Les yeux clairs qui se perdent dans l’horizon, sans vraiment s’attarder sur l’environnement alentours. La tête perdue dans les nuages, tu avances sans vraiment savoir où mettre les pieds. Depuis les derniers événements survenus au Manoir appartenant à la Dynastie Magnus, on t’a imposé quelques jours de congés, sans te laisser le choix. Cela ne tiendrait qu’à toi, tu continuerais les cours et t’entraînerais encore plus assidûment pour montrer ta loyauté. Mais au vu des propos tenus par la Princesse et l’attaque envers le SHIELD, tu comprends bien qu’il est parfois bon de garder un profil bas. D’autant plus que tu as été touchée par ce combat irréaliste, que tu n’as pas encore osé partager à qui que ce soit, pour le moment. Encore ébranlée par ces scènes hors du commun qui auront mis k.o plus d’un de tes amis. C’est justement pour cela qu’aujourd’hui, tu es sortie, dans l’espoir de te vider l’esprit. Parce que tu ne sais pas quoi faire, ni quoi dire, parce que tes proches atteints sont à l’hôpital en train de subir des soins. Et toi, tu te sens un peu inutile, impuissante, aussi, et tu dois désormais faire avec les images complètement retournées de cette affreuse soirée, qui restent coincées dans ton esprit. Tu as manifesté des étranges pouvoirs là-bas, qui ne font aucun sens, que tu ne peux plus retrouver à ce jour, ce qui te laisse douter de leur rattachement à tes propres capacités. T’as l’impression que c’est la folie même qui s’est éprise de Genosha, qui s’insinue dans ton cerveau, et c’est bien pour cette raison que t’as besoin de prendre l’air, et de noyer ces sombres pensées. Mais il n’y a pas grand-chose à y faire, Avery, t’as bien vu que ce monde ne tournait pas rond, t’en as eu la preuve concrète, et maintenant, tu dois faire avec. Sans compter que d’ici ton retour officiel à ton organisation, tu vas sûrement devoir rendre des comptes. Du moins, tu y tiens, à partager avec un supérieur quelconque ce que tu as vu, que le SHIELD comprenne que la menace dépasse le simple entendement et les jeux de pouvoirs entre vulgaires politiciens.

Kobik pourrait sûrement appuyer ce fait, si elle arrive à se remettre de ses blessures. A sa mention, tu souris un peu béatement, parce que vous vous êtes quittées sur une sacrée note, elle et toi. Encore que tu ne saches pas vraiment comment te comporter par rapport à ça. Tu aurais aimé faire part de tes doutes et de tes peurs avec Samira, mais ta colocataire aussi, elle a fini par être prise en charge par le centre médical de Genosha. Autrement dit, toutes les personnes qui comptent pour toi, ou presque, ont été atteinte d’une manière ou d’une autre par cette fichue soirée. Et tu ne peux même pas en parler, trop inquiétée par leur état pour même oser les déranger. Tu souffles, bruyamment, une chance que tu es dehors sans trop de monde à proximité, et tente de revenir sur terre. Tes yeux fixés à tes pieds, il serait bon de les redresser plutôt que de te concentrer sur les rouages bloqués de ton crâne embrouillé. Qui aurait pu, justement, manquer de s’écraser contre quelqu’un si ton épaule n’avait pas amorti le choc. Tu relèves d’un coup la tête, en lâchant une exclamation de surprise, tes iris accrochant une silhouette longiligne tout aussi étonnée de cette situation nouvelle. Tu lâches un petit rire, par réflexe, en t’excusant à ton tour de cet incident bénin : « Oh, désolée, j’étais complètement perdue dans mes pensées, j’aurais dû regarder devant moi. Est-ce que ça va, je ne vous ai pas fff… » Tu bugues, brutalement, alors que tes prunelles détaillent le visage de l’autre, qui te paraît bien trop familier. Tu es sûre de le connaître, de l’avoir croisé, peut-être il y a longtemps, mais ses traits ne te sont pas inconnus, tu le sais. Et le temps que tu mettes la main sur la raison précise de cette sensation étrangement singulière, l’homme a déjà tourné les talons pour tracer à toute vitesse son chemin.

