Nouvelle insomnie qui me guette. Une de plus, une de moins, je ne suis plus à ça près. Je tourne dans mon lit, secoue les draps dans tous les sens avant de finalement céder. Me redressant d’un coup sec en envoyant balader les tissus par terre. Ma tête se décale et j’aperçois du coin de l’œil l’heure affichée par le réveil. 2 heures et des poussières. Certains font encore la fête à cette heure-là, mais moi j’essaie simplement de trouver un apaisement. D’espérer une nuitée paisible, sans cauchemars et regrets pour me tourmenter. Mais c’est peine perdue et je le sais. Je pousse un soupir en appuyant mes coudes sur mes genoux, grognant entre mes lèvres serrées. « Et merde. » Les jurons se succèdent en des mimes silencieux alors que je décide de mettre pied au sol. A quoi bon se battre contre quelque chose qui ne viendra pas, de toute façon ? J’enfile mes vêtements abandonnés lâchement sur une chaise de ma chambre prestement et ouvre la porte. Le noir est total et le silence ambiant. Mon frère a de la chance, semble-t’il, de pouvoir somnoler de son côté. Le petit veinard. Y en a au moins un qui est chanceux entre nous deux. De toute manière, je doute que je n’aurais jamais vraiment mérité de dormir tranquillement tant que je n’aurais pas pris une décision, c’est évident.

Je souffle un peu plus fort et maudis dans ma tête mon mentor et collègue, Correll. Depuis que je me suis tiré d’Hydra, j’ai dû trouver un sens à ma vie et je suis encore en quête de quelque chose qui me convienne. Grâce à l’immunité négociée par mon frère avec le SHIELD, j’ai pu maquiller mon CV et rentrer dans les rangs des forces spéciales. Le S.W.A.T est désormais ma nouvelle maison, et bien que je m’y sois adapté sans mal, quelque chose manque. Une partie de moi m’a été arraché et je suis vidé. Moran l’a certainement senti, car au fil des missions menées ensemble, des révélations ont été partagées. Et parmi elles, une énorme m’a été balancée, comme ça, en travers de la gueule. Un secret qui mérite réflexion, mais qui demande surtout une décision. De ma part, mais faut qu’elle vienne du cœur et des tripes, et je le sais. Sauf que ce n’est pas facile à prendre. Entre le fait qu’Hydra pourrait très bien nous tirer dans les pattes à tout moment avec notre défection, mon nouveau taff et toute cette atmosphère pourrie qui règne sur toute l’île, on peut dire que je suis passé pas plusieurs changements radicaux. Et pourtant, ce n’est pas assez. On m’en demande encore et toujours, parce qu’il faut bien que je sois impliqué.

Je rage secrètement, me retenant de claquer la porte de la maison alors que je me barre. Je n’arrive pas à savoir quoi faire, alors, même si je suis rarement du genre à l’admettre, je vais voir quelqu’un pour m’aider à y voir plus clair. Clés en mains, je verrouille le lieu de vie des Reilly et j’embarque la vieille carcasse qui me sert de bagnole pour rejoindre mon amie. La seule en qui j’ai pleinement confiance, quasiment la seule que je peux appeler amie. Meilleure amie, même. Andrews et moi, on est pareils. Un peu trop, peut-être. Elle sait tout de ce que je fais, elle connait même mon implication dernière avec Hydra. Ça n’a d’ailleurs pas été de tout repos de lui confesser mes fonctions dans une telle organisation. Elle la déteste, et pour cause. Certainement plus que Ben et moi, d’ailleurs. Heureusement, j’ai réussi à faire entendre raison au ressentiment pressant. Je n’ai jamais voulu être une part de tout ça, j’ai simplement suivi le frangin en marchant dans ses pas. Quand on a compris notre erreur et que je lui ai confié le plan du bro pour nous sortir de là, ça a tout de suite détendu, si on peut dire ça comme ça, l’atmosphère. La colère disparaissant au profit des arguments pour ainsi me forcer à prendre la porte. Maggie est une des principales raisons pour lesquelles j’ai fini par suivre mon frangin hors de cette association malfaisante. En dépit de tout, en dépit de ma colère, de mes pulsions désastreuses à nourrir, j’ai choisi de me ranger sur le droit chemin. Du moins, je suis sur la bonne voie. Mais j’ai encore beaucoup de sang sur mes mains à laver.

