balancer ça comme ça, de but en blanc. Ezra ne voudrait pas que Dylan le sache. Ezra ne voudrait pas que Gabriel vende la même de cette manière. Mais Ezra a besoin d’aide. Plus que jamais. Une aide que son meilleur ami, désarmé, ne peut pas lui apporter. Il voit celui qu’il considère comme son frère en train de mourir à petit feu et il ne peut rien faire d’autre que d’angoisser, de s’imaginer le pire à chaque fois qu’il retourne dans son appartement. Il ne peut pas le surveiller en permanence. Il a déjà essayé une fois, qui sait ce qui pourrait l’empêcher de recommencer une seconde fois. Cette île les a tous brisé. Paradisiaque, dit-on de Genosha. Non, c’est tout sauf paradisiaque. C’est l’enfer sur terre, actuellement. Enfin, c’est l’impression qu’il en a. Il se sent balloté au gré des différentes tragédies qui secouent ses proches. Et celles qui le touchent personnellement. Il perd la tête, il le sait. Mais il s’interdit de craquer une nouvelle fois. Parce que cette fois, on a besoin de lui. Ezra a besoin de lui. Ce sont les pensées qui lui traversent la tête alors qu’il est en train de dire ce qu’il sait à Dylan. Il lui explique pour l’incendie, les conséquences de la mort d’Archer sur Ezra. Gabriel en dit bien trop et il sait qu’Ezra va lui en vouloir. C’est pour ton bien. Il se rassure de cette manière. Dylan a le droit de savoir, car elle tient à Ezra autant que lui, si ce n’est plus. C’est pour le bien d’Ezra et peut-être que Dylan sera cette bouée à laquelle il pourra se raccrocher. Ça ne lui ressemble pas de fonder tous ses espoirs en quelqu’un mais là, Gabriel a désespérément besoin de quelque chose pour ne pas sombrer, lui aussi.

Il a du mal à contenir cette migraine qui lui scie la tête. Le manque de sommeil, des émotions trop forte… Ce putain de sujet qui concerne la tentative de suicide de son meilleur ami. Il glisse un regard pénétrant sur Dylan qui digère la petite bombe qu’il vient de lâcher. Il s’en veut d’avoir lancé ça comme ça. Dans ces circonstances. Il lit dans ses yeux qu’elle comprend ce que ça implique. Il baisse à nouveau la tête en fixant sa tasse de café. Ezra a tenté d’en finir, oui. La question de Dylan en revanche le prend de court. S’il a du le sortir de là ? Il cligne des yeux une fois, puis deux, avant de déglutir. Les images de cette soirée reviennent une nouvelle fois. Il n’a pas vraiment cherché à comprendre ce qui a pu se passer quand il est arrivé à l’atelier. Il avait d’autres priorités, comme sortir de là en vie avec Ezra. C’est un coup de chance que l’incendie se déclenche au moment où il était dans les parages. Qui sait ce qui aurait pu arriver s’il n’était pas… Il ne veut pas terminer cette phrase parce que cette réalité est trop dure à accepter. Il ferme les yeux en hochant la tête, fuyant le regard de Dylan. Il ne veut plus jamais revoir Ezra comme ça. A le supplier de laisser là, dans une maison en feu. Il ne veut plus jamais avoir à voir cette volonté de mourir dans les yeux de son meilleur ami. C’est avec une voix basse qu’il se reprend. Lui aussi, il doit accepter cette réalité. « En fait… j’étais dans le coin quand j’ai entendu l’alarme. J’ai rien pu faire de plus. » Il a juste réussi à sauver Ezra. Pas le reste de la maison. Il se revoit encore, à éteindre les flammes qui les empêchaient de sortir de l’atelier d’un simple geste de la main, comme s’il les contrôlait. C’était trop bizarre et il se demande encore s’il n’a pas juste rêvé de cet instant. Vu que son état mental laisse clairement à désirer ces derniers temps, ce ne serait pas étonnant.

Il redresse le menton quand la phrase suivante flotte dans l’air. Il faut qu’elle le voit. Malgré lui, Gabriel hoche une nouvelle fois la tête. Oui. Ezra a besoin de Dylan. Tant pis si Andrews lui en veut. Encore une fois, c’est pour son bien. Encore une fois, c’est pour l’aider à remonter. Il a besoin d’aide. « Il faut que je te prévienne, Dylan. Ezra est… » Merde. Il n’arrive même plus à le dire. « Ezra n’est plus que l’ombre de lui-même. Il fait bonne figure pour ne pas m’inquiéter mais… Je connais cet état émotionnel. Il faut y aller en douceur sinon il va se braquer. » On peut aisément se demander s’il parle pour Dylan ou pour lui-même. N’a-t-il pas trouvé le moyen de coller son poing dans la tronche d’Ezra en apprenant qu’il voulait mourir ? Meilleur ami du monde, le Gabriel. Vraiment. Il se déteste encore pour ça. Il braque une nouvelle fois son regard sur elle et s’autorise un sourire. « Tu sauras t’y prendre mieux que moi pour ça. »

