Au volant de ma voiture – ce que ça fait bizarre d’utiliser une bagnole quand on se souvient d’avoir la mauvaise habitude de naviguer par toile d’araignée –  je glisse des regards discrets à ma passagère du jour. Bien que notre amitié, accompagnée de provocations en tout genre, soit vieille de longues années, le dossier confié par Cindy est bien plus récent, me concernant. Je ne sais pas pourquoi, à vrai dire, il a fallu autant de temps pour qu’elle ose me remettre le bébé dans les mains. Peut-être parce que c’est étrange pour elle de mêler une proche à cette histoire, ou bien que je n’inspire pas franchement le professionnalisme dans ma ligne de métier ? A sa décharge, il est vrai qu’en tant que détective, je n’’ai pas franchement la carrure qui rend hommage aux pointures du milieu. Néanmoins, si aujourd’hui j’ai le plaisir de profiter de la compagnie de Moon, ce n’est pas par simple courtoisie. Après avoir essuyé plusieurs échecs auprès de plusieurs de mes confrères, Cindy a finalement décidé de se fier à moi pour plonger dans le fond d’une sombre histoire de famille : retrouver ses parents mystérieusement évaporés. Autant dire qu’étant proche de la brune depuis des années, depuis qu’on est gamine en vérité, je prends cette enquête très au sérieux. D’autant plus qu’elle n’est pas mince, loin s’en faut. Si plusieurs détectives ont tenté de trouver les parents Moon sans succès, ce n’est pas pour rien non plus, et c’est bien pour cela que je crains un peu, beaucoup même, de décevoir Cindy dans sa quête désespérée. Néanmoins, lorsqu’elle m’a fait part de son cas, je n’ai pas eu la force de refuser le dossier. D’une, ce n’est pas vraiment dans les habitudes d’Insomniacs de repousser des clients, de deux, même si j’ai peur que notre amitié en pâtisse, je ne pouvais supporter de lui claquer la porte au nez.

Alors nous voici aujourd’hui, en train d’écumer des routes bien éloignées de Genosha, filant le train à une piste que j’ai dépoussiéré il y a peu et dont je ne sais, honnêtement, pas le moins du monde si elle vaut la peine d’être suivie. Je ne tiens pas à garnir mon amie de faux espoirs, mais il est possible qu’après des heures et des jours entiers de recherche, je sois parvenue à faire le lien entre un lieu encore inconnu et la famille Moon. Datant d’une époque fort lointaine, soit avant même que je ne connaisse Cindy enfant, j’ai en effet découvert que papa et maman avaient eu la mauvaise habitude d’emprunter un itinéraire répétitif, du temps où on trouvait encore trace de leurs identités dans les registres nationaux, et internationaux, de notre si beau pays. Ça n’a pas été facile, et pour ce que j’en sais, je me trompe peut-être royalement sur ma trouvaille. Il n’empêche que j’ai pu récupérer quelques anciens enregistrements des scientifiques, qui avaient alors intégré des coordonnées spécifiques pour les guider à… à je ne sais pas en fait. Parce que le lieu auquel on se rend ? Techniquement, il n’existe pas. Il n’est pas sur la carte de Genosha, il n’est pas non plus indiqué sur les brochures touristiques des alentours. Il n’est pas sur l’île, mais il n’est pas non plus localisé dans une ville précise. Il est juste… là. Comme abandonné. Comme si l’endroit avait été effacé au profit de l’évolution, du monde présent, pour finir par être tout simplement oublié. Oui, je sais, j’ai parfaitement conscience que tout ce que je suis en train d’expliquer là, ça n’a aucun sens. Se rendre nulle part, après tout, ce n’est techniquement pas réalisable. Mais bon, quand on découvre avoir vécu une autre vie, dans un monde alternatif qui plus est, on commence à se dire que l’impossible est encore plus réaliste que l’existence même de Genosha. Ouais bon, je m’embrouille, je sais. Je devrais plutôt me focaliser sur Cindy qui doit avoir de quoi tourmenter son esprit avec ce semblant d’espoir que je lui ai prodigué. Merde, Gwen, pourvu que tu n’aies pas merdé.

Je soupire distraitement, zieutant le paysage qui se dessine par-delà le pare-brise. En vérifiant le gps, je constate qu’on arrive enfin à notre destination. Il n’y a pas grand-chose qui sort de l’ordinaire alors que je gare la voiture au milieu d’un environnement appartenant clairement à la nature et non à l’homme. « Rappelle-toi Cindy, si ça se trouve, il n’y aura rien à se mettre sous la dent. » Je tiens vraiment à ce qu’elle ait conscience que notre périple peut être complètement vain. Encore que… On se trouve sur un vaste champ, avec foule d’herbe et arbres étalés tout autour de nous, quand j’ai l’impression de repérer une sorte de surface pierreuse, cachée par les espaces verts du coin. Touchant le coude de Cindy, je désigne cette apparence incertaine, depuis nos sièges autos, la questionnant pour être sûre que je ne sois pas victime d’un quelconque mirage : « Est-ce que… est-ce que c’est ce que je pense ? » En fait, je ne sais pas à quoi je pense. Un lieu secret, enterré par la nature ? Bah voyons, évidemment que je m’attendais à trouver ça. On finit alors par sortir de l’habitacle de la voiture, nous motivant à nous rapprocher de cet édifice complètement dominé par la nature. « C’est un bunker ? » Nouvelle question, qui n’attend pas forcément de réponse. Bon, à priori, les coordonnées retrouvées dans les vieux dossiers des Moon ne sont pas erronées. C’est toujours ça à prendre. Par contre, il y a quand même des interrogations qui demeurent, et à juste titre. « Uh oh, maintenant, faut qu’on trouve un moyen d’y entrer. » Ouais parce qu’un bunker tenu par des scientifiques, en général, c’est pas ouvert au grand public.

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