Je gare la voiture alors que je parviens enfin chez Andrews. Ce n’est ni la première, ni la dernière nuit où nous nous retrouvons quand nous ne pouvons plus supporter le poids de nos pensées. J’ai envoyé un bref texto à la jeune femme pour la prévenir, et j’ai à peine à toquer à sa porte que celle-ci s’ouvre. Maggie est là, sur le seuil, en tenue aussi présentable que la mienne. Un mince rictus se dessine sur mes lèvres, et sans que nous ne puissions nous en empêcher, nous nous serrons brièvement dans nos bras. Nous ne sommes pas les plus expressifs en terme de sentiments, et nous avons chacun nos raisons qui ont poussé des murs à se dresser entre nous et la majorité du reste du monde, pour autant, entre nous deux, ces remparts s’effondrent. Lorsque je me dégage de l’étreinte, je renifle en avouant à demi-mots : « Maggie, je ne sais pas quoi faire. » Les mots aide-moi se dessinent dans l’ombre de mon unique murmure, alors que mes yeux se perdent dans l’horizon. Je suis complètement paumé.

should i listen
to this voice ?

Kaine & Maggie

La nuit s’est installée dans l'appartement de la jeune femme. Il n’y a que la lumière jaunâtre des lampadaires de la rue qui vient troubler la pénombre de chez elle. Ses yeux observent les ombres qui se dressent sur le mur au fond de sa chambre. Elle s’imagine des formes et cherche à trouver la beauté devant ce tableau. La brune hésite même à sortir son appareil photo pour prendre quelques clichés mais elle craint de ne tout déranger. Une voiture passe dans la rue et ses prunelles se posent sur la fenêtre. Cela ne dure qu’une seconde, elle a déjà disparu mais ses prunelles restent fixées vers les carreaux quelques secondes de plus. Puis comme un schéma soigneusement travaillé son regard retrouve les ombres qui lui tiennent compagnie. La fatigue s’amuse de ses traits. Elle se sent épuisé mais n’arrive pourtant pas à trouver le sommeil depuis quelques semaines. Ses pensées sont hantées par des visions qu’elle ne souhaite absolument pas rejoindre le soir venue. Alors elle reste éveillée nuit après nuit sans aucune solution à son problème.  Une autre raison l’empêchait ce soir-là de sombrer dans les bras de morphée. Il était grand, brun et possédait un regard vert émeraude qui la transperçait jusqu’à son âme. Alkis était de retour sur l’île. Il était là, de nouveau et cette perturbation dans son quotidien n’aidait en rien Maggie à trouver le calme pour se reposer.

Elle cligne des yeux. Une fois, puis encore une autre. Une main invisible la tire doucement vers les limbes et au moment où elle allait finalement basculé dans ses songes une vision violente l’assaille. Elle voit le visage de son père penché au-dessus d’elle, un sourire carnassier sur les lèvres. Il hurle et cogne en même temps. Maggie bondit d’un sursaut dans son lit. Le palpitant affolé, elle parcourt rapidement des yeux la pièce et fond en larmes en réalisation que ce n’était encore une fois que le fruit de son imagination. A vrai dire elle était folle de rage contre elle-même. Désespérée d’avoir une nouvelle fois été surpassé par ces hallucinations de plus en plus violentes. Dans son excès de rage elle balance son oreiller qui percute sa table de chevet et fait basculer sa lampe qui vient se briser sur le parquet de la chambre. Immobile, elle guette un nouveau son à travers le silence comme si quelqu’un allait surgir pour la gronder. Mais il n’y a que le silence qui règne en maître dans la pièce.

De longues minutes plus tard, ce sont les vibrations de son portable qui la sorte de sa torpeur. Elle se redresse dans son lit et s'étend jusqu’à poser la main sur son téléphone. Le nom qui s’affiche ne la surprend même pas. Pas plus que l’heure qui s’affiche sur le petit écran. Il arrive. C’est leur routine depuis quelque temps maintenant. Elle se sent soulagée de savoir qu’il sera bientôt là, son coeur allégé du point de sa solitude nocturne. La benjamine profite des quelques minutes qu’il lui reste pour se glisser sous un filet d’eau chaude afin de décontracter ses muscles. Elle enfile un jean et un débardeur avant de rejoindre la fenêtre du salon. Sa voiture est déjà garée. Elle se dirige vers la porte juste au moment où des coups discrets sont donnés contre le bois de cette dernière. Une fois ouverte, elle lui sourit. Il fait un pas vers elle et naturellement elle l’accueil dans ses bras. Il n’est pas du genre à laisser entrevoir ses émotions. Elle non plus d’ailleurs. Pourtant, entre eux, ce genre de contact est quelque chose d’ordinaire et de réconfortant. Elle se sent protégée quand il est là. Elle espère lui offrir le même répit qui vient d’apaiser son palpitant.

