« Vous êtes des monstres. » « On sait ce que vous faites. »  « Vous n’avez pas de cœur, où sont nos gens, nos familles ? Vous pensez au massacre que vous perpétrez par vos arrestations ? » Erica se passa une main fébrile sur son front couvert de sueur, alors qu’elle repensait à ce qu’il s’était passé plutôt dans la journée. Pour la énième fois, au cours d’une nouvelle affaire qui nécessitait de récupérer un suspect, des civils s’étaient interposés. Les insultes avaient fusé, certains avaient tenté de s’approcher trop près d’elle et son collègue, et elle avait du sévir, les écartant sans ménagement. Malheureusement, ça n’avait pas aidé son cas. On avait voulu les repousser, elle avait senti une tentative de la mettre à terre et elle avait réagit en fonction. Problème : elle avait provoqué une fracture du poignet à l’un de ses assaillants qui s’était mis à brailler dans tout le quartier et à continuer à l’insulter. Son collègue l’avait tiré de là, mais forcément une affaire pareille avec une Garde un peu trop agressive, ça ne  va pas faire du bien.

Un soupir, elle continua de marcher, les mains dans les poches de son éternel manteau noir. Elle se remémorait sa longue journée encore et encore et maudissait ces crétins de civils qui lui pourrissaient la vie. A cause d’eux, elle s’était faite sérieusement remontée les bretelles par les supérieurs. Pour un coup, cette histoire l’avait vraiment frustré. Elle en avait eu sa claque de se faire ainsi mettre à mal par des gens qui ne comprenaient rien à son boulot. Bordel, c’était juste un agent, elle faisait qu’obéir aux ordres, mais non, ils étaient trop cons pour le comprendre. Et voilà qu’en plus elle devait en payer les frais et que les supérieurs comptaient sérieusement la calmer. Bien sûr. C’est elle qui devait se calmer. Elle qui ne faisait que serrer les dents et obéir aux ordres sans mot dire. Mais ça dérapait une fois, et elle était forcément en tort, comme le monde était bien fait. Elle rehaussait le col de son manteau, l’air aussi revêche que d’habitude quand elle buta sur le trottoir, manqua de se casser la figure. Oh merde. Elle se reprit, secouant la tête pour retrouver une certaine contenance.

Ah putain, faut que je mange. Oui, à ce rythme, définitivement elle n’allait pas tenir. Shaw avait quitté le QG de la garde, éreintée. Et maintenant elle commençait à regretter de ne pas s’être contentée de commander des pizzas, n’importe quoi qui se mange rapidement. Elle aurait du rester avec ses collègues, se joindre à eux, mais elle n’en avait pas le moral. Cette journée était définitivement trop merdique à ses yeux. Elle buta encore une fois, et se rattrapa de justesse au lampadaire placé sur le trottoir. Elle devait certainement avoir l’air pathétique, mais ses jambes tremblaient et une douleur vive la surprit à sa cheville, comme si elle venait de réveiller une souffrance passée. Elle tiqua, et se colla encore plus au lampadaire, prise d’un malaise soudain, la sueur laissant un filet brillant sur son front. Elle se sentait sombrer, s’écrouler au sol, son corps ne répondant plus à son cerveau qui lui intimait de bouger alors qu’elle réalisait bien qu’elle était fatiguée, trop fatiguée.

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La sensation de s'écrouler, ou peut-être bien que ce n'était pas qu'une sensation. Le froid du sol qui surprend, traversant, s'insinuant même en elle malgré sa couche de vêtements habituelle. Sa tête cogne un peu alors qu'elle lâche prise, le lampadaire ne semblant plus d'aucune utilité quelconque. Foutu appui qui sert à que dalle. Son ventre grogne mais Shaw ne s'en rend pas compte, le noir prenant place sur tout le reste. Fichue journée. Fallait qu'elle la finisse en beauté, histoire que ce soit bien une journée de merde pour quelque chose. Ce qu'elle aurait aimé manger un bout quand même. Mais non il avait fallu qu'elle repense à toutes les méchancetés qu'on lui avait sorti, comme si elle ne s'y était plus faite à force. Et pourtant, Shaw était loin d'être quelqu'un de sensible. Mais ça devait être les remontrances de ses supérieurs qui l'avait fait rager plus que de coutumes. Ah vraiment, c'est beau la vie sur Genosha.

Des bruits indescriptibles autour d'elle, comme du brouhaha. Mais toujours cette immensité de noir devant Shaw, comme si elle n'ouvrait pas les yeux d'elle-même. Une voix qui se fait plus précise alors qu'elle se sent comme... manipulée. Ses yeux papillonnent, une sensation de fraîcheur qui la surprend au niveau de son visage. De son visage ? Oui c'est ça, de ses joues. Putain, elle ne contrôle rien, mais qu'est-ce qui se passe ? Une voix féminine l'interpelle, et elle ne pippe mot. Comment ça si elle l'entend ? Bien sûr qu'elle l'entend, son ouïe ne lui fait pas défaut bordel. Etonnamment, elle ne réagit pas comme elle voudrait. Shaw tente de se relever mais elle se sent faible. Il faut qu'elle se reprenne, et vite. Elle cligne des yeux, encore et encore, jusqu'à parvenir à les ouvrir. Sa première vision c'est le ciel, très vite teintée par autre chose. Une femme se retrouve sur elle, enfin sa tête entre dans son champs de vision, alors que Shaw amène sa main vers son visage comme pour tâter son état. Dans un grognement, elle essaie de se redresser, à défaut de pouvoir se relever, mais elle se sent toujours affaiblie et doit s'accrocher au lampadaire, se reprenant à deux fois, avant de se trouver dans une position plus acceptable. Shaw tourne sa tête vers la femme près d'elle et fronce les sourcils :
« Il se passe quoi là ? Et vous êtes qui ? »

