La nuit est déjà presque tombée. Une douce fraîcheur englobe les rues quasi-désertées. Daeho a toujours apprécié marcher dans la pénombre. Il a toujours aimé regarder les étoiles, contemplant les astres en pensant très régulièrement à sa petite soeur de coeur, perdue désormais parmi l’une d’entre elles. Il a toujours apprécié le silence. Le calme plat d’une obscurité apaisante même s’il n’était qu’éphémère, brisé souvent par l’arrivé d’une voiture, l’invitant aussitôt à travailler. Oui. Il a toujours aimé la nuit. Peut-être parce que son métier le lui obligeait. Peut-être parce qu’il passait les trois quarts de son temps à arpenter les trottoirs dans l’attente d’une cliente qui l’aurait choisi lui et pas un autre. Peut-être parce que c’était sa deuxième maison. Son monde à lui. Un monde bien différent du commun des mortels et pas vraiment apprécié pour la plupart mais dans lequel, il avait l’impression d’appartenir. Oui. Il aimait la nuit. Même si cela appartenait désormais au passé. Même si Lena, lui avait donné une nouvelle opportunité de travailler plus légalement. Dans une vrai maison close. Dans un établissement sécurisé où il n’aurait pas à subir la brutalité d’un mari jaloux ou la violence d’une cliente un peu trop éméchée ou désireuse de faire de lui qu’un simple objet. Dans un lieu bien plus sympathique où il n’aurait pas à être arrêté en permanence. Où il n’aurait pas non plus à se cacher, devant une patrouille ou un mac qui aurait pu lui mettre le grappin dessus pour le martyriser.

Il ne se prostitue même plus. C’est pour dire. Il se contente maintenant de servir les clients au bar, se trémoussant par moment sur scène pour leur bon plaisir et le sien par la même occasion. Une nouvelle vie. De nouvelles opportunités. Il ne pouvait pas rêver mieux mais ce soir. Cette nuit. C’est différent. Il n’a pas le temps de la contempler. Il n’a pas le temps de traîner. Il n’a même pas le temps de saluer les quelques prostitués qui sont devenu pour la plupart des amis inavoués. Il n’a pas le temps de s’allonger dans un parc déserté et de contempler ces étoiles pour l’unique et bonne raison qu’il est pressé. Stressé aussi. Son coeur bat rapidement contre sa poitrine et ses poings sont serrés. Si serrés que ses ongles entrent presque dans ses paumes particulièrement contractés.
- Bande de salauds ! J’espère que vous allez payer le prix cher.

Il est énervé. Ses traits longilignes sont tendus et un frisson même le parcoure lorsqu’il tourne à un coin de rue, bien décidé à rejoindre le bâtiment convoité. Il a voulu faire ça tout seul. Il a voulu quitter promptement son appartement pour casser la gueule aux autres mais il a promit cependant de ne pas laisser sa fougue et son impétuosité parler. Il lui a promit. Ses pensées se tournent alors vers son amie et sa colère n’en est que plus aiguisée. Car oui, ce soir. Quelque chose s’est passé. Et pas des moindres. Ce n’est pas pour rien qu’il marche avec rapidité dans ces rues désertées. Ce n’est pas pour rien qu’il traverse le quartier pour rejoindre un lieu qu’il connaît bien à force d’y avoir été emmené. Ce n’est pas pour rien qu’il est dans cet état et il réprime même une larme qui manque de tomber.

Daeho doit l’aider. Il ne doit pas laisser la rage l’emporter. Il renifle bruyamment et ancre ses iris sur le poste de police qui se trouve enfin à quelques pas seulement de sa position. C’est horrible. Quand il a vu son amie sur le palier, blessée et rouée de coups en tout genre il a eu la bref impression de revoir sa petite soeur. De la revoir, les traits dévorés par une peur sans nom et sans visage. Il a eu l’impression de revivre ce moment où il a su pour son viol. Pour son agression qui est le responsable en tout point de son malheur. Il a eu l’impression de revenir des années en arrière et cela lui porte au coeur. Il déteste cette impression. Ce sentiment qui le dévore littéralement de l’intérieur. Alors oui, il a voulu s’en occuper tout seul  mais lorsqu’il s’est apprêté de sortir, après que son amie lui est confié avoir été violée par un groupe d’homme qui a cru bon d’agresser en toute impunité une prostituée trouvée à la volée, cette dernière l’en a empêché. Il a dû se tourner vers une autre solution. Même contre son gré. Et quelle meilleure solution que d’exiger de rencontrer cette policière, unique agent qui pourrait l’écouter sans lui rire au nez. Puisqu'elle est la seule dont il a vraiment confiance. A force de l'avoir croisé.  
- Je dois parler à l’agent Jones. C’est important.

Pas de bonjour. Pas de formule de politesse. Non. Il n’a pas le temps. Il n’a pas le temps de sourire alors que ce groupe de connard court encore les rues. Il n’a pas le temps de soigner son image même si le policier en face de lui, fronce les sourcils d’un air mécontent. Un soupir impatient traverse alors ses croissants de chair et il se penche en avant, papillonnant des paupières comme pour mieux l’amadouer. Bien que ses traits restent parfaitement crispés par toute cette colère contenue en lui et prête à exploser :
- Dites-lui que c’est Daeho. Elle comprendra.

Pour une fois qu'il venait à elle de lui-même. Oui. Elle comprendra. Daeho ose l'espérer.

Ⓒslytbitch.

Les rapports s’empilent sur son bureau et elle n’a décidément pas assez de caféine dans les veines. Ses doigts viennent à la rencontre des touches de son clavier, qu’elle ne regarde plus tant elle connaît l’emplacement des lettres par coeur. Jessica est une femme d’action et la paperasse est sa kryptonite. Mais elle a perdu un pari et elle écope des rapports des autres car c’était le deal. En ce début de soirée, le calme règne au poste de police, évènement suffisament rare pour être souligné. Les activités de chacun se déroulent avec lenteur, car il n’y pas d’urgence. Les quelques collègues qui sont restés se retrouvent à naviguer d’un bureau à l’autre, une tasse de café à la main. Certains s’ennuient tellement qu’ils se précipitent sur le téléphone pour répondre, histoire d’avoir quelques choses à faire. Des moments de calme qui ne réussissent à personne, sauf aux agents les plus vieux, qui savent que ces instants sont si rares qu’il faut les chérir. Loin de se douter que sa propre tranquilité serait dérangé, Jessica soupire en attaquant un autre dossier. Elle y jette un oeil, corrige les fautes et se lance dans la rédaction. La corvée de rapport est ce qu’elle déteste le plus. Mais c’est toujours mieux que d’être affectée à la circulation si elle en vient à se plaindre. Nouvelle gorgée de café, nouveau regard sur l’heure et elle s’y remet, avec plus de ferveur car ça lui permettra d’en terminer plus vite. Luke est à la caserne de toute manière, donc Jessica n’est pas attendue à la maison. Mais elle ne veut pas avoir à taper de rapport le lendemain. Même si elle ne cracherait pas sur un peu d’action.

Les ordinateurs ronronnent, emplissant la pièce pourtant agitée d’habitude, d’un bruit de fond. Elle se gratte la tête en soupirