Ce n’est pas dans ses habitudes de s’en griller une au boulot mais là, elle en a besoin. Elle sait que personne ne viendra la déranger car ils savent quand elle part fumer sur le toit du commissariat, ce n’est pas seulement pour souffler. C’est aussi pour éviter qu’un bain de sang ne se produise dans les locaux. Qu’on se le dise, Kris n’est pas du genre à s’emporter comme ça. Elle a son caractère bien sûr. Elle est toujours en train de rire et on pourrait lui reprocher son manque de sérieux car elle a toujours une blague pour détendre l’ambiance, même en période de crise ou en plein interrogatoire d’un suspect. Le niveau des blagues dépend grandement du nombre de sucrerie qu’elle s’est enfilé au cours de la journée. Hyperactive dans l’âme et préférant prendre la vie du bon côté, elle ne s’insurge pas au quotidien contre certaines choses agaçantes. Sauf quand il s’agit d’un connard de flic misogyne au possible qui lui cherche des noises depuis des mois pour voir combien de temps elle va mettre avant de craquer. Et là, elle commence à saturer. Ce type est clairement en train de la chercher et il a fini par la trouver. Le mug de café au lait a volé dans l’open space sans que quiconque ne le voit venir pour atterrir en plein dans le nez de Jean-Baptiste Tête de Con. Trente point pour Poufsouffle. Et si on ne l’avait pas retenu, les chaussures à talon qu’elle porte auraient suivi le même chemin.

Elle pousse un soupir rageur en expulsant la fumée de sa cigarette. Connard, connard, connard, CONNARD ! Cela irait mieux si elle le criait un bon coup, mais elle ne se voit pas se mettre à hurler des insultes sur le toit à cette heure.  Elle écrase sa cigarette et range son briquet dans le paquet, toujours sur les nerfs. Depuis qu’elle l’a acheté quelques semaines avant, elle n’en a fumé que trois. Et elle serait bien partante pour fumer la quatrième, là, maintenant mais du travail l’attend et elle ne compte pas laisser Jean-Baptiste Tête de Con l’empêcher de travailler. Ça lui ferait bien trop plaisir. Elle sait très bien, qu’à cette heure, il est en train de jouer les victimes auprès de tout le monde en disant que c’est pour cette raison qu’on ne doit pas laisser des postes importants à des gonzesses, ces hystériques. Connard. Gros connard. Gros connard de… Elle prend une grande inspiration et glisse son paquet dans la poche de sa veste en cuir. Elle est zen. Tellement zen qu’elle est prête à ne pas rigoler quand elle le poussera dans l’escalier et qu’il se brisera la nuque.  Elle lui en veut pour lui avoir fait perdre son calme. Parce qu’une fois qu’elle s’emporte, elle a du mal à redescendre.

Elle fait le chemin en sens inverse jusqu’à son bureau, ignorant royalement les regards en coin de ses collègues et le petit sourire encourageant de certaines. Maintenant, elle va se trainer une réputation qui va lui coller à la peau pendant des semaines. Elle se demande si son surnom ne va pas devenir quelque chose comme Mugbreaker. Kristina Mugbreaker Aaronovitch, première du nom, la lanceuse de mug en pleine tête. On sait être créatif au poste, pour ce genre de chose. Un peu trop, parfois. Elle prend place sur sa chaise et découvre une tasse de café au lait encore fumant. Elle l’observe avant de lever le nez pour se demander qui lui a apporté. Puis elle décide que c’est gentil, que ça tombe bien et que l’auteur des faits se manifestera plus tard. Elle se remet donc au travail, de meilleure humeur. Deux minutes top chrono après, son téléphone sonne, la faisant sursauter. Elle décroche instantanément et reconnait la voix de Pamela, à l’accueil. Quelqu’un demande à la voir. Kris marque un instant d’hésitation avant de répondre qu’elle arrive. En général, ce n’est pas elle qu’on demande à voir. Ça doit être important ou alors, ça doit être… En fait, ça peut être n’importe quoi. On ne l’appelle jamais depuis l’accueil. C’est donc la curiosité qui la pousse à aller voir, plus que son sens du devoir.