Quand il se dégage, Maggie cherche ses yeux fuyant. Son murmure lui serre le coeur et elle cherche à ancrer ses prunelles aux siennes toujours distantes. L'inquiétude s'immisce en elle et c’est avec plus d’insistance qu’elle cherche à croiser son regard. Sa main se pose sur son épaule, puis sa joue le forçant à relever le nez vers elle. Quand enfin il se décide à l’observer elle s’inquiète pour de bon. Tous les deux avaient un passé chargé. L’insomnie est une des choses qu’ils partageaient ensemble mais ce n’était que la face visible de l’iceberg. Il avait fait et vécu des choses que Maggie ne pouvait même pas qualifié. A l’image de son passé qu’on pouvait décrire de chaotique.

- Tu peux tout me dire. dit-elle simplement.

C’était la vérité. La brune la première n’aurait jamais cru que leur amitié aurait pu résister à l’un de ses plus lourds secrets. Hyda. Sa présence chez elle, au milieu de la nuit en était pourtant bien la preuve. Malgré l’aversion qu’elle avait pour le groupuscule et sa vive animosité envers cette dernière et tous ceux qui en sont liés de près ou de loin, elle avait compris. Et elle avait accepté cette part sombre de Kaine. Elle laissa retomber sa main jusqu’à son bras, incapable de rompre tout contact avec lui. C’était stupide mais elle voulait s'assurer qu’il était bien en face d’elle, en chair et en os et non le fruit d’une de ses visions cauchemardesques.

Mon souffle est court tandis que mon regard fuyant se perd dans l'appartement. Ce n'est pas le mien mais bien celui de Maggie, qui m'accueille  à toute heure du jour ou de la nuit. Je ne sais d'ailleurs même pas quelle heure il est exactement depuis que j'ai quitté la maison comme un lâche déphasé et mal luné. Et honnêtement, je m'en moque. Le rendez-vous est quotidien entre Maggie et moi. Quand ce n'est pas moi qui débarque chez elle, c'est elle qui se ramène chez moi. Et vice versa. Une douce routine s'est installée entre nous, de ce genre qui ravive nos palpitants qui ont pourtant de quoi cesser de battre. Depuis bien longtemps, on aurait pu arrêter de nous comporter comme des êtres humains et céder à la facilité. Ne plus rien ressentir, se montrer glacial face à ce monde cruel, à cette île qui n'est rien d'autre qu'une fausse vision paradisiaque, cachant en réalité un vil enfer.  A bien des égards, d'ailleurs, j'admire ma partenaire. Mon amie a toujours su démontrer une force qui me dépasse complètement. Là où j'ai utilisé Hydra pour faire éclater ma colère, Andrews a su se construire par elle-même. Ce n'est pas faute d'avoir jouxté avec le diable et avoir croisé le fer avec les pires racailles. Mais Maggie est là, en chair et en os, et elle réussit dans la vie. Du moins c'est tout ce que je lui souhaite.

Pour autant à son regard torturé, je sens que je ne suis pas le seul à être la cible de divers tourments. Mes lèvres se serrent quand nos corps se quittent, et je la traine dans le salon, comme si j'étais à la maison. Nos mains ne se lâchent pas, et ce constat me fait froncer les sourcils, bien que je ne pipe mot. A la place, j'attire Maggie sur son propre canapé. Je m'installe moi-même, toujours collé à ses côtés, et je pousse un long soupir. J'ai l'impression que ce monde ne tourne pas rond, et que je cède moi-même à sa folie ambiante. Les actes que j'ai commis me hante, tout autant que certains démons de minuit. Il m'arrive parfois de me regarder dans la glace et de ne trouver, pour seul reflet, qu'un visage décharné, déformé, complètement décousu et dépieuté. Et même si je n'ai pas affronté le miroir ce soir, je me sens dans le même état. Je pars dans tous les sens alors qu'on attend de moi de faire des choix, et les bons de préférence.  Sauf qu'après la case Hydra, je ne sais plus où aller. Mais au moins, je sais vers qui me diriger. Mes prunelles s'ancrent alors dans celles de mon amie, qui hoche doucement la tête, appuyant ses précédents dires. J'ai beau savoir que je peux tout lui confier, j'ai la sensation que c'est Maggie ce soir qui a quelque chose à avouer. Je ne cherche toutefois pas à la brusquer, et je m'engage enfin à décharger mon lourd fardeau. « J'ai merdé, Maggie. » No shit sherlock, me sermonnai-je sans pitié. Je reprends avec un demi-sourire : « J'ai quitté Hydra. » Et ça c'est plutôt une bonne nouvelle, notamment pour elle. « T'avais raison, c'était la seule chose à faire. Alors Ben a fait le nécessaire, et j'ai suivi. Je me suis barré de ce trou à rats. » Sauf que je vaux pas mieux que ces rongeurs que je déteste. Je suis même pire. « Mais le truc, c'est que je suis paumé. J'ai toute cette rage en moi, à évacuer. Hydra, ça me permettait de maîtriser tout ça, toute cette violence... Et maintenant je me sens pris au piège. En plus on peut pas quitter une organisation comme ça. lls sont pas censés savoir qu'on a mené le SHIELD dans leur repère, mais si ça venait à se savoir, j'ose même pas imaginer ce qu'il se passerait. Ben... » Il y passerait. Autant je me fous de ma gueule, autant je refuse qu'on touche à mon frère. Le plus futé d'entre nous sur ce point. Le mieux à même d'être véritablement humain.

