Allongée sur le canapé, Charlotte avait un bras qui pendait au-dessus du vide, le deuxième posait avec négligence sur ses yeux fermés pour contrer la lumière du soleil qui s’infiltrait à travers la fenêtre.
Son crâne lui faisait un mal de chien et elle se demanda un instant si elle n’était pas en train de tomber malade. Génial. Il ne manquait plus que ça. Entre les crises de panique qui battaient leur record d’apparition et ce foutu clown tueur qui était la cause de tous ses soucis, tomber malade était bien la dernière chose qui pouvait lui être utile.
Doucement, elle ouvrit les yeux, les laissant s’acclimater à la lumière du jour. Dehors, le soleil était déjà haut. Quelle heure était-il ? Posé à côté d’un cendrier remplie de mégots de cigarettes, le portable afficha 11h32 lorsque la rouquine l’alluma. En voyant l’heure, elle poussa un grognement et ferma à nouveau les yeux, essayant de calmer les palpitements de son cœur qui avait repris leur rythme accéléré, la peur qu’elle ressentait depuis des jours se réveillant en elle.
- Pas encore, je vous en supplie…
Elle était épuisée. Non seulement elle craignait de voir apparaître un satané clown qui avait failli la tuer quand elle était plus jeune, mais elle craignait désormais de nouvelles crises de panique. Constamment sur ses gardes, elle n’en pouvait plus. Elle aurait dû partir. Elle y avait bien pensé, d'ailleurs. Mais pour aller où ? Derry était tout ce qu’elle connaissait et elle ne pouvait pas partir en sachant que des enfants mourraient dans d’atroces souffrances chaque jour en attendant que le monstre ne reprenne un sommeil de 27 années.
- C’est pas comme si tu faisais quelque chose pour l’y en empêcher, maugréa-t-elle.
De mauvaise humeur, elle se redressa avec la douloureuse impression qu’elle avait laissé son cerveau sur le bras du canapé qui lui avait servi d’oreiller. Elle posa son regard sur les nombreuses boîtes de médicaments qui jonchaient sa table basse. Tout compte fait, peut-être était-ils la cause de son mal de tête.
Elle s’empara d’un doliprane et laissa tomber le comprimé dans le premier verre à moitié remplie qu’elle trouva sur la table, à savoir un verre de coca. Elle observa, immobile, le médicament se diluer, se mélanger au liquide sombre qui avait perdu depuis longtemps sa nature gazeuse.
Alors qu’elle portait le verre à ses lèvres, trois coups furent donnés contre sa porte d’entrée ce qui la fit sursauter. La peur s’intensifia, sournoise.
- Qui est-ce ? s’exclama-t-elle, sur ses gardes.
- Le livreur de courrier. J’ai un colis pour vous.
C’était la voix d’un jeune homme, ce qui la rassura immédiatement. Elle reposa son verre, se leva et rejoignit la porte d’entrée, beaucoup plus détendue. Quand elle l’ouvrit, son visage devint livide, comme celui qui lui faisait place.
- Bonjour Charlie. Dit une voix, suivi d’un rire si reconnaissable, qui terrifia la quarantenaire. Joue avec moi !
Charlotte, qui affichait un visage déformé par la peur, claqua la porte alors que le clown ouvrait grand sa gueule, y dévoilant plusieurs rangées de crocs prêt à la mettre en morceau. Elle enclencha le verrou aussi vite qu’elle le put et couru à sa cheminée pour s’emparer du tisonnier alors que des coups violents secouaient la porte d’entrée.
Le tisonnier bien en main, prête à s'en servir comme une arme, la rouquine haletait, la peur et la panique s’emparant de tout son être.
- Joue avec moi ! Joue avec moi ! Joue avec moi ! hurlait le clown à chaque nouveau coup.
Elle crut revenir 27 ans en arrière, quand elle l’avait vu pour la première fois. Elle se trouvait devant la maison familiale et elle se retenait de pleurer parce qu’elle n’avait personne avec qui jouer, aucun des élèves de sa classe ne voulant être vu avec «rouquemoute ». Et puis, Ça était arrivé. Ce clown qui se présenta sous le nom de Pennywise. Ça ne ressemblait à aucun autre clown qu’elle avait vu dans sa courte vie. Lui avait un crâne disproportionné, des yeux jaunes, deux grandes dents à l’avant et un regard malveillant. Il lui avait fait peur dés les premières secondes et, même s’ils avaient la même couleur de cheveux et qu’il prétendait n’avoir aucun ami pour la même raison, elle avait refusé son invitation. Elle préférait jouer seule plutôt qu’avec lui. Il lui avait couru après et elle s’était réfugiée dans le cabanon du jardin, pensant être à l’abris mais c’est là que son cauchemar avait pris forme, de l’eau était entrée par tous les interstices, montant progressivement jusqu’à ce qu’elle ne touche plus pied. Ne sachant pas nager, elle avait manqué de se noyer et elle avait cru que c’était la fin. Heureusement, ses cris avaient été entendu par le Club des Ratés qui avait forcé la porte et l’avait libéré de sa plus grande peur : celle de mourir noyée.
- Oh non… Non. Pas encore. Dit celle qui était devenue une femme alors qu’elle comprenait pourquoi les coups avaient pris fin subitement.
Le silence qui régnait autour d’elle était pesant et elle savait ce que ça annonçait. Il allait recommencer.
Au même instant, un grondement se fit ressentir derrière elle et elle n’eut pas le temps de se déplacer avant que de l’eau jaillisse de la cheminée, la propulsant contre le mobilier qui fut lui aussi retourné par la puissance du geyser. Elle se releva difficilement et, l’eau atteignant déjà ses genoux, se précipita contre la porte d’entrée qui, malgré le verrou déverrouillé, refusait de s’ouvrir, comme celle du cabanon des décennies plus tôt.
- A l’aide ! hurla-t-elle.
Seuls les rires d’un clown maléfique raisonnaient dans l’habitacle, ne faisant qu’accentuer sa panique alors que l’eau atteignait désormais sa poitrine. La quarantaine passée, elle n’avait toujours pas appris à nager, le traumatisme étant bien trop ancrée dans sa mémoire. Elle allait mourir. Ce foutu clown l’avait enfin attrapé et, bientôt, il attraperait le reste du Club des Ratés. Stanley, maintenant elle. Qui serait le prochain? Richie? Eddie? Elle ne voulait pas y penser.
Elle prit une dernière inspiration avant que l’eau ne la submerge. Elle eut alors l’impression que son salon s’était transformé en un aquarium géant. L’eau ralentissant les coups qu’elle pouvait donner contre la porte, elle abandonna et jeta un dernier regard derrière elle. Ça était là. Pennywise. Nageant tranquillement dans sa direction en imitant la bouche d’un poisson. Puis, son sourire machiavélique déforma ses lèvres et c’en fut trop pour Charlotte qui poussa un énième hurlement de terreur absolue.
Soudain, un courant l’attira en arrière et elle eut juste le temps de voir les traits de Pennywise déformés par la colère, une main essayant de l’agripper et à laquelle elle échappa de justesse. Tout tourna autour d’elle avant que son dos ne percute brutalement le sol de la pelouse, tout comme sa tête. L’eau se dispersa autour d’elle, s’infiltrant encore une fois dans sa bouche. Elle se mit à plat ventre et la recracha avec panique, retrouvant avec soulagement de l’air dans ses poumons.
Elle leva la tête et découvrit Beverley, celle qui avait toujours été plus belle, plus drôle et plus confiante qu’elle. Elle lui en avait toujours voulu de ne pas avoir eu les mêmes surnoms qu’elle en dépit de leur couleur de cheveux identique. Cependant, à l’instant présent, elle n’avait jamais été aussi heureuse de la voir.
Elle aussi avait été emportée par le courant après être parvenu à ouvrir la porte de l’extérieur. Sans doute avait-elle entendu ses cris, comme 27 années plus tôt. Elle rampa jusqu’à Charlotte et posa une main sur son dos.
- Est-ce que ça va ?
Après quelques secondes où Charlotte reprit difficilement de l’oxygène, elle dit d’une voix lasse :
- J’en ai marre de ce putain de clown.