A l’accueil, elle cherche du regard Pamela qui lui montre du doigt un jeune homme qui patiente dans un coin. Elle se racle la gorge, hoche la tête et s’avance en prenant son air professionnel. Il prend la parole d’office, avant même qu’elle ne se présente. Kris croise les bras sur sa poitrine en l’écoutant. Il veut lui parler. Seul à seule. Rien que ça. Elle fronce un sourcil et laisse retomber ses bras. «  D’accord. Suivez-moi. » Elle reste brève, même si son interlocuteur est plutôt mignon. Elle lui fait un signe de tête pour lui indiquer le chemin avec un petit sourire. Dans un coin de son cerveau, elle sent qu’il y a un truc qui ne va pas. Elle ne sait pas de quoi il s’agit mais elle se sent en alerte. Elle mène le jeune homme dans une salle d’interrogatoire vide et lui désigne une chaise. «  Vous pouvez vous asseoir ou rester debout, c’est comme vous le sentez. » Quant à elle, elle prend appui sur le bord de la table, en croisant à nouveau les bras. Elle se demande bien ce qu’il a aussi d’important à lui dire, nécessitant tout ça. En espérant que ça en vaille le coup.

Comme ce n’est pas tous les jours que Kris a un appel pour elle, elle est sur la réserve. Elle ne sait pas à quoi s’attendre. L’avantage de parler dans la salle d’interrogatoire, c’est qu’au moins, c’est filmé si jamais ça part en eau de boudin. Elle croise les bras, sur la défensive, prêtant une attention toute particulière au langage corporel du jeune homme en face d’elle. Il est souriant, un peu charmeur et si elle n’était pas en train de se méfier, elle aurait pu se prêter au jeu. Mais elle sent une certaine impatience se manifester chez elle, alors qu’elle est en train d’attendre qu’il daigne parler. Finalement, il croise les bras derrière le dos et lui sourit de plus belle en lui disant son nom. Elle arque un sourcil. Aldébaran ? Ce n’est pas commun. Ce prénom lui dit quelque chose, elle est certaine de l’avoir lu quelque part. Une certaine confusion se peint sur les traits de Kris qui se redresse un peu. Aldébaran… Aldébaran… Où a-t-elle déjà lu ce prénom ? Pétard. Elle déteste quand ça lui arrive. Avoir l’information sur le bout de la langue et ne pas pouvoir se souvenir d’où ça vient. Kris a pourtant une très bonne mémoire. Elle mémorise les informations et les stocke dans un coin de sa tête pour s’en servir bien plus tard. Alors galérer pour savoir où elle a déjà lu le prénom Aldébaran, ça l’énerve un peu. Heureusement, le jeune homme vient à sa rescousse. Il dit qu’il ne compte pas y aller par quatre chemin, ni mentir. Tant mieux, parce que là, elle nage en pleine confusion et ne sait pas ce qu’elle doit en penser. Directement, il poursuit. Il a la réponse. Mais pas celle qu’elle attend. Aldébaran Aquilae. Elle se souvient maintenant. C’est le frère d’Altaïr Aquilae, l’une des deux têtes de la mafia qu’elle traque depuis quelques mois et qui prend un malin plaisir à lui rappeler qu’il a bien trop d’influence pour qu’elle en vienne à bout toute seule.

