Faded
Ft Jennifer
Le silence. Jamais Connor n'en avait connu de semblable par le passé. Il lui semblait tout à coup si oppressant, si étouffant malgré le calme environnant. Où était les rires de son enfant? De son unique fils qui devait fêter ses trois ans prochainement. Où était les sourires, les élans de tendresse de sa chère femme quand il revenait enfin à la maison?
Oui. Ce silence l’oppressait, le rendait de plus en plus nerveux, agité. Il avait mal. Son cœur brûlait mais il n'arrivait toujours pas à pleurer. A verser des larmes pour faire ressurgir sa colère, sa tristesse, son désarroi et sa peine destructrice.
Une semaine. Une semaine s'était déjà écoulé depuis qu'Inès était partit avec Will, laissant leur maison vide. Une semaine qu'elle avait quitté leur nid familial pour rejoindre ce médecin, le privant ainsi de sa présence et de celle de son fils. Il avait bien tenté de la joindre. Oh oui. Il avait bien tenté de lui faire entendre raison. De la faire revenir à la maison sans grand succès. Il avait bien cherché à comprendre, à se battre pour préserver leur famille. Pour se faire pardonner d'être resté si longtemps au front. De les avoir abandonner au profil de la guerre. Au profil de son métier de soldat. Mais... Inés n'avait rien voulu entendre. Elle ne lui avait donné aucune explication et le voilà, seul, abandonné dans cette grande demeure sans autre compagnie que ce fichu silence.
Connor avait toujours été un homme simple, loyal, calme et prévenant. Il avait toujours été un bon mari jusqu'au jour où il s'était enrôlé dans l'armée, rejoignant la Navy Seals pour servir son pays. Là-bas. Il avait changé. Radicalement. Il s'était endurci, plus encore. Il était devenu plus froid, distant, moins souriant. Plus réservé aussi et moins enclin à profiter du moment présent. Oui. La guerre l'avait changé, sur bien des manières. Sur bien des façons. Il avait vu trop de drame dans ce monde. Il avait assisté à trop de massacre. Il avait perdu trop d'amis pour faire comme si de rien n'était et maintenant que tout ça était derrière lui. Maintenant qu'il avait reçu sa liberté, après de bon et loyaux services, voilà que cela se retournait contre lui.
Solitude. Cauchemars. Souffrance. Mort et regret. Assis sur le rebord du lit, une bouteille d'alcool à la main, le blond ferma les yeux et avala difficilement sa salive. Il avait beau recevoir régulièrement la visite de Poppy. De sa petite Poppy qu'il chérissait par dessus tout, il n'arrivait pas à sortir de sa léthargie. Il n'arrivait pas à remonter la pente et se contentait de rester là, seul, immobile assis sur un lit dépareillé en attendant que le temps passe.
Il n'arrivait pas à trouver le sommeil de toute façon. Chaque fois qu'il s'endormait, les même images lui revenaient en tête et il gigotait, gémissait, se réveillait en sueur avec l'envie subite de se mettre une balle dans la tête. Es-ce qu'il ressentait le désir de franchir le pas? Par moment oui. Par moment non. Tout dépendait du jour, de l'heure, de son état d'esprit et de ses émotions. Un soupir s'échappa alors d'entre ses lèvres et il frotta son visage avec une main, prit une nouvelle gorgée de son poison bienfaiteur avant de se lever difficilement de son assise.
Pendant quelques instants, quelques minutes, Connor déambula dans les couloirs. Sans but précis. Il termina son whisky d'une traite et s'immobilisa soudain devant une glace, où reflétait son visage lassé, fatigué par tout les déboires qui l'accaparaient jusque là. Une barbe de plusieurs jours entourait son menton, contournait son nez, lui picotait la peau, la rendait légèrement rougi et sensible. Ses cheveux blonds ne ressemblait plus à rien. Ils partaient dans tout les sens, devenaient instable, irréguliers, mal coiffé en l’occurrence. De longues cernes entouraient ses yeux bleus, bouffis par le manque évident de sommeil. Devant sa propre vue, son propre reflet, le soldat grogna, gronda, s'en détacha bien vite avant de se diriger cette fois vers la cuisine.
Triste image que lui-même. Triste constat de se voir aussi détruit, fatigué par toute la souffrance évidente qui l'envahissait. Ouvrant le frigo, Connor s'adossa contre la porte et le referma bien vite, peu enclin à remplir son ventre vide. Il n'avait pas faim de toute façon. Il voulait juste boire. Boire et oublier tandis que le visage de Will, le sourire de son enfant se dessinait de plus belle à son esprit avant de disparaitre dans l'oubli, emportant le peu de force encore qui lui restait.
Ce fut seulement quand il atteignit le salon qu'il entendit quelqu'un frapper à la porte. D'abord une fois puis deux. Fronçant les sourcils, le militaire tourna mollement la tête en sa direction mais n'alla pas ouvrir pour autant. Il se contenta de serrer la mâchoire, les poings, de grommeler d'une voix rauque :
- Laissez moi tranquille. Fichez moi la paix et allez-vous en. Je ne veux voir personne.
Avant de s'en détourner et d'aller s'affaler sur le canapé, pied adossé contre la table basse à ouvrir cette nouvelle bouteille de Whisky brut.