Shaw, toujours aussi aimable à la manière d'une porte de prison. C'est vraiment pas sa journée, et elle est surtout pas de bonne humeur. Elle grimace alors qu'elle perçoit tout un amont de gens réunis autour d'elle. « Circulez, y a rien à voir. » Elle grogne, presque en leur aboyant dessus alors qu'elle attend de la femme à ses côtés une réponse, une explication à tout ceci.

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Elle avait fait un malaise. Sur le coup, la Garde écarquilla les yeux, ne sachant trop si elle devait être choquée ou rire  d’une telle situation. Erica Shaw avait fait un malaise. Mesdames et messieurs, voici comment la journée de merde de la Garde la plus antipathique qui soit venait de se terminer. Prenant son temps pour emmagasiner les informations, la jeune femme retrouvait son calme en observant les attroupements se défaire et les gens regagner leurs intérêts premiers. Un évanouissement dans la rue, voilà qui avait de quoi animer leurs mornes petites vies. Désormais ils pouvaient tous rentrer chez eux et raconter à leurs femmes, époux, enfants, cousins, grands-parents, amis, l’incroyable événement qui venait de se dérouler dans le quartier. Ils pourraient même barrer d’une croix rouge la date sur le calendrier. Tss. Shaw était fatiguée. Fatiguée de toute cette merde, de tous ces gens qui étaient aveuglés par leur propre quotidien. Elle avait encore son uniforme sous son manteau, et elle était persuadée que si les gens l’avaient remarqué, leur inquiétude aurait viré en insultes. Mais bon, elle était habituée à ce genre de comportement, ça ne l’aurait pas plus dérangé que ça. Elle aurait juste eu envie, à défaut de taper du poing, de sombrer à nouveau dans l’inconscience. Grinçant des dents à l’attention de la jeune femme qui s’occupait d’elle, Shaw arrêta toutefois de maudire tout le monde dans sa tête et hocha la tête. « Quelque part au sein d’Hammer Bay. Je viens à peine de quitter le boulot, j’ai pas dû aller bien loin. » Une réponse simple, pour une fois honnête et dénuée de toute animosité. Il y avait du progrès.

Pour autant le progrès s’arrêta là, dès l’instant où elle sentit les reproches à peine voilés de la dénommée Elisa. Négliger son alimentation ? Elle se foutait d’elle ? Comme si Shaw, elle qui passait son temps à manger quand elle le pouvait, était du genre à foutre en l’air sa santé par des conneries comme ça. Comme si c’était sa faute si elle n’avait tout simplement pas eu le temps de manger. Ah, c’était bien ça les gens de Genosha. Toujours à faire la morale. Être médecin ne donnait pas les droits de juger les autres, et Shaw se retenait de lui faire un doigt d’honneur bien placé en crachant son animosité. Mais elle était à fleur de peau, et il était fort peu recommandable pour la brunette de faire une scène au milieu de la rue. Déjà qu’elle s’était bien fait remarquer, ça suffisait pour aujourd’hui. Elle allait revenir à son plan premier, à savoir se nourrir, et tout irait pour le mieux. Secouant la tête en repoussant la médecin d’un signe de main, Shaw se fit violence pour ne pas afficher trop d’hostilité alors qu’elle reprenait la parole, désireuse de rentrer chez elle. « Ok Doc, j’ai compris, la prochaine fois que je passe une journée sans avoir de temps pour moi, je me plante une intraveineuse pour me nourrir. Je vais filer maintenant, merci de votre aide. » C’était raté pour la pseudo-sympathie, mais les sermons, très peu pour elle.

Elle avançait déjà bancalement, lançant des regards noirs aux gens alentours, quand la voix d’Elisa résonna à nouveau dans ses oreilles. Insistant pour qu’elle l’accompagne. Et pis quoi encore, pour lui faire à nouveau la morale ? Néanmoins, vu son état de faiblesse, il serait très désolant de la part de Shaw de ne pas se poser de limites. Elle savait quand elle était à bout, et de toute évidence, aujourd’hui était le jour où elle devait arrêter de rechigner à tout ce qu’on lui proposait. Soupirant doucement, la brune ferma les yeux quelques secondes avant de se retourner lentement, dans l’optique de rejoindre Elisa. Bon sang, ce qu’elle détestait se sentir aussi faible. Ce n’était décidément pas une bonne situation pour Shaw qui, après avoir vérifié son badge, accepta à contre-cœur. « Vous n’avez pas tort. Soit, je vous suis. » Se retrouver chez une inconnue pour manger, voilà une étrange façon d’achever cette journée. Après quelque pas effectués en silence, Shaw se décida à se montrer légèrement plus aimable. « Vous pouvez m’appeler Shaw au fait. Je vous remercie de faire ça pour moi. » Elle termina sa phrase d’une voix lasse, mais néanmoins reconnaissante. Au moins quelqu’un qui s’était inquiété de sa santé, c’était quelque chose. Shaw ne pouvait qu’apprécier ce côté d’Elisa.