Elle sursaute, le regard agrandi par la surprise. « Qu’est-ce que…»  Alors ça… Fantastique. Un Aquilae qui vient la trouver sur son lieu de travail. Elle ne sait pas si elle doit être furieuse, effrayée, les deux ou encore une autre émotion qui n’a absolument rien à voir avec les autres. Elle garde ses yeux rivés sur Aldébaran, se félicitant d’avoir pris l’initiative de l’amener ici si jamais… Elle ne sait même pas ce qu’elle doit en penser. Impassible, Kris reste immobile. Alors ça, c’est fort de café. Altaïr envoie carrément quelqu’un ici pour lui faire peur. Elle savait à quoi elle s’engageait en prenant ce dossier. Elle se doutait bien que ça allait se retourner contre elle. On ne poursuit pas un mafieux sans conséquences fâcheuses. « Discuter ? Menacer, plutôt, non ?» Un petit sourire se dessine sur les lèvres de Kristina PasdInstinctdeSurvie Aaronovitch. Elle est seule dans une pièce avec un mafieux. C’est loin d’être la situation idéale pour laisser parler son côté sarcastique. « Et que me vaut cet honneur ? Vous allez gentiment me demander de perdre les dossiers concernant votre frère et sa femme en cours de route ? » Elle hausse les épaules. Il manque pas d’air, le Altaïr. Envoyer son propre frère pour discuter avec elle. Il ne doute de rien, celui-là. Et il peut, c’est ça, le pire. Toutes les tentatives de Kristina pour le coincer se sont soldées par des échecs cuisants. On lui a bien fait comprendre qu’elle risque sa carrière à s’acharner comme ça. Mais elle ne peut pas laisser passer un truc pareil. C’est plus fort qu’elle. Altaïr et Vega Aquilae sont des gros poissons qu’elle ne peut pas laisser filer.

Elle se redresse, se décollant de la table. Elle se tient droite comme un I. Beaucoup de choses lui traversent l’esprit. Si cet échange tourne mal, il y a des preuves. Mais vu comme cette famille a des relations un peu partout, les preuves risquent de disparaître. Mais Altaïr ne serait pas non plus assez fou pour envoyer quelqu’un la tuer directement dans un commissariat. Trop de visibilité. Trop de… Trop de choses qui bougent dans la tête de Kristina, si bien qu’elle ne sait pas ce qu’elle doit en penser. Ni comment elle est censée réagir. Elle regrette d’être toute seule, là, maintenant.

En mettant de côté le vent de panique qu’elle ressent, Kris a comme l’impression de se sentir légèrement prise au piège. Juste légèrement. Parce qu’elle reste positive et qu’elle voit quand même le verre à moitié plein. Au moins, il y a toujours cette distance entre elle et Aldébaran. Même s’il a l’air de se moquer d’elle en reprenant ses dires et en changeant les termes. Pourtant, le message reste clair dans le cerveau de Kristina qui a le regard rivé vers lui. Elle n’aime pas ce petit sourire et cet air détendu. Ça lui donne l’impression qu’il fait comme s’il était chez lui et qu’il était en position de force. Et le pire ? C’est qu’il est réellement en position de force. Elle le sent au plus profond de son être. Elle est seule sur le coup. Mais elle préfère ne pas montrer ce qu’elle ressent.

Fidèle à elle-même, Kris ne peut s’empêcher de lancer un petit sarcasme. Mais là encore, ça se retourne contre elle, car Aldébaran poursuit de plus belle. Elle penche la tête sur le côté avec une expression qui veut clairement dire « Mec, tu te fous de moi, là ?». Elle secoue la tête. Le pire, c’est que s’il ne s’appelait pas Aquilae et qu’il n’avait aucun lien avec Altaïr, elle pourrait trouver ça drôle. Elle aime les gens qui ont de la repartie. Ça fait un peu de sport. Cependant, comme il s’appelle justement Aquilae et qu’il est le frère de celui qu’elle veut coffrer, elle le prend plutôt mal. Plutôt ? Pas qu’un peu, en réalité. Elle est furieuse. Elle a envie de lui faire ravaler son petit sourire mais une fois encore, elle ne le montre pas. Intérieurement, elle fulmine. C’est la journée des casse-couilles.  Elle ne dit rien mais sa main vient nerveusement tapoter le bord de la table. Elle ressent presque l’envie de se ronger les ongles alors qu’elle a arrêté, il y a bien des années.  