Aussi étrange que paraissent ces retrouvailles avec Dylan, dans des circonstances inattendues, Gabriel est heureux qu’elle soit là. Si elle se trouve avec lui, alors il y a plus de chance de réussir à gérer le problème d’Ezra. Elle le connaît autant que lui, voire mieux que lui. Elle connaît des facettes de son meilleur ami que Gabriel ignore pour être proche de lui de façon bien plus intime. Elle pourra ainsi, gérer plus facilement la situation dans laquelle Gabriel s’enlise. Mais pour l’instant, il doit expliquer à Dylan ses craintes, ce qu’il s’est passé dans leur maison ce soir-là et comment est vraiment Ezra. La tête baissée vers sa tasse de café qui refroidit, il ne rentre pas dans les détails, il explique simplement ce qu’il y a à savoir. Il n’avait pas prévu de tout déballer, comme ça. De but en blanc. Un mot après l’autre, il finit par dire la vérité, la douloureuse vérité à Dylan. Il voit le visage de la rouquine se décomposer et il s’en veut. Pourtant, elle croise son regard et lâche, telle une bombe, qu’elle doit voir Ezra. Pour Gabriel, c’est peut-être la solution. La façon dont ils pourraient, Dylan et lui, sortir Ezra de cet état inquiétant. Et ses avertissements, Dylan les foule du pied. Elle a le point. Elle était sa fiancée. Elle sait qui il est et comment il fonctionne. Alors, au fur et à mesure que les mots sortent de la bouche de Dylan, un petit sourire se dessine sur les lèvres de Gabriel. Oui, Dylan saura bien mieux s’y prendre que lui, pour ça. Largement mieux.

Il y a cet instant où la main de Dylan entre en contact avec celle de Gabriel. Cette petite seconde où il réalise. Ça fait un an qu’ils n’ont pas eu cette proximité. Un an qu’ils ne se sont pas parlé. Il lève les yeux vers elle et marque une hésitation avant qu’elle ne parle une nouvelle fois. Elle le remercie et il secoue la tête pour lui dire que c’est normal. Ezra est son meilleur ami, non ? C’est à ça que ça sert, les amis. C’est à Dylan de faire le premier pas vers lui. Peut-être. Gabriel a préféré ne prendre aucun parti dans cette rupture, même s’il est du côté d’Ezra quoiqu’il arrive. Cependant, il comprend les raisons de Dylan. L’épreuve qu’elle a traversé. Le bordel que ça doit être dans sa tête. Il comprend tout ça et serait mal placé pour la juger. Si seulement ça lui venait à l’idée de juger Dylan, qui est la personne la plus douce qu’il connaisse. Si elle estime qu’elle doit faire le premier pas, Gabriel ne peut que l’encourager. Surtout si ça peut aider Ezra. Il lâche cependant un petit rire quand elle mentionne le fait qu’Andrews risque de lui en vouloir. Oh ça… Il le sait. Il le sait très bien. Il va lui en vouloir, c’est certain. Mais il en fait son affaire. En revanche, la dernière phrase de Dylan le laisse perplexe. Se laisser consumer. Il se mord la langue.

Comment dire à Dylan que c’est déjà le cas ? Qu’il se laisse consumer progressivement depuis un an ? C’est simple, il ne le dira pas. Parce qu’il estime qu’il n’a pas à se plaindre. Il avance, malgré les tragédies qui secouent sa vie et la folie qui lui ronge le crâne à petit feu. Ces souvenirs, ces impressions. Cette sensation de ne pas appartenir à cette île. La sensation que tout part dans tous les sens et qu’il ne peut que contempler la lente destruction de tout ce en quoi il tient parce qu’il ne peut pas maintenir les morceaux ensemble. Cette culpabilité qui ne cesse de le ronger car il n’est pas là pour les gens qu’il aime. Ou seulement après. Quand il n’y a plus rien à sauver. La vérité, c’est qu’il s’est déjà laissé consumer mais qu’il garde la tête hors de l’eau parce que d’autres comptent sur lui. Il ne veut pas baisser les bras, Alors, face à Dylan qui espère qu’il ne s’est pas laissé avoir, il ne peut que sourire de façon rassurante, en hochant la tête. « Ne t’en fais pas pour moi. Ça va.» Il penche la tête sur le côté et sans s’en apercevoir, il serre la main de Dylan. La dernière fois qu’il a fait ce geste, c’était dans des circonstances différentes, alors qu’ils pensaient qu’ils allaient mourir tous les deux. Mais c’est derrière eux, maintenant. Il s’aperçoit que Dylan lui a manqué tout ce temps. La légèreté dans sa voix et cette façon d’apaiser son entourage… C’est une Dylan différente qu’il a en face de lui. Une Dylan marquée par les évènements. Mais c’est toujours Dylan, son amie. « Pour Ezra… Tu peux aller le voir à l’appartement quand je suis au boulot. Il n’y aura personne pour vous déranger, normalement. » Il se met à fouiller dans la poche de sa veste et attrape son téléphone pour commencer à taper quelque chose. « Je t’envoie le code pour entrer dans l’immeuble, comme ça, tu n’auras pas besoin de sonner. »