Une journée passée à la bibliothèque avait eu le même effet sur la jeune archéologue que tout un jour à "fouiller le passé". Comme toujours, elle avait la plus grande peine du monde à se détacher de ses recherches, alors une fois rentrée chez elle, elle s'était débarassée de ses livres et dossiers avant de repartir, direction le cabaret d'Idunn où elle avait ses habitudes.
Skuld s'y était rendue pour la première fois quelques mois auparavant, peu après son arrivée sur l'île de Genosha. Elle avait trouvé l'endroit charmant et idéal pour se trouver entourée sans toutefois se faire remarquer. De plus, les artistes venant s'y  produire lui sortaient la tête des mystères trop envahissants.
Ce soir, elle en avait besoin plus que jamais.
Toute la journée durant elle avait farfouillé dans les livres et archives en quête de réponses, mais nul page ni simple paragraphes ne faisait mention de robots géants ni de créatures étranges. Genosha n'avait même pas de mythologie propre sur laquelle se baser. Si les dragons étaient surgis de l'imagination d'hommes ayant trouvé des crânes de dinosaures, rien ne pouvait expliquer la trouvaille de ces morceaux d'armures gigantesques et de ces membres momifiés à l'évidence inhumains. Surtout qu'ils ne correspondaient à aucun animal connu.
Sans parler de ces éléments à l'évidence récents. Skuld avait passé sa journée à lire les archives concernant les années post-seconde guerre mondiale, et elle n'avait trouvé aucune trace d'une quelconque guerre ou bataille. Le mystère demeurait complet.
Et il n'était plus temps de penser à cela. Une serveuse arriva et prit sa commande. Comme d'habitude, Skuld choisit un cocktail de fruits et tandis qu'elle attendait, elle jouait à Candy Crush. Un jeu que certains jugeraient bien débile au vu de son parcours, mais qu'importait. Personne n'était ici pour la fliquer. Elle s'occupait les doigts bien comme elle voulait.
Elle aimait cet endroit. Ses soeurs étant restées à New-York, elle ne connaissait personne sur Genosha. Il lui arrivait de discuter avec les commerçants et les serveurs de l'Idunn, mais à part cela, elle était très seule. Cette solitude était en partie volontaire car elle craignait que quelqu'un se mette entre elle et la vérité sur ses découvertes, où s'en approprie la paternité, mais au bout d'un moment, la solitude finissait par peser. Elle en avait assez des mystères, ceux-ci ayant déjà gâché une grande partie de sa vie. Ce que son esprit désirait à présent, c'était la vérité.

La serveuse revint avec sa boisson. Skuld la gratifia d'un sourire et du traditionnel "merci" avant de commencer à boire, son pouce gauche déplaçant toujours les bonbons colorés sur son appareil mobile.

Un biscuit au chocolat décoré d'une sorte de smarties. En l'associant à un bonbon rayé, elle pourrait enfin se débarrasser de ces satanés blocs de gélatine.
Ce qu'elle fit. Un sourire en coin apparut alors sur son visage. Ce jeu était une chose simple, mais il savait distraire une part de son cerveau. Pour le reste, elle pouvait compter sur la violoniste qui avait été conviée à jouer ce soir au cabaret. Une jeune femme talentueuse, pensa-t-elle. Quel dommage que les médias n'ait pas l'idée de diffuser plus de vrais musiciens au lieu d'encourager les petits nouveaux à appuyer sur quelques touches d'un ordinateur...

Enfin, ce satané niveau était terminé. Le suivant attendrait.
Rapprochant un peu plus le verre, elle en saisit la paille avant de la glisser sans plus de façons entre ses lèvres.
Qu'elle aimait ce cocktail. Boire quelque chose d'aussi bon lui rappelait la maison...Du moins, l'idée qu'elle s'était fait d'un foyer stable avec parents en plus de ses sœurs.

A cette pensée, elle détourna le regard de la table et tourna la tête ne direction de la scène avant de dévier sur l'autre côté où elle vit un homme approcher.
Au sourire furtif qu'il lui adressa, elle sut que c'était pour elle qu'il venait.

- C'est la maison qui offre, lui dit-il. Vous êtes une cliente fidèle mais bien seule. J'espère au moins que cet endroit vous change les idées.