La suite la fait sortir de ses gonds. Un café ? Il se pointe à son boulot pour la menacer - non… DISCUTER - et il parle de prendre un café ? Rah ! Elle fulmine de plus belle, le fusillant du regard. Elle a cet air farouche qui lui vaut parfois le surnom d’Ouragan Kristina. La quatrième cigarette, elle va aller la fumer sur le toit, oui.  Tu vas voir où je vais te la mettre, ta main tendue. pense très fort Kristina. Mais ça risque de ne pas arranger ses problèmes. Elle est partagée parce qu’elle ne sait vraiment pas s’il veut l’aider ou s’il est en train de la manipuler. Et ça, elle déteste. Elle ne sait pas où elle est, quand elle le voit là, souriant avec sa tronche de beau gosse, sûr de lui. Elle pourrait jurer comme une charretière si elle n’avait pas un minimum de retenue. Elle secoue la tête, plantée devant la table et croise les bras. Elle doit garder son calme. C’est difficile mais il le faut. « Je ne préfère pas. Par soucis d’éthique, tout ça.» Elle lui adresse un clin d’oeil forcé et laisse retomber ses bras le long de son corps. Et bim, prends ça Monsieur Sourire Colgate. Il ne doit pas avoir beaucoup de refus avec sa gueule d’ange. Et ça, ça la fait jubiler intérieurement. « Vous devez être le genre de personne à qui on ne dit jamais non, parce que vous vous pointez avec votre belle tronche et un petit sourire charmeur qui passe partout. Mais ça prend pas avec moi.»  Elle secoue légèrement la tête, avec un petit rictus. « C’est dommage, avec un autre nom de famille et des circonstances différentes, j’aurais pu accepter ce café.»

Elle savoure sa petite victoire sur Aldébaran. Lui coller un méga rateau, lui faire prendre conscience que même quand on s’appelle Aquilae, on a pas toujours ce qu’on veut. Et ouais, c’est comme ça que ça marche, dans la vraie vie. Bienvenue dans la réalité, mon pote. Elle arque un sourcil en le voyant reculer. Elle a vraiment réussi à l’intimider ? Non, bien sûr que non. Elle n’est pas bien intimidante, avec sa petite taille et son petit gabarit. Elle est loin d’être le gros bras qu’il faut. Elle n’a pour elle que son tempérament enflammé et sa langue acérée. Elle doit admettre qu’il sait bien manier les mots. Il sait les tourner à son avantage et passer pour quelqu’un de courtois et de gentleman. Azy pourquoi le seul gars qui lui parle comme ça est un mafieux, quoi ? La vie est une pute. Elle garde son impassibilité en le regardant s’éloigner, en l’écoutant parler. Elle est vraiment désemparé par la tournure que l’échange est en train de prendre. Se recroiser un jour ? Ouais, dans un tribunal. See you in court, tout ça. Elle se retient quand même d’ajouter ce qu’elle pense, parce que si jusque là, Aldébaran se tient bien, ça peut changer. Elle ne le connaît pas, après tout. Qui lui dit qu’il ne va pas mal le prendre. Elle se contente simplement hocher la tête d’un air assuré. Elle ne répond pas à son au revoir, pour ne pas être véritablement désagréable. Elle ne s’autorise à respirer qu’une fois qu’il sort de la pièce. S’aidant de la table, Kris respire calmement pour mettre de l’ordre dans ses idées. Son coeur bat bien trop vite pour que ce soit normal. Elle se rend compte qu’elle est en train de trembler. L’échange a été fort en émotion. Elle s’octroie quelques minutes pour redevenir maitresse d’elle-même et sort de la salle d’interrogatoire. Elle va aller récupérer la bande au passage. On ne sait jamais. Pas aujourd’hui mais dans la soirée. Elle fait un détour par le toit, fume sa cigarette nerveusement et retourne peu de temps après à son bureau. Naturellement, elle cherche le nom d’Aldébaran Aquilae dans la base de donnée, des fois qu’un détail lui échappe.

