Matthew s’était emparé de son téléphone après ses retrouvailles avec Maria. Pourquoi ? Parce que croiser la petite brune un peu par dépit au milieu d’une enquête pour le moins laborieuse, ça lui donnait l’impression de faire les choses totalement à l’envers. Il y avait des dizaines de personnes, sur l’île, de qui il voulait des nouvelles, et qu’il n’avait pas pris la peine de contacter à son retour. Il s’était concentré sur le boulot en oubliant le reste, en taisant la petite voix agaçante de Foggy le poussant à y aller doucement. Pourquoi faire ? Il n’en comprenait pas l’intérêt jusqu’à maintenant, sans doute plus par bêtise qu’autre chose.

L’idée de devoir reprendre contact avec toutes ces personnes lui donnait l’impression de devoir tirer un trait définitif sur Jenn. Et, en faisant ça, d’admettre à quel point il était un grand idiot. Les lèvres pincées, il avait alors cherché dans son téléphone le numéro de Natalia. Depuis qu’il la connaissait – et tout ça se comptait en années – elle était aussi l’une de ses plus vieilles amitiés sur Genosha. Il pouvait encore se rappeler de sa prestance, de comment elle lui avait taper dans l’œil la première fois qu’il l’avait vu, alors qu’il était tout jeune avocat sur le point de se lancer pour de bon. Oh, Nat n’avait pas manqué l’occasion pour poser très vite les bases d’une relation saine, et au bout, Matt n’avait pas cherché plus loin.

Le miracle fut qu’ils aient quand même gardé le contact malgré tout, qu’ils aient même creusé celui-ci. De ce que faisait Nat, Matt n’en savait pas grand-chose, mais il y avait une certaine simplicité entre eux. Ça aurait pu être intéressé, ça ne l’était pas. Comme si ce bras de fer n’avait aucun sens. Alors, il l’avait appelé, s’était vu soulagé de tomber sur son répondeur, lui avait laissé un message. Elle lui avait répondu par un petit texto, donnant un lieu et une date avec l’heure, pour un déjeuner tous les deux. Sobre, comme toujours, mais ça le rassurait d’une certaine manière. Comme le signe qu’elle n’avait pas vraiment changé.

Dans sa voiture qu’il gara sur sa place de parking toute trouvée, l’homme se rendit jusqu’au restaurant. Il n’eut pas besoin de grand-chose pour reconnaître son parfum. Elle n’était pas la seule femme dans la pièce, mais il y avait une odeur douce, caractéristique, qui suivait ses pas. Son regard s’était instinctivement braqué sur elle, et un grand sourire s’empara de ses lèvres :

Les embouteillages, j’suis un peu en retard, se justifia-t-il.

Nulle mention de son départ un an avant pour le continent, sans la prévenir de ça. Si elle avait cherché à le joindre, Foggy avait dû se charger de lui apprendre. Aucune remarque non plus sur cette reprise de contact abrupte qui avait suivi son retour finalement. Un an. Plus de trois cent jours. Des milliers d’heures.

Tu as l’air de te porter... Bien, comme avant, souffla-t-il avec le même sourire, alors que la serveuse – une jolie blonde, la vingtaine, leur apportait les menus. Il s’en empara, mais ne sut dire s’il fallait se cacher derrière ou aborder la conversation tout de suite.

Il y avait toujours dans l’attitude de Nat quelque chose d’ambigu, qui lui demandait de se concentrer pour savoir sur quel pied danser. Soit elle se jouait de lui pour l’enfoncer, soit elle avait un message de reprocher à lui faire passer. Il ne savait pas trop pour le coup, se contentant d’un regard par-dessus son menu pour essayer de la décrypter. Encore un point impossible la concernant – on ne lisait pas en elle. Elle restait une énigme qui s’assumait comme telle, et ça lui allait si bien.

C’est bizarrement quelque chose que j’ai déjà entendu, commenta-t-il avec douceur en la fixant toujours.

Son appel avait tardé. Son appel avait manqué.

Le courage n’avait pas toujours été au rendez-vous, il fallait bien l’admettre. Ça lui avait fait loupé des opportunités, pour sa vie personnelle surtout. Là où sa carrière avait décollé en un rien de temps, portant le nom de son cabinet parmi les meilleurs. Il espérait pouvoir réaménager les locaux d’ici quelques semaines, profitant de ce projet pour le proposer à ses collaborateurs. Comme une sorte de félicitation pour tout ce qu’ils avaient pu accomplir.

Le retour implique un décalage horaire, rien de très nouveau. Le continent se porte bien. Et l’île a bizarrement plus de mal de ce côté-là. Des banalités, tout ce que Nat détestait, et qu’il lui servait pour la taquiner. Elle était pourtant au fait de bien plus de choses dans sa vie, et Matt mit du temps à les aborder. Sans doute parce que faire le point maintenant de tout ça lui donnait mal au ventre. La réussite n’était pas totale, il avait privilégier les mauvais aspects : Jennifer ne veut toujours pas me voir, encore moins me parler. Foggy essaie de ménager la chèvre et le chou. Mes employés me cachent quelque chose. Mais les affaires se portent bien.

Le résumé était donc efficace, comme à son habitude. Entre eux, perdre du temps n’était pas l’usage, et Matt était content de voir que ce point n’avait pas changé.

Dis-moi que tu as des nouvelles aussi tristes que les miennes, sinon, on devra boire seulement au désespoir de mon existence pathétique. Ça sera pas vraiment de bonnes retrouvailles. Plaisanta-t-il.

Un silence tomba entre eux. Qu’il trouva lourd, teinté de jugement. Peut-être du poids de la culpabilité.

Désolé de ne pas t’avoir prévenu. J’avais compris en partant que c’était une connerie. Mais quitte à en faire une, autant la faire jusqu’au bout. se justifia-t-il.