Elle ignorait pourquoi, mais cet homme lui était familier. Fouillant à l'intérieur de sa mémoire plus ou moins ordonnée, Skuld chercha où elle avait bien pu le rencontrer.
Grand, les cheveux noirs comme la nuit, un teint pâle comme le sien...Et des yeux bleus comme un ciel troublé par de légers nuages.
Un très bel homme, ne put-elle s'empêcher de penser avant de se pincer mentalement. Elle n'avait toujours pas élucidé ce mystère, il n'était pas temps de juger sur l'apparence.

Une idée lui vint soudain, mais elle n'en était pas certaine. Il se pouvait qu'une fois elle ait croisé cet homme dans les allées de la bibliothèque. Mais ayant pour habitude de fixer le sol ou bien ses notes quand elle ne parcourait pas les rayonnages des yeux, rien n’était moins sûr.

D'ordinaire, elle aurait ignoré ou bien rembarré un inconnu s'immisçant ainsi dans sa petite bulle, mais les paroles qu'il avait prononcées lui disaient qui il était.
Cet homme se trouvait être le gérant de l'établissement.

Skuld répondit donc à son sourire avant de lui répondre verbalement.

- Je vous en remercie bien, lui dit-elle. Et merci également pour ce que vous faites ici. Ces artistes méritent leur chance, vraiment.

Il se souciait également de sa solitude. Une attention si rare lui fit quelque peu monter le rose aux joues. Depuis qu'elle était arrivée ici, personne n'avait semblé s'en apercevoir. Pas même les rares personnes avec lesquelles elle se trouvait en contact sur l'île concernant ses recherches.
Pas un seul appel que ce soit pour une réunion ou même demander si tout se passait bien.
Et elle n'avait pas cherché à prendre de nouvelles. Elle n'était pas du genre à appeler la première.

- Et, répondit-elle, un peu gênée, merci de vous soucier de ma solitude...


Mais cette solitude reviendrait sitôt l'homme parti. Avait-elle pensé qu'il prendrait la peine de demeurer avec elle plus longtemps? C'était absurde. Elle l'avait peut-être croisé auparavant, mais elle ignorait jusqu'à son nom.

Son nom. C'est vrai. Tout commençait par un nom.

-Skuld Gapdottir, se présenta-t-elle en tendant sa main droite en sa direction, attendant qu'il la serre en retour.

L'homme semblait partager son opinion au sujet de la musique. La jeune violoniste qui se produisait sur scène avait un talent certain. S'il l'avait invitée à jouer ce soir, ses goûts ne pouvaient être mauvais. La décoration, en plus de sa propre façon de s'habiller, confirmaient d'ailleurs cela.

Lorsqu'elle l'avait remercié pour le verre et tout le reste, il lui avait répondu:

-J'aime apprendre à connaitre mes clients, surtout ceux qui viennent souvent et je vous vois toujours seule, j'ai tellement connu la solitude, c'était aussi tellement pesant que ma curiosité m'a fait venir jusqu'à vous.

Et lorsqu'elle avait décliné son identité, il lui avait serré la main tout en se présentant à son tour.

-Loki Odinson enchanté de faire votre connaissance puis-je ?

Il venait de désigner la chaise vide toute proche. Avec un sourire, Skuld acquiesça et confirma son accord verbalement:

-Faites, lui dit-elle. Après tout, vous êtes ici chez vous.

Skuld n'en revenait pas. Quelqu'un ici avait remarqué sa présence et voulait bien à présent lui tenir compagnie? Elle était...Touchée. Oui, touchée était bien le mot qui convenait. Elle ne connaissait rien de cet homme, mis à part son nom, mais ce qu'il lui avait dit lui prouvait qu'elle pouvait lui faire confiance, qu'il n'était pas le genre de gars qui essayerait de glisser des pilules dans son verre alors qu'elle détournait la tête.
De toute façon elle ne détournerait pas la tête. Ses yeux bleus étaient emplis d'un mélange de compassion et de sincérité. Ils étaient beaux. Une personne censée ne regarderait pas ailleurs quand il parlait.

Il prit place et la jeune femme fit part d'une remarque à propos du nom qu'il lui avait donné:

-Loki Odinson...fit-elle en prononçant chaque syllabe lentement. Ce nom semble être d'origine nordique. Viendriez-vous d'un des pays du Nord? Ou vos parents, peut-être?

Skuld était curieuse. En même temps, cela était dû à sa nature d'archéologue. Cette manie lui collait tant à la peau qu'elle avait été déterminante dans le choix de son avenir. Encore un point commun qu'elle partageait avec Loki Odinson. Celui-ci lui avait dit que la curiosité l'avait amené ici.