IT's coming

Un, deux, trois, nous avons un chat.
Quatre, cinq, six, il a de longues griffes.
Sept, huit, neuf, le chat mange un œuf.
Dix, one, douze, il est blanc… et rouge…
Tout comme le clown effrayant qui toque à ta porte ;
Une étrange odeur de popcorn qui vous emporte, bien trop forte.

La silhouette aux doigts fins et agiles
Cette fois devant une porte se retrouve.
Tu lui claques d’un geste bien mal habile
Prie pour que jamais il ne te trouve.

Grelots et froufrous gaiment se froissent
Gigote fièrement ce costume de poisse.
Doucement désormais il approche
Dansant diaboliquement sur le porche.

Cours, cours, tant que tes jambes te portent
Car bientôt tu seras juste morte.

Trigger Warning:

J’ai toujours voulu disparaître.

Ne jamais avoir à naître, arrêter de respirer.
Pas réellement mourir, mais cesser d’exister.

Laisser l’espace occupé par ma présence s’évider.
Laisser le néant y prendre sa place et s’y installer.

Retourner à ce que d’autres appellent poussière.
Redevenir insensible à la fragrance de la vie amère.

Que le temps efface les traces laissées par ma venue.
Comme si je n’étais jamais sur Terre, descendue.

Qu’on m’oublie, qu’on m’évince des mémoires.
Que les souvenirs ne soient plus que des histoires.

.
.
.

Ouais…

Je n’ai jamais demandé à vivre.
Encore moins souhaiter survivre.

Et maintenant…

.
.
.

Le miroir glacé renvoie l’image de l’agonie.
La mort graciant le reflet de l’ignominie.

Elle se meurt en sa propre compagnie.
S’estompe à la vue de son amie.

L’absence d'existence.

.
.
.

« On dirait que t’as vu un fantôme. »

Un écho qui brise en silence l’immuabilité.
D’un esprit ayant retrouvé l’inanité.

Regard dénué de vie et de chaleur.
Reporte l’intérêt à la substance de froideur.

.
.
.

Ouais…

J’ai vu un fantôme.
Parce que j’en suis devenu un.
Et que c’est mon reflet qui contemple ma mort.
Tout comme je la considérais de mon vivant.

Je ne suis plus, désormais.
Qu’un spectre abstrait.

Un esprit éthéré.
Une âme déterrée.

Je suis morte.
Décédée.

J’ai cessé.
D’exister.

Et maintenant…

.
.
.

J’ai vu un fantôme.
J’ai vu mon visage.
Un mirage.

Ce n’est que l’image renvoyée.
Par le miroir, mon reflet.
Déformé.

Ce n’est que moi.
Que moi.
moi...

.
.
.

Le vide m’a réclamée.
Toute l’éternité à errer.

Pour toujours.

(Disparue.)

À jamais.