LET'S GO TO THE MALL
Quelques mèches vertes dépassent de sa capuche alors qu’elle avance d’un pas calme et lent. Tête haute, main dans les poches, Lorna se fond dans la foule du centre commercial. Elle prête une oreille attentive aux conversations, aux rumeurs, en espérant se mettre quelque chose sous la dent. Mais il n’en est rien, pour le moment. Tout ce qu’elle a, ce sont les derniers ragots de la vie amoureuse de Stacey, la promotion d’Henry et la voiture en panne de George. Une pêche aux informations qui ne mène à rien. Ses pas la portent dans un café où elle réitère l’expérience. Savourant ce latte hors de prix fait par une grande chaîne, elle donne l’air d’être concentrée sur son téléphone tout en écoutant autour d’elle. C’est le meilleur moyen de prendre la température sur l’île et d’obtenir des pistes sur des émergés isolés qui peuvent avoir besoin d’aide ou sur des alliées qui peuvent aider leur cause.
Ses doigts se resserrent sur son gobelet alors qu’elle dissimule sa frustration par un léger soupir. Décidément, il n’y a rien d’intéressant aujourd’hui. Elle aurait pu tout aussi bien rester chez elle mais elle n’aime pas l’idée d’être bien à l’abri quand d’autres prennent des risques. Le problème, c’est qu’elle est un visage connu et que les gens ont tendance à se renfermer lorsqu’ils apprennent qui elle est. Elle ne peut pas leur en vouloir. La politique de sa famille ne joue pas en sa faveur, malgré ses efforts. La voilà donc obligée de se cacher, lunettes de soleil au nez et capuche relevée. Elle ressemble ainsi davantage à une adolescente en pleine rébellion qu’à la princesse de l’île. La seule preuve visible de sa mutation et de son émergence passe pour une simple coloration ou une perruque et c’est très bien ainsi. Elle aurait pu les teindre en noir mais cela serait en contradiction avec ses valeurs. Elle, elle ne se cachera plus.
Une dernière gorgée de boisson et elle décide de partir d’ici. Au final, ça n’a servi à rien. Même en y mettant toute la volonté du monde. Lorna finit par quitter les lieux en fichant les mains dans ses poches, légèrement dépitée. Et alors qu’elle sort de là, quelqu’un passe en trombe devant elle, la bousculant avec force. Elle parvient tout juste à garder son équilibre pour ne pas tomber alors qu’un « Hey !» indigné s’échappe de sa gorge. Un vif agacement la saisit et elle serre les dents en reprenant son équilibre. Les gens. Juste... Les gens. Il y a cependant quelque chose qui l’interpelle, quelque chose qui ne va pas. Son regard se pose sur le fuyard, qui semble vouloir échapper à quelque chose. Un mouvement de la tête dans la direction opposée l’informe de ce qu’il est en train de fuir. Elle peste en reconnaissant l’uniforme de la Garde. Finalement, elle est peut-être au bon endroit.
Lorna rentre la tête dans les épaules et se met à suivre les gardes. Si c’est un émergé, il a peut-être besoin de son aide. Lorna excelle pour taper des scandales et détourner l’attention. Mais elle a besoin d’en savoir plus avant d’agir, d’où le fait qu’elle marche à bonne distance de ces gardes et qu’elle observe leur langage corporel. Elle note la présence d’un attroupement plus loin, alors que des civils sont soumis à un contrôle. Probablement là où l’émergé s’est réfugié. Elle arrive à se glisser discrètement à l’intérieur, profitant de sa petite taille. Elle est à la recherche de quoi, au juste ? D’une capuche ?
Comme la sienne, justement. Elle comprend son erreur quand une main s’abat sur son épaule et qu’elle entend une voix derrière elle s’exclamer :
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Je te tiens !Elle fait volte-face, un sourcil arqué au travers de ses lunettes. Plus agacée et dépitée qu’autre chose. Elle sait au fond d’elle-même qu’elle, elle ne risque rien. Merci le nom de famille.
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J’ai l’air de ressembler à une émergée ?
Elle croise les bras avec un air de défi. Le garde qui pensait avoir attrapé la bonne personne recule en bafouillant, rejoint par un collègue. Précisément l’un de ceux que Lorna a suivi pour arriver ici.
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On cherche un homme, pas une femme. Le garde se recule, sans prendre la peine de s’excuser. Ça l’aurait étonné, tiens. Un garde poli, c’est aussi rare qu’un Pokémon Shiny. Lorna a une occasion en or qui lui tombe sous la main. L’occasion parfaite de taper un scandale.
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Quoi, c’est tout ? Vous me touchez, vous me prenez pour ce que je ne suis pas et vous avez même pas la décence de vous excuser ? Et vous, là ! Ce jeune homme veut juste rentrer chez lui, vous voyez bien que vous faites erreur sur la personne ! Elle hausse volontairement la voix, rentrant dans le rôle de la princesse caractérielle et capricieuse qu’on lui donne quand elle ose se tenir debout pour valoir ses droits. Elle désigne l’un du quatuor infernal qui a fait la même chose avec un garçon qui semble tout juste plus vieux qu’elle.
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Qu’est-ce que t’as, toi ? T’as un problème ?Une réponse pleine de mauvaise humeur, qui vaut au garde qui l’a lancé un coup de coude de la part de son collègue.
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Ouais, j’en ai un. Vous faites peur à ces gens, il est là, le problème.Tout se tenant droite face à deux gardes, Lorna s’aperçoit que deux mèches de cheveux dépassent de sa capuche. Cela va peut-être jouer en sa faveur. Les coups de coude sont plus frénétiques alors que les mots sont vifs, énervés. Il la tutoie, l’invite à aller se plaindre au roi si elle est pas contente.
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Oh mais je vais le faire !Un rire est la réponse qu’elle reçoit. Avant que le donneur de coup de coude finisse par craquer et bousculer son collègue.
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Oh bon sang ! Fais pas le con. C’est la princesse Lorna. -
La princesse ? Mon cul. Lorna penche la tête sur le côté en soupirant, les mains sur les hanches. Si l’émergé est intelligent, il devrait profiter de l’occasion pour se tirer de là. Elle sent les regards des gardes s’attarder sur ses mèches ainsi que la probable envie de lui arracher sa capuche pour vérifier. Envie qu’ils réfrènent car ils ne veulent pas prendre de risque. Parfait, elle peut faire durer les festivités un peu plus longtemps et concentrer l’attention sur elle. Pile ce qu’elle voulait.
Ⓒslythbitch.