Après cette question, il sembla à Skuld que Loki se perdait un instant dans ses pensées. Avait-elle dit quelque chose qu'il ne fallait pas?
Il en émergea toutefois assez rapidement pour que la jeune femme aie l'occasion de croire qu'il ne s'agissait là que d'une simple idée de sa part.

Il déclara seulement que ces absences étaient en ce moment très fréquentes.

-Cela nous arrive à tous, répondit Skuld en haussant les épaules.

Surtout en des instantes difficiles...Enfin, elle n'était pas là pour penser à ces choses qu'elle avait extrait de terre ou recouvertes après les avoir bâchées afin de mieux les conserver sans toutefois avoir à les déterrer immédiatement. Elle était là pour se détendre, et pour faire connaissance avec le mystérieux gérant de l'Idunn. Ce but était récent, mais elle y tenait.

Ce dernier fit alors signe à l'une de ses employées qui rappliqua en quatrième vitesse. Il lui demanda un verre d'eau qu'elle s'empressa de lui rapporter. En attendant, Skuld prit une nouvelle gorgée de son cocktail par intermédiaire de la paille qui s'y trouvait plantée.

-J'ai été abandonné à la naissance, lui répondit-il alors, ce qui assombrit l'expression de la jeune femme, donc je ne sais pas qui sont mes vrais parents mais heureusement j'ai été adopté très tôt et jamais je n'aurais rêvé mieux comme famille, j'ai un grand frère Thor et ma mère a voulu m'appeler Loki ... En fait ma mère ne pouvait pas avoir de second enfant, elle voulait une fille mais dès qu'elle m'a vue, disons qu'elle a craqué.

Ces derniers mots associés au doux sourire de Loki provoqua un sourire en coin chez la jeune archéologue.

-Je pense que c'est ma famille adoptive qui doit être nordique, acheva-t-il.

Le sourire de la jeune femme s'évanouit, et elle baissa la tête quelques secondes, confuse.

-Je suis désolée, fit-elle en la relevant. J'ai été terriblement maladroite en vous posant cette question...Pourtant j'aurais dû savoir...Je veux dire...Moi non plus, je n'ai pas connu mes parents.

Elle marqua une pause. Elle qui était réticente à parler de sa vie et de son enfance plutôt étrange se trouvait à présent à tout déballer à une personne qu'elle connaissait à peine?
Et pourtant, Loki lui inspirait confiance. Il lui parlait de sa propre enfance, quelque chose qui avait dû le faire souffrir par le passé...Elle lui devait bien ça elle aussi.

Elle prit alors une profonde inspiration.

-Ils sont morts dans un incendie alors que je n'avais que quelques mois, lâcha-t-elle enfin. J'ai ensuite été élevée par mes deux sœurs aînées, Urd et Verdandi. Elles ont toujours refusé de me parler d'eux et aucune photo n'a malheureusement survécu à l'incendie. Je ne sais rien d'eux, pour moi, c'est comme s'ils n'avaient jamais existé...Cela explique probablement ma grande passion pour le passé. Faire revivre des choses disparues...

Elle eut un léger sourire à cette évocation.

-Pour être plus précise, je suis archéologue, déclara-t-elle finalement.

Après ses balbutiements d'excuses, le gérant de l'Idunn lui répondit d'un ton rassurant:

-Ce n'est rien, après tout nous nous connaissons pas et j'ai eu le temps de m'y faire.

Elle lui adressa un faible sourire avant de reprendre le discours concernant ses parents. Livrer une telle chose n'était pas chose aisée pour la jeune femme. Encore moins avec des gens qu'elle venait à peine de rencontrer.
Mais Loki se montrait très compréhensif à son égard.

-On peut toujours retrouver une trace de sa famille, surtout si vous connaissez les noms, vos parents devaient être enregistrés à la mairie.

Skuld haussa les épaules.

-J'ignore jusqu'à leurs noms, lui avoua-t-elle, un peu honteuse. Comme je vous l'ai dit c'est comme s'ils n'avaient jamais existé et mes sœurs ont toujours évité la question. J'ai fini par vivre avec...D'eux je ne garde qu'une chose: Mon nom, Gapdottir. Et étant née en Suède...Il serait difficile de retrouver tout ça.

Elle remit rapidement une mèche en place dans son chignon bas, un tic qu'elle avait lorsqu'elle n'était pas certaine de ce qu'elle voulait dire. Loki se montrait compréhensif, certes, mais avait-il véritablement envie d'entendre ses histoires?

