Un jet de toile par-ci, une autre par-là, bon, ça devrait être aisé tout ça. Le problème étant tout de même que j’ai quelques difficultés à me remémorer la totalité de ma vie d’avant. Quand bien même j’ai eu l’occasion de mettre les points sur les i avec certains alliés me concernant, tout n’est pas clair. Loin de là, même. Je sais qui je suis, ou plutôt qui je suis censée être, mais ce n’est pas comme si… ce n’est pas comme si je pouvais effacer toutes les années vécues à Genosha en un claquement de doigts. J’ai l’impression de devenir folle, en vérité, alors que deux réalités se superposent dans ma tête. L’avant, et l’après. L’après quoi du coup ? Scarlet Witch, apparemment. Pour ce que ça devrait me parler, vraiment. Il n’y a plus rien qui fait sens dans mon esprit, et c’est bien pour ça que je me retrouve là, aujourd’hui. A me tendre au bout d’un fil depuis les hauteurs des plus impressionnants buildings. Avec plus ou moins de succès, mes réflexes étant là, mais mon intelligence un peu moins. Je suis trop préoccupée par le changement opéré pour parvenir à redevenir l’héroïne que je fus un temps, nommée Spider-Woman par les médias et tant d’autres derrière moi. Je souffle bruyamment tandis que je travaille ma condition physique, lorsque je capte, depuis les tréfonds du quartier traversé, un bruit de hurlement exclamé. Sans réfléchir, moi qui, justement, voulais me vider l’esprit, je réponds automatiquement à l’appel. La tenue enfilée pour l’occasion me ceignant parfaitement, serrant mes courbes et cachant mon visage, je débarque dans la ruelle où je constate une femme à terre, mais bien vivante, et un duo d’hommes qui n’inspire clairement pas la confiance. Surpris par mon arrivée qui tombe à pic, littéralement, les deux agresseurs du jour se tournent vers le ciel avant de me jeter des regards interloqués. « Bah alors, on ne m’attend pas pour la fête ? » Que je lâche tout en adressant un signe de tête à la jeune femme pour qu’elle décampe en vitesse.

Et pour la peine, je ne laisse pas plus de temps aux deux zigotos. Sans attendre, mais sans trop me vendre non plus, je me projette en avant. Une glissade parfaitement mesurée me permet de faire cogner mon talon contre la rotule de l’un des deux qui tombe à terre en râlant de douleur. Bien fait, ah. Oulà Gwen, tu ne devrais pas te réjouir de la douleur des autres, me sermonnai-je intérieurement. J’évite de justesse un coup de poing balancé par le copain, pressentant l’action avant même qu’elle ne soit vraiment entamée. Bim bam boum, c’est comme ça que ça se passe. Il tente un autre geste que je bloque de la paume, lui tordant, sans vraiment le vouloir pour le coup, son poignet. Damn, ma force, faut que je réapprenne à la doser. Afin de lui éviter plus de souffrances, bien que sa victime aurait sûrement apprécié la chose, j’envoie un uppercut qui le berce directement dans les bras de Morphée. Et paf, il en a pour un moment celui-là. Je reviens alors prestement vers l’autre toujours à terre, qui est quand même parvenu à ramper sur une petite dizaine de mètres. Fort heureusement, la ruelle en question n’est pas la plus fréquentable, et leurs cris n’ont alerté personne. Malheureusement tout de même, car si ça se trouve, ils ont pu se faire plusieurs cibles de cette manière. Les fumiers. En proie à cette pensée, j’assène un nouveau coup de talon, directement dans la tempe du garçon. A son tour de rejoindre son pote dans les méandres de l’inconscience. Sans trop savoir pourquoi, je m’attarde alors, telle une débutante, sur les lieux du crime. Admirant la scène, les dégâts peut-être aussi. Par acquis de conscience, je vérifie leurs pouls, histoire de m’assurer que je ne les ai pas tués par inadvertance. On ne sait jamais. Sans avoir la totale connaissance de ma propre identité, un accident pourrait être si vite arrivé.

Rassurée sur ce point, je m’apprête à me rapprocher de la façade de l’immeuble le plus proche pour grimper le plus loin possible d’ici, quand j’entends une voix familière m’apostropher. Que, quoi ? Sur le coup, étonnée par l’emploi de mon prénom, je plaque mes mains sur mon visage puis sur mon corps, comme pour vérifier que je suis bien habillée. Et pourtant oui. Alors comment ? Comme s’il a senti le doute s’insinuer en moi, mon nouvel interlocuteur se rapproche de moi, ne garantissant de son silence. Même si j’aimerais avoir confiance, je me sens soudainement bien bête, à avoir été ainsi révélée. « Blake ? » finis-je alors par lâcher, entre deux sursauts lâchés. Confuse, je finis quand même par rabaisser le foulard cachant la moitié de mon visage, pour ainsi le dévisager, quelque peu pantoise. « Qu… comment ? Que fais-tu là ? » Mince, j’en perds mon latin. Ainsi prise sur le fait, je ne sais pas trop quoi dire pour ma défense. M’a-t-il capté en tant qu’émergé ou simplement en tant que bonne citoyenne concernée ? Je lève soudainement les bras, comme si ça allait changer quoi que ce soit, et secoue la tête, récitant d’une voix presque suppliante : « Ce n’est pas ce que tu crois. » Bah voyons, et tu fais quoi là au juste ? Que je pense, en soupirant. Pas comme s’il y avait deux corps à mes pieds et moi… parée à prendre la fuite, pas vrai ?