Parfois, je rêve de ma vie d’avant. Celle où je dormais dans un super lit confortable avec un chien que je faisais en douce dans ma chambre parce que Cindy avait dit que Ghost ne devait pas dormir sur les lits avec nous. Je rêve que je retourne à ma routine habituelle, mes cours, mes amis, le café, comme si de rien n’était. Une vie paisible et sans problème. Et puis je suis réveillé par Jake qui m’arrache du sommeil pour me forcer à aller m’entraîner quand il ne veut pas que j’aille en mission avec lui. C’est là que je comprends qu’il ne s’agit que d’un rêve et que ma vraie vie, à présent, c’est celle-ci. Et aujourd’hui n’échappe pas à la règle. Je me laisse tomber sur mon lit, pendant qu’ils sont tous encore en train de discuter, parce que je ne tiens plus. J’ai des courbatures de partout, le mot «DORMIR» qui clignote en gros et en gras dans mon cerveau et je ne mets pas plus de trente secondes avant de dormir comme une masse. Quand Rachel vient s’allonger à côté de moi, je suis déjà parti bien loin. Forcément, la personne de qui j’étais le plus proche en arrivant dans cette jungle moisie, c’était Rachel. Et comme j’étais déjà plus ou moins son colocataire non-officiel avant, étant donné que j’étais toujours fourré à l’appartement qu’elle partageait avec Laura, Kitty et Jessica, ça ne nous a pas paru bizarre de dormir ensemble. Parfois, il nous arrive, quand tout le monde dort, de nous partager nos craintes concernant nos proches. Mais ça, c’est quand l’un de nous n’est pas épuisé par une mission ou par un entraînement éreintant. Rachel a de la chance dans son malheur, sa cousine est avec elle. Moi, le seul membre de ma famille est toujours en ville. Et je préfère m’arrêter plus loin dans ma réflexion parce que je vais au choix, m’énerver ou me mettre en position latérale de sécurité dans un coin de la baraque. Et je suis actuellement trop épuisé pour dépenser de l’énergie dans de l’énervement.  L’avantage d’être crevé après chaque journée d’entraînement ou de mission, c’est que je n’ai pas trop le loisir de me morfondre sur moi-même. Du moins, je ne l’ai plus. Du coup, les crises de folie qui peuvent me traverser l’esprit par instant se font moins présente et ça me permet de me concentrer plus sérieusement sur les différentes tâches qui nous sont attribuées. Les jours s’enchaînent de la même façon, dans une espèce de routine où penser qu’on sera peut-être moins le lendemain est devenu normal. Ça remet les choses en perspective. Partager son quotidien avec dix autres personnes dans la même galère que moi, ça m’oblige à tisser des liens avec eux. On doit pouvoir se faire confiance et rester soudés.

Même quand c’est la troisième fois de la semaine que je suis réveillé par un coup de poing en pleine tête. Comme réveil, j’ai connu mieux. Je me redresse en portant la main à mon nez et en jurant. A côté de moi, Rachel est encore en train de lutter contre je ne sais quoi dans son sommeil. Les gémissements qui sortent de sa bouche sont de plus en plus fort et ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle ne se mette à hurler et qu’elle ne réveille tout le monde. Je vérifie rapidement que mon nez n’est pas cassé avant de prendre les choses en mains. « Rachel.» Je dis son nom en la secouant doucement, pour commencer. Mais comme à chaque fois, ça ne marche pas. « Rachel, réveille-toi. » Ce qui est difficile avec les terreurs nocturnes, c’est que c’est incontrôlable. J’en ai fait assez dans les mois qui ont suivi le Pegasus pour le savoir. Et j’aurais bien aimé que quelqu’un m’aide à l’époque. Laura en avait fait les frais quelques fois, juste après que nous nous soyons mis ensemble. Et je vous assure que réveiller sa petite-amie en pleine nuit parce que vous êtes en train d’hurler, ça n’a rien de drôle. Je sens venir le nouveau coup et je l’évite de justesse en me jetant presque en arrière. J’ai l’habitude depuis le temps. Ce qui m’inquiète, c’est que les crises de Rachel sont de plus en plus fréquentes. Et que je vais finir par ne plus pouvoir passer une seule nuit de sommeil complète sans m’en prendre une ou être réveillé par les cris de terreur de mon amie. Je jure entre mes dents et je décide d’employer les grands moyens parce qu’elle commence déjà à hurler. Je me mets au dessus d’elle pour la réveiller. C’est particulièrement difficile d’immobiliser les poings de quelqu’un qui est en train de se battre dans le vide. « Rachel ! » Elle pourrait presque me foutre par terre en deux secondes. Et là, j’entends presque la voix de Jake en train de me dire que j’ai vraiment besoin de m’entraîner. Un Jake qui va être plus pénible s’il est réveillé en pleine nuit par quelqu’un en train de crier. Et qui commence à envoyer des objets dans la tête de la personne qui essaye de la tirer de là. Je crois que ma tronche est la cible favorite de Rachel. Et si ça continue, elle va nous foutre la baraque en l’air. Je serre les dents en comprenant que je vais devoir utiliser les grands moyens. Je m’en veux parce que c’est pas dans mes habitudes et je m’excuses mentalement auprès de Rachel. Je grimace en levant une main. J’aime pas frapper les gens. Je suis un pacifiste, moi, bordel. Je suis un pacifiste et je viens de mettre une claque à Rachel Grey pour la réveiller.