Il haussa les épaules avant de lui répondre:

-Après chaque vie est différente, personnellement j'ai eu des soucis mais pas en rapport à l'adoption, d'ailleurs c'est même ma famille qui m'a sauvé, comme quoi parfois le sang ne compte pas, je ne connais pas vos sœurs donc je ne peux pas dire grand chose.

-Je leur doit tout, admit la jeune femme en fixant de nouveau les yeux bleus face à elle. Nos parents morts, elle avaient le choix entre me placer et m'élever. Elles étaient jeunes, Verdandi, la seconde, n'était pas encore majeur quand c'est arrivé et pourtant...Elles n'ont pas renoncé. Et je suis là aujourd'hui.

Elle baissa la tête de nouveau.

-Tout ce que je regrette, c'est de ne pas savoir d'où je viens. Tout ce que je peux faire à présent, c'est dessiner où je vais.

Elle eut un petit rire avant de relever la tête.

-L'optimisme n'a jamais été mon fort. Et pourtant, j'essaye de toutes mes forces.

Parler de ses parents dont elle ne connaissait que le nom de famille général par le sien n'avait rien de facile. Elle avait cuisiné ses deux sœurs des années durant sans obtenir la moindre réponse. "Tu es en vie, et c'est tout ce qui compte", lui avait dit une fois Verd...Comme si cela suffisait.

-Gapdottir est déjà un excellent indice, lui dit alors Loki, rassurant. Même si ce nom vient de Suède, maintenant avec internet on peut faire des merveilles.

Elle haussa les épaules tout en tripotant sa paille du bout des doigts.

-J'y ai bien pensé, déclara-t-elle. J'ai essayé, même...Mais ce n'est pas aussi simple qu'il y paraît. Les procédures sont longues, et pour un pays où les archives ont longtemps été tenues par l'Eglise, il faut souvent faire le déplacement.

Elle soupira avant de poursuivre.

-Je ne suis restée à Uppsala que dix ans. Pour être franche, j'en ai presque oublié la langue...Urd et Verdandi m'ont emmenée aux Etats-Unis où j'ai passé quinze ans avant d'arriver ici.

Elle se tut un instant, embarrassée...Elle devait paraître bien stupide à ses yeux...Ne savoir que balbutier quelques phrases en sa langue de naissance au prix d'un effort considérable et ne pas oser se daplacer...Oui, vraiment stupide.

-Votre aîné devait sans doute avoir un travail ? La questionna de nouveau Loki. D'ailleurs si je peux me permettre vous avez combien de différence d'âge ?

-Urd avait 20 ans lorsque je suis née, déclara-t-elle alors. Et Verd 15. Quand nos parents ont disparu, Urd commençait à travailler en marge de ses études. Elle a finalement trouvé un emploi d'astronome aux Etats-Unis. C'est assez drôle, quand on y pense...Urd étudie des images symbolisant le futur, mais en réalité passées..Et j'étudie un passé plutôt proche à-côté qui permets quelque part de prévoir les événements. Même si j'ai toujours un peu de mal à les saisir.

Par exemple, les recherches qu'elle menait actuellement sur Genosha. Les éléments physiques s'entassaient, mais rien ne pouvait les expliquer. Un peu comme elle qui avançait sans même savoir d'où elle venait vraiment.

-Ce n'est pas bon de trop remuer le passé, lui dit encore Loki, il faut profiter du temps présent et voir l'avenir, construire l'avenir et même si vous n'êtes pas très forte côté optimisme, dites vous qu'il y a des personnes souffrantes qui ne pourront jamais avoir la chance de construire un avenir.

-C'est ce que je m'efforce à faire, répondit Skuld en s'efforçant de sourire. J'avance...Mais je préfère ne pas trop prévoir à l'avance. Je suis une très mauvaise perdante et un peu...Caractérielle.

Elle reprit une gorgée de sa boisson avant de tourner la tête en direction de la scène. La violoniste venait de terminer, et tout le monde applaudissait. Skuld se joint aux applaudissements avec le sourire.

-Elle est vraiment très douée, remarqua-t-elle. J'ai toujours rêvé de savoir jouer d'un instrument mais je n'y suis jamais parvenue...Je gratte je pianote, mais je ne sais pas jouer. C'est pourtant pas faute d'avoir essayé.

Elle eut alors un petit rire qui dissipa toute la tension qu'il y avait pu y avoir à l'évocation de son passé. Il n'y avait en cet instant plus de place pour la nostalgie.

Elle n'était pas là pour ça, de toute façon.