Je souffle, j'ai l'impression d'être pas clair. Alors je rappelle les événements à Maggie. Comment le frérot a pu négocier avec le SHIELD. Comment il a joué la taupe, comment il m'a sauvé de l'arrestation en vendant presque sa peau pour que la mienne soit sauvée. Ensuite, j'explique qu'en bons Reilly, on a guidé les agents ennemis aux pieds de notre ancien employeur. Ouvrant littéralement les portes de l'enfer sur eux. Les dégâts, les meurtres causés par notre faute me font grimacer. Certes, on n'a pas poussé le SHIELD à presser la détente contre nos anciens alliés. Mais c'est tout comme. Et maintenant, je chiale de ma situation. Pas au sens propre, mais y a de quoi pleurer ma misère. Je suis pire qu'un venin, et c'est ça que j'honni plus que tout. Du camp des méchants je passe du côté des gentils. Et c'est pas juste. « Je travaille au S.W.A.T. maintenant, je porte l'insigne, yeah. » Je fais la moue en riant d'un rire jaune. Pénétré par une fausse joie, accompagné d'un désespoir ambiant. « J'te jure, je sais pas ce que je fous là-bas. S'ils savaient ce que j'avais fait, mes propres collègues m'étriperaient. » Et je pourrai franchement pas leur en vouloir. Je manifeste par des mots bredouillés mon désarroi. Pressant un peu plus ma paume contre celle de Maggie, attendant qu'elle me juge ou qu'elle me soutienne, ou je ne sais quoi. Mon cas est perdu et je le sais. Y a qu'elle qui peut encore me supporter.

Néanmoins je ne lui révèle pas encore tout. Je ne parle pas de la Résistance, de cet accès que peut me filer Moran. Non pas pour finir pleinement recherché comme les Onze d'origine, mais pour devenir un de leurs foutus alliés. Je crois que je ne suis pas encore prêt pour ça. Pour tout lui lâcher dans la gueule en espérant qu'elle me guide sagement. A la place, je la dévisage. Retardant le moment de confesser ma dernière hésitation pour mieux me plonger dans son observation. Les cernes sont creusées sous ses paupières, bien plus qu'avant-hier. J'sais bien que mon amie passe des nuits de merde, mais ses iris semblent si voilés que mes poils s'en hérissent. J'éprouve soudainement le besoin de la couver alors que je me penche un peu plus en avant. Après tout, il n'est pas que question de moi dans l'histoire. « Maggie... » Je serre plus fortement sa main, sans une once d'hésitation. Je ne lui broie pas le membre, je lui confère simplement toute ma force par ce mouvement. Pour qu'elle sache que je suis là, en dépit de ma détresse du moment. Parce que je vois bien dans son air hagard que rien ne va. Bordel. Il s'est passé un truc, je le sais. « Tu ne vas pas bien. » C'est un fait. Je grince des dents quand je suppute : « C'est tes cauchemars, c'est ça ? »  Je hais ces démons du passé, qui savent toujours où nous trouver. Mais je ne me rends pas compte à quel point je n'ai jamais été aussi proche de la vérité. Je suis loin de me douter qu'un revenant à littéralement fait irruption dans la vie de mon amie, jusqu'à la massacrer.