D’un coup sec, oubliant tous tes soucis du quotidien, tu te retournes et reviens en arrière, courant après le jeune homme si familier. « Eh attendez ! » Sans vouloir le brusquer, mais plutôt pour qu’il ne te fuit pas à nouveau, tu le saisis par le bras, afin de le stopper dans sa marche précipitée. Tu te postes devant lui, le toisant pour être sûre de ne pas gaffer avant d’enchaîner sur ta prochaine phrase : « Attendez, s’il vous plait, ne partez pas. » Tu lâches un souffle, t’as quand même du mal à réaliser que devant toi se tient celui qui, un jour funeste, t’a sauvé. « C’est vous… » Tu finis par murmurer, mais tu n’as pas l’air d’y croire. Tu pourrais penser qu’il s’agit là d’un énième coup du sort, d’une nouvelle illusion, d’une nouvelle folie de Wanda, mais il n’en est rien. Inconsciemment, tu resserres ta prise sur lui, qui te confirme la vérité. Il est là, en chair et en os, cet être qui t’a épargné une nuit où tu étais condamnée. « C’est toi. Tu m’as sauvé… tu..tu… » Tu bafouilles encore, oubliant le vouvoiement, te souvenant, au contraire, de sa proximité lorsqu’il t’a tiré des griffes du psychopathe. T’emmenant assez loin pour que tu retrouves alors une sécurité minimale, pour que tu puisses appeler quelqu’un et te faire raccompagner chez toi. Jamais tu n’avais dit à qui que ce soit, alors, ce qu’il s’était passé. Parce que tu lui avais promis sans vraiment le réaliser, parce que tu avais bien compris que cet inconnu n’avait pas sa place dans ce groupement de scélérats aux mœurs toutes plus dégoûtantes et injustes les unes que les autres. Pas même tes parents n’avaient compris, ne donnant qu’une explication évasive à ton appel au beau milieu de la nuit, lorsqu’après avoir été traité aux urgences, tu t’étais enfin décidée à les contacter. T’as inventé un accident surréaliste, t’as réussi à tenir les autorités en dehors de ton problème, mais au final, personne n’aura jamais vraiment cru à la nature inventée de tes blessures. Quand bien même, pour le coup, tu sais que tu as pris la bonne décision en maquillant la vérité. Encore plus maintenant que tu te tiens devant lui. « Je te dois la vie. »

Qui l’aurait cru ? Certainement pas toi, en tout cas. Te retrouver face à l’homme qui t’a tiré d’un sombre destin il y a plus de deux ans de cela, ce n’est franchement pas ce que tu aurais envisagé comme le tournant de ta journée. Et pourtant. Pourtant, il est là, le concerné. Le jeune homme se tient droit, les yeux baissés, confirmant votre terrible lien sans pour autant aller plus loin. Tu peux comprendre son attitude. Tu n’es toi-même pas assurée que ton comportement adopté soit le plus adéquat, il faut dire. Il y a une gêne, c’est sûr, à vous retrouver par pur hasard, et à lancer la discussion sur ce sujet qui n’a rien d’heureux ou de bienfaisant. Plus qu’une gêne même. De la culpabilité chez lui, alors de ton côté, tu le considères comme ton sauveur inespéré. Bien sûr, un + un ça fait deux, et tu sais bien qu’il a joué sa part dans ta séquestration à l’époque. Mais tes mémoires ne sont pas suffisamment bafouées pour ignorer le fait qu’il est le seul à ne pas t’avoir touché, ce soir-là. Qu’il a mis sa peau en danger pour épargner la tienne, et pour ça, tu lui en aies reconnaissante plus qu’il ne le faudrait. Tout n’est pas noir ou blanc, le monde est nuancé, un peu trop même. Tu en as parfaitement conscience, Avery, et tu refuses de voir cet homme comme le mal de ton histoire. A l’inverse, tu désires lui apporter du baume au cœur alors que tu insistes à lui rappeler ce qu’il a fait, que sans lui, tu ne serais certainement plus de ce monde à ce jour. Acceptant ainsi ses excuses d’un sourire. Certes, tu es encore marquée par les événements, mais à lui, tu ne lui en veux pas. « Je dirais que tu as déjà obtenu mon pardon, …. ? » La fin de ta phrase s’accompagne d’une intonation interrogatrice, alors que tu attends qu’il daigne, s’il le veut, partager son prénom. Toi-même, tu finis par te présenter. Tu ne sais pas réellement si c’est approprié, mais maintenant que tu as lancé la conversation, tu ne peux pas juste l’ignorer et faire comme si de rien n’était. « Je m’appelle Avery, au fait. »