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Finir la journée en atterrissant chez une inconnue, voilà une fin imprévue pour Shaw. Une lassitude évidente affichée sur le visage, elle réagissait à peine aux courts bavardages de la dénommée Elisa. La brune était si faible qu’elle ne prenait pas la peine d’enregistrer le chemin par lequel les deux jeunes femmes passaient pour se rendre chez la Doc. Une belle connerie, car selon l’état de Shaw, il n’était pas certain qu’elle puisse rentrer par elle-même. Et si elle espérait revenir sur ses pas, sans savoir se repérer, elle n’irait pas bien loin. Pas qu’elle ne connaissait pas Hammer Bay, ça non. Juste qu’elle n’était pas en état de s’orienter et elle n’était pas vraiment décidée à faire le moindre petit effort pour améliorer sa cause. Shaw était tout bonnement irrécupérable. La Garde suivait donc aveuglément la femme, jusqu’à son immeuble. Elle se cala brutalement contre l’ascenseur, réprimant une grimace douloureuse, avant de transformer celle-ci en un sourire contrit. Quelle plaie. Heureusement que ses collègues étaient pas là pour la voir comme ça. Quelle chance quand même, tomber sur un Doc dans la rue la seule fois où ça va pas, c’était quand même assez unique. Elles arrivèrent rapidement à destination, et à peine Shaw eut-elle le temps d’assimiler l’excuse étrange d’Elisa qu’elle se retrouva assaillit par des exclamations qui lui vrillèrent les tympans. C’est malgré elle, alors qu’elle ne cherchait pour une fois à ne pas paraître désagréable, qu’elle lâcha en se bouchant à demi les oreilles : « Wow, encore un hurlement comme ça et je tombe raide. »

Shaw suivit les directives discrètes d’Elisa, se réfugiant dans son salon. Merde, c’était bien sa veine, tomber dans un foyer avec une mère acariâtre et un gosse dans le lot. Avait-elle encore le droit de fuir ? Nan, mauvaise idée, elle ferait pas trois pas dehors. Pendant un instant, Shaw envisagea d’appeler un collègue à la rescousse. Drew peut-être, malgré ses moqueries, sûre qu’elle viendrait la chercher en la sachant en peine. Darkhölme éventuellement, mais on pouvait pas dire que Shaw se montrait affable avec ses collègues pour que tout le monde se précipite à sa rescousse. Quoi que… Y en aurait bien une qui ferait n’importe quoi pour elle, et elle n’était même pas de la garde. Oh non, commençons pas à penser à sa stalkeuse, ça n’aiderait pas son cas. Finalement, crevée, Shaw se laissa tomber sans sommation sur le canapé de la Doc. Elle n’avait toujours pas retiré son manteau, et craignait quelque peu qu’on la foutte dehors, pour peu qu’elle se trouvait chez des pro anti-gardes. Attendant patiemment, enfin autant qu’elle puisse être patiente en ce contexte, que la mère d’Elisa parte, elle se prit la tête entre les mains. Quand enfin le calme fut de retour, la brune releva la tête et se força à sourire. Décidément, elle se forçait beaucoup ces derniers temps. Shaw comprenait que dalle aux gosses, alors autant dire qu’en voyant la Doc expliquer monts et marées au bébé, ça la dépassait totalement, néanmoins elle le salua rapidement. « Salut Will. Désolée d’interrompre vos habitudes du soir, je resterai pas longtemps rassurez-vous. » Elle ajouta cette dernière phrase à l’attention d’Elisa. Au bout de quelques secondes, elle retira son manteau et afficha son uniforme, se mordillant la lèvre alors qu’elle s’enquit : « Euh… Comme vous pouvez le voir… Je suis de la Garde. Je peux encore partir si vous le souhaitez. » Pitié non, elle crevait vraiment la dalle. Ou alors, elle pouvait lui filer un casse-croûte pour qu’elle se nourrisse en revenant chez elle. D’un coup, Shaw se sentait complètement ridicule. Si ces gens n’étaient pas des émergés, ils n’auraient pas grand-chose à craindre d’elle après tout, pas vrai ? « De toute façon, vu mon état, je ne suis pas apte à arrêter qui que ce soit. Alors prenez pas peur hein, j’ai pas l’attention de vous faire du mal ou je ne sais quoi, comme tout ce qui se raconte sur la Garde Rouge… » Après un raclement de gorge, elle osa : « Vous auriez quelque chose à grignoter ? Je crois que je commence vraiment à sombrer. Si vous êtes toujours d’accord, bien entendu. »

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