À l’annonce d’une nouvelle sortie scolaire, les élèves réagissent en général de deux façons : il y a ceux qui sont enchantés – soit parce que la sortie les intéresse, soit parce qu’ils vont faire autre chose que suivre des cours profondément ennuyeux en classe (ceux-ci sont les plus nombreux) – et ceux qui soupirent comme des âmes en peine car ils préféreraient ne pas avoir à supporter cette corvée. J’ai toujours fait partie de la première catégorie. Quand j’étais étudiant, les sorties scolaires étaient l’occasion d’apprendre de nouvelles choses dans des circonstances différentes de l’école, et de voir aussi les professeurs sous un autre jour. Ils étaient, la plupart du temps, souriant et de bonne humeur, sauf bien sûr à la fin de la journée, après huit heures à gérer une cinquantaine d’ados surexcités en dehors des limites rassurantes de l’établissement.
Cette année, c’est moi le professeur, et c’est moi qui vais me prêter au jeu des « Eh, monsieur ! », « Et vous, monsieur… ? » et autres « Hahaha, monsieur ! ». Quinze jours plus tôt, cette promenade aurait été une véritable corvée. Aujourd’hui, j’ai le cœur léger comme un ballon et un sourire vaporeux sur les lèvres. Le sol semble être en marshmallow. Les rires des élèves résonnerait presque comme le chant des anges à mes oreilles. Aujourd’hui, la vie est colorée d’un rose bonbon que je trouve magnifique… car je l’aime, et elle m’aime ! Tout pourrait bien s’écrouler autour de moi ! rien n’a d’importance, hormis cette certitude : Wanda m’aime.
J’ai réuni dans mon sac à dos ma traditionnelle boîte-repas, la liste des élèves de ma classe principale, un téléphone portable et des notes sur les sites que nous allons visiter. Certes, les voyages scolaires ne relèvent en général pas de ma compétence, mais je suis enchanté à l’idée d’apporter mon regard de philosophe sur les sorties prévues. Et comme tout me paraît merveilleux, aujourd’hui, les élèves apprécieront sûrement d’avoir au moins un professeur de bonne humeur durant toute leur sortie – peut-être même certains me diront-ils « Eh ! Monsieur, vous êtes vachement plus cool hors du lycée ! ».
Les élèves se pressent déjà aux points de rendez-vous. Le pas léger, la tête vide, je vais retrouver mon groupe et les compte tranquillement, un sourire aux lèvres.

« Allez, en route vers le bus ! » annoncé-je gaiement, agitant la main vers les véhicules alignés.

Ils s’éparpillent comme un essaim d’abeilles bourdonnant. De mon coté, je cherche, par-dessus leurs têtes, mon ami Sam et agite la main dans sa direction. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir quinze ans, moi aussi.

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Trop tôt. Bien trop tôt. En temps normal, j’apprécie les sorties scolaires de quelques natures qu’elles soient mais ce matin, mon corps me dit non. Une partie de moi dit également non, d’ailleurs. Car si nous allions au musée, nous y allions surtout avec les élèves de St Magnus. Mon ancien établissement. Ceux que je n’appréciais pas forcément plus que cela voire ai appris à éviter, comme le veut la coutume de l’école – et vice-versa d’ailleurs. Car après tout sur Genosha il existe une guerre tacite pour les moins de 18 ans : celle entre les deux seules écoles de l’île. L’une se revendiquera meilleure que l’autre pour telle ou telle raison. Et pourtant, vu que nous habitons tous sur une île, nous nous connaissons tous ou presque de vue en quelque sorte. Une bonne journée en perspective, en somme. Je regarde ma montre et me retiens de soupirer : il n’est plus possible de reculer. « Arrête de faire cette tête Cassie, ce n’est pas comme si tu allais à cette sortie scolaire sans Kate et les autres. » J’esquisse un sourire à mon père qui se retient de ne pas me chambrer, pour une fois. Lui me dit ça alors qu’il aurait trouvé n’importe quel moyen pour ne pas y aller. Et même s’il marque un point – après tout je ne suis pas seule à cette sortie et c’est toujours un moment top lorsque je suis avec les autres – je ne compte pas lui faire ce plaisir de lui avouer. Alors je l’embrasse sur la joue et le salue en sortant de la maison, prête à affronter cette sortie scolaire en mettant mes écouteurs sur les oreilles. J’espère secrètement que le café que j’ai ingurgité et la musique arriveront à me réveiller. Sinon ce serait le boulot de Kate.
J’arrive au point de rendez-vous assez rapidement et remarque l’alignement des cars derrière l’attroupement d’adolescents. Je scrute la foule tout en avançant pour retrouver les têtes familières avant de retrouver Teddy un peu plus loin. J’ai à peine le temps de le saluer que la voix de Kate me parvient à mes oreilles. Kate, toujours aussi souriante lors des sorties scolaires. « Je t’avoue que j’aurais largement préféré dormir un peu plus ce matin mais ça va. Et toi ? » Une voix nous fait signe d’avancer vers les cars. Nous nous exécutons et j’entraperçois le visage de Nur. Le magicien, comme je l’appelle depuis « l’incident » sur la plage. Ou comment me dire que je vais me retrouver dans une situation compliquée si je tombe sur lui pendant la journée. Quelle idée de faire une sortie commune avec ceux de Magnus, franchement. Heureusement que j’avais parlé de cette histoire à Kate, au moins.