Skuld se mordillait la lèvre inférieure, embarrassée. Pourquoi diable avait-elle eu la "bonne" idée de parler de ses soucis personnels?
Ah oui...Pour se faire pardonner de son involontaire indélicatesse...
Enfin, Loki Odinson se montrait un homme très compréhensif et délicat. Quelque chose de rare en ce monde. Et elle n'y était pas insensible.

-Sans doute que vos sœurs souffrent aussi, lui dit-il, c'est peut-être une manière pour elle de...De tenter d'oublier, de ne pas raviver des blessures.

Skuld avait hoché la tête positivement.

-Vous avez sans doute raison, répondit-elle en reprenant un peu de sa boisson. J'ai fini par en venir à la même conclusion, aucune réponse n'étant assez satisfaisante de mon point de vue.

Oui, c'était bien cela. Un désir de la protéger de leurs propres sentiments, de ne pas propager leur tristesse à travers une âme aussi neuve que la sienne...
Mais elle était une adulte, archéologue de surcroît. Il n'était plus temps de conserver des secrets.

Mais plus elle essayait de fouiller le passé, et plus les mystères se dressaient sur son passage.

Quand elle avait évoqué son caractère quand aux plans sur la comète, Loki lui avait répondu en ces mots:

-Qui n'est pas mauvais perdant ?

Ce qui avait provoqué chez la jeune femme un léger rire.
Puis la violoniste avait terminé et tout le monde avait applaudi, Skuld y compris.

-J'espère qu'elle se fera remarquer, avait alors déclaré le gérant de l'établissement, d'ailleurs c'est ce que je cherche à faire à la laissant faire des spectacles ici, elle pourra commencer à se faire une réputation, chacun à le droit à une chance....Voire une seconde chance

-Elle le mérite, confirma son interlocutrice, se demandant toutefois ce à quoi il faisait allusion concernant cette seconde chance.

Mais elle ne lui poserait pas la question. Elle avait déjà mis les pieds dans le plat une fois. Elle n'avait pas l'intention de recommencer.

-Et vous avez raison. Une chance c'est bien...Mais une seconde a bien plus de valeur car elle doit se mériter. Quand elle est accordée, cela signifie que la personne l'accordant tient suffisamment à vous pour pardonner...Et si vous l'acceptez, c'est qu'en vous-même, vous vous sentez suffisamment fort pour changer la donne.

Seules la distance et la perte permettent de voir les choses à leur juste valeur. Adolescente, Skuld avait été l'ordinaire jeune fille en quête d'identité, rebelle. Mais à défaut de passer sa colère sur des parents qu'elle n'avait plus, elle avait contraint ses sœurs à devenir celles qui allaient tout subir.
Elle n'avait pas été du genre fugueuse ou consommatrice de substances illégales, bien au contraire, mais ses colères auraient pu entrer dans la légende, et ses piques étaient acérées.
Toujours, elle avait su frapper là où cela faisait mal.
Et durant ces années passées aux Etats-Unis, avant de décider de farfouiller dans le passé de cette terre, Skuld avait mille fois reproché à ses sœurs de lui cacher des choses à propos de leurs parents.
Elle avait désespérément tenté de chercher mais rien n'y avait fait. Ses sœurs étaient demeurées muettes sur le sujet, tout comme internet.
Cela avait été un échec.
Mais avec l'aide de Skye, peut-être trouverait-elle quelque chose?
Skye, cette fille avec laquelle elle suivait les cours d'auto-défense et qui était devenue son amie.

Loki semblait comprendre tout cela. Ils avaient un passé bien différent l'un de l'autre et pourtant, leurs souffrances semblaient se connecter. Trouver des points communs.

-Je ne connais pas mes parents, lui disait-il, et honnêtement si on venait me dire que je n'étais qu'une erreur, bien le bonheur que mes parents adoptifs ont réussis à construire autour de moi pourrait en souffrir, j'ai eu la chance d'être adopté par des parents géniaux, j'ai un frère ... Il faut voir de l'avant et ... Sans doute vos parents auraient-ils voulut vous voir avancer, après je ne peux que supposer ...

-Vous avez raison, répondit Skuld avec un signe de tête. Nul parent ne voudrait voir son enfant descendre plus bas que terre après sa disparition. Ils ne nous ont pas mis au monde pour cela.