Puis au fil des jours qui passent, l’incident devient un lointain souvenir. Elle n’en a pas parlé à Silke qui est pourtant sa meilleure amie et celle avec qui elle partage tout. Elle n’a rien dit à son frère parce que Stan se mettrait à flipper - à raison - et à demander à ce qu’elle change de job. Cependant, elle prend bien soin de ne jamais rester seule. Elle garde en tête l’avertissement sous-jacent. Se recroiser un jour. Ça veut tout et rien dire à la fois. Elle continue sa petite vie, interpellant des suspects, tapant des rapports. Sa petite routine de flic. Si bien que quelques semaines plus tard, Aldébaran Aquilae lui ai carrément sorti de la tête. Elle fait son petit chemin, sortant le soir, s’amusant avec ses amis. Ce soir-là, c’est le pot de départ d’un collègue et Kris décide de rentrer plus tôt après avoir bien ri et plaisanté. Elle a bu quelques verres, mangé beaucoup trop de sucrerie pour son propre bien et à présent, il est temps de rentrer. Elle salue une dernière fois le collègue qui s’en va, adresse un geste de la main à l’assemblée. Elle profite du calme de l’extérieur et de l’air frais pour souffler et prendre le chemin en direction de sa voiture. Ses talons résonnent sur le bitume et elle rentre la tête dans les épaules, bien à l’abri dans son manteau confortable. Elle s’arrête une seconde pour regarder son téléphone portable. Elle ne voit pas tout de suite la silhouette qui s’approche d’elle et lâche un hochet de surprise quand elle lève les yeux. Manquait plus que ça. Il faut qu’elle tombe sur un suspect qui a mal vécu le dernier interrogatoire que Kris lui a fait passer. Fantastique. Et en plus, il a bu. Il commence à déblatérer des trucs qu’elle ne comprends pas et elle lève les yeux au ciel. Elle a juste envie de rentrer chez elle. Et alors qu’elle s’apprête à passer son chemin, il la saisit par le bras et l’entraîne dans une ruelle. Kris se dégage violemment. Ce contact a éveillé quelque chose en elle qui ne lui a pas plu. Comme une sensation de brûlure. « Okay, je te conseille vivement de pas me toucher si tu ne veux pas finir par manger de la soupe jusqu’à la fin de tes jours, connard.» crache la jeune femme qui bien qu’elle se montre véhémente, n’en mène pas large. Si l’autre ne représente pas de menace en temps normal, elle est face à un type qui a trop bu et qui pense qu’elle est la cause de tous ses problèmes.

Il lui crache sa haine à la tronche et si Kris n’était pas en train de se masser le bras, elle aurait pu lui asséner que c’était pas son problème si sa meuf l’avait largué parce qu’elle a percuté que son alibi, c’était d’aller tremper le biscuit ailleurs. Elle garde une distance respectable, prête à anticiper le moindre geste. Elle garde le silence en cherchant un moyen de se tirer de ce mauvais pas. Elle a l’air de la parfaite fille en détresse avec ses talons et sa robe mais elle n’en est pas moins redoutable. Elle sait où viser s’il le faut et sait d’avance qu’elle n’aura aucun mal à le neutraliser. Il fait un pas et Kris sent ses muscles se tendre par anticipation. Elle est prête à lui démonter la tête s’il avance. Elle n’a pas aimé le contact et ça a éveillé une partie de son agressivité sans qu’elle ne sache comment. Ça lui arrive fréquemment ces derniers temps, mais c’est un autre problème. Et là, une voix se fait entendre. Kris tourne la tête dans la direction d’où elle provient. Ah bah tiens. Une problème n’arrive jamais seul. Aldébaran est là. Kris roule des yeux. C’est une blague ? C’est une putain de blague, c’est pas possible. Il s’adresse à elle et Kris est bien trop abasourdie par ce hasard de malade pour répondre tout de suite. Elle finit par articuler lentement en regardant le type bourré. « Non, on avait fini de discuter.» Elle ne lui adresse pas un merci et elle commence à s’en aller. « C’est gentil mais j’avais pas besoin d’aide.» Là, elle est vexée. Carrément vexée.