Tu te râcles la gorge, te décalant également sur le côté, pour éviter de bloquer éventuellement des visiteurs du coin. Tu espères que l’étranger va te suivre, et non te laisser en plan, mais tu ne le retiens pas non plus. Tu préfères lui laisser l’option de continuer à te parler, s’il peut le supporter, plutôt que de lui imposer une discussion osée. Raviver les mauvais souvenirs ne constitue pas le meilleur moyen de se rapprocher, il faut dire, et pour ça, ton manque de tact légendaire ne te fait toujours pas défaut. « Mais si tu insistes… » reprends-tu en remarquant qu’il ne te fuit plus, et qu’il continue à s’excuser, « … tu peux peut-être me dire si tu es toujours avec eux ? Avec lui ? » Là, pour sûr, tu serais sûrement moins cordiale, s’il avouait toujours le fréquenter. Mais avec le risque qu’il a pris, tu ne peux que t’interroger. Est-ce que l’autre l’a su ? Est-ce qu’il est en danger à son tour ? Tu ne peux te retenir plus longtemps, et spontanément, tu accrois ton questionnement. « Est-ce que… ça va, toi ? Pour l’avoir regardé droit dans les yeux, je sais que cet homme n’est pas du genre à regretter ses décisions. Encore moins à pardonner la trahison. Alors dis-moi franchement : est-ce qu’il en a après toi ? » Par ta faute ? Tu espères que non. Mais tu ne peux esquiver cette question qui n’est que justifiée. Moins encore alors que tu fais face à ton collègue d’infortune, et que tu peux témoigner en toute connaissance de sa bonne volonté. Si les apparences sont trompeuses, avec lui, tu sais que c’est plus profond que ça. Ce n’est pas qu’une gueule d’ange qui se cache derrière un faux sourire. Quand il t’a sauvé, tu as bien lu la peine en lui, et aujourd’hui encore, tu ne peux que constater le regret qui s’illustre sur ses traits tirés. « Je n’ai plus jamais entendu parler de lui, tu sais. Après ça. » Tu ne sais même pas son nom, c’est dire. Mais tu n’as jamais vu sa tronche être placardé dans les avis de recherches, ou apparaître dans la base de données du SHIELD. Tu n’as pas lu d’encart calé dans les journaux pour prévenir de son arrestation. Non, rien du tout. « Je n’ai jamais osé aller plus loin, et je m’en veux. » finis-tu par admettre, le cœur au bord des lèvres. Certes, c’était le deal, garder le silence. Mais n’aurais-tu pas pu simplement taire l’implication du jeune homme en face de toi, et déclarer ton agression malgré tout ? Après tout, peut-être que ton témoignage aurait pu faire bouger les choses. Tu n’en sais rien, mais tu n’as pas non plus tenté le coup.

En soupirant, tu secoues la tête, passant une main dans tes cheveux que tu peignes machinalement. « Je veux juste être sûre qu’il ne s’en est pas pris à toi. » Au moins, que cet homme n’ait pas souffert injustement de ton évasion. « Même si je me doute qu’il a recommencé, pas vrai ? » Tu ajoutes néanmoins, loin d’être aveuglée par un fol espoir. Et soudain, tu réalises que de te retrouver face à ton sauveur met en lumière ton inaction. Et c’est maintenant à ton tour de te sentir coupable, alors que tu as préféré oublier quand tu aurais pu choisir d’agir, avant qu’il ne soit trop tard. Et maintenant alors, tu comptes faire quoi avec ça, Avery ?