Quand elle évoqua l'idée d'une seconde chance ainsi que sa valeur, Loki lui répondit:

-Je ne sais pas si elle se mérite ... Tout le monde est si différent, il y a tellement de secret et des carapaces ... Je sais que le monde n'est pas tout rose mais je tente de redonner une chance à des personnes qui se sont égarées ... Enfin ce sujet est compliqué et si vaste.

-Je vous assure qu'elle se mérite, répondit Skuld presque catégorique en l'imitant quant à sa boisson. Il est rare qu'une seconde soit donnée et gâchée. J'en déduis donc qu'elles ne sont accordées qu'aux personnes auxquelles on croit. Aux personnes qui, au final, le méritent.


Elle eut un sourire en coin avant d'ajouter:

-Et je pense que vous avez un don pour voir au travers des gens.

Cela faisait toujours quelque chose de rencontrer une âme qui pouvait la comprendre. Surtout que cela était rare.
Skuld s'était toujours méfiée des gens, sa confiance était quelque chose qui devait se gagner. Dans les rares cas où elle l'accordait aussi rapidement, c'était que la personne avait vraiment quelque chose de spécial.
Là, en cet instant, c'était le cas.

-Vos parents ont réussi à avoir trois filles, lui avait dit Loki, ils sont décédés dans un horrible accident mais vous pouvez déjà vous appuyez là-dessus, vous étiez désiré par vos parents et vos sœurs ont mis tout leur cœur pour vous élever.

-J'ai vraiment eu de la chance de les avoir, répondit alors la jeune femme. Mais sachez que quelle que soit l'origine de votre...Abandon. Il y a eu d'autres personnes qui vous ont voulu.

Quand elle avait affirmé le fait qu'une seconde chance se méritait toujours, Loki avait déclaré tout faire pour ne pas gâcher la sienne. Skuld savait bien qu'il parlait de lui quand il avait évoqué ces secondes chances. Elle le connaissait à peine mais il lui semblait quelqu'un de si aimable et sensible. C'était pour cela qu'elle avait appuyé sur le côté mérite dans son discours. Et vraiment, elle le pensait.
Et il l'en remerciait.
En retour, elle lui souriait avant d'achever son verre.

-Jamais je n'aurais crus en arriver la, ajouta l'homme en regardant de nouveau la scène. il faut tellement lutter ... Il y a des personnes qui ont le bonheur juste à côté d'elle et qui ne se rendent pas compte, d'autre sont obligé de se battre ... Je pense que c'est quelque chose qui nous fait voir la vie autrement ... Mais ... Assez de philosophie

Il eut un rire avant de se tourner de nouveau en sa direction:

-Je veux voir des personnes sourires ici et dorénavant vous serez l'une de mes VIP et pas de non, je suis le patron je décide, ah oui, à condition de me dire "tu".


Skuld demeura un instant durant bouche bée, la main droite posée à plat sur la table et l'autre pianotant sur le bras associé à la première.

-Vous voulez dire que...Enfin tu...

Elle leva sa main droite afin de reprendre le fil de ses pensées.

-C'est d'accord, déclara-t-elle une fois son esprit réordonné. Mais de la même manière, tu devras laisser le "vous" de côté.

Tant d'assurance n'était pas Skuld. Cela provoqua chez elle un petit rire amusé.

Cela lui faisait du bien de rire un peu. Depuis qu'elle était sur l'île, ses moments de relâche s'étaient limités aux films qu'elle avait visionné ainsi qu'aux vidéos qu'elle avait sélectionnées sur le net. Mais aucun rire n'avait été causé par d'autres personnes. Peut-être un peu par son amie Skye qui faisait de son mieux en la matière, mais pas autant que cette fois. Là, elle avait replié les doigts et les pressait contre ses lèvres afin d'amenuiser son rire.

-Pas de soucis, avait-il répondu lorsqu'elle lui avait retourné ses conditions en lui demandant de la tutoyer de même. Et ça me fait plaisir, tu as ta place ici, tu viens quand tu veux et si je ne suis pas la tu auras qu'à donner ton nom.

-Merci, lui répondit-elle alors avec le sourire. C'est très sympa. Vraiment.

Il répondit à son sourire avant de s'excuser:

-Par contre je suis désolé je vais devoir repartir au boulot, c'est un plaisir de te connaitre.

-Plaisir partagé, lui répondit-elle. Et merci pour le verre.

Loki prit alors congé, laissant la jeune nordique seule à sa table.
Elle ne le demeura pas longtemps, car il fut temps pour elle de quitter la place. Demain serait un nouveau jour de travail, et elle ne voulait pas trop s'attarder dans les rues une fois la nuit tombée.