Elle a bien envie de lui faire perdre son petit sourire, au Aquilae, là. Elle est belle, la flic, tiens. En robe et en chaussure à talon, en train de se faire emmerder par un crétin alcoolisé. Elle ne sait pas lequel des deux elle déteste le plus. Mais elle décide sur un coup de tête que c’est Aldébaran, parce qu’il l’a vu dans cette position de faiblesse et que ça ne lui plait pas, mais alors pas du tout. Elle crache qu’elle n’avait pas besoin d’aide, commençant à partir en levant le menton. Like a queen. Elle n’arrive pas à croire que le hasard fait si bien les choses. Et elle n’a pas le temps de l’envoyer paitre et de continuer de défiler jusqu’à la sortie parce que voilà que l’autre andouille se remet à lui hurler dessus et l’attrape par le bras. A nouveau, le contact lui fait l’effet d’une décharge électrique. Mais cette fois, elle n’arrive pas à réagir, elle est comme tétanisée alors qu’un flash des moins plaisants remonte à son cerveau. Si elle n’était pas paralysée par une image comme ça, nul doute qu’elle aurait asséné son poing dans la tête de ce type avant de lui passer les menottes et peut-être même qu’elle aurait fait la même chose avec Monsieur Sourire Colgate tant qu’à faire.

Elle reprend conscience de ce qui l’entoure quand elle sent son bras libéré de la prise. Aldébaran a attrapé l’autre et l’a tiré en arrière. Posant une main à l’endroit où l’autre l’a attrapé, Kris assiste à la scène, les lèvres scellées. Elle n’arrive pas à aligner deux mots et se retient de trembler. Le rythme de son coeur est bien trop rapide, tout comme celui de sa respiration. Il n’y a que la fierté qui l’empêche de s’enfuir en courant pour se mettre à l’abri. Ou de s’effondrer sur le sol en attendant que ça passe. Elle ramène son bras contre elle et écoute les mots qui sortent de la bouche d’Aldébaran. Elle est vexée, effrayée et en colère. Son cerveau analyse la situation à toute vitesse. L’autre détale et ils ne restent plus qu’eux dans la ruelle. Elle ne dit pas un mot, se contentant de fixer Aldébaran, une mèche obstruant une partie de son champ de vision. Et il fait l’erreur de parler.

Toute sa rage se dirige contre lui, en train de se pavaner parce qu’il l’a sorti d’un mauvais pas. Elle serre le poing et les mâchoires. « Roh, ça va. Tu veux une médaille ?» Fini la politesse. Plus rien à foutre. Elle est bien trop remontée. Et alors que son cerveau marche à plein régime, elle se dit que ce hasard est trop beau pour être vrai. Bien trop. Elle se fait agresser et il surgit, comme un héros ? On est dans la vraie vie, pas dans un film. Le gars qui débarque pour sauver la demoiselle, c’est du flan. Elle s’avance et le pousse en posant son doigt sur son épaule et crachant avec hargne « T’étais en train de me suivre, hein ? » Elle ne sait pas ce qui l’énerve le plus. Le fait qu’Aldébaran la suive comme un foutu stalker, qu’elle se soit retrouvé incapable d’agir ou les deux. Elle s’écarte, rageant de plus belle. Si elle n’avait pas un minimum de self control et d’instinct de survie, elle lui en aurait collé une pour lui faire ravaler son petit sourire. Mais après la colère, vient l’épuisement. Elle comprend qu’elle ferait mieux de se battre contre des moulins à vent car elle aurait plus de chance de gagner. « Merci, voilà, t’es content ? » Prononcer cette phrase lui arrache la bouche bien plus qu’elle ne veut l’admettre.  « J’ai pas envie de me battre ce soir. Donc si je dis oui à ton café, tu me laisses tranquille après ? » Elle n’est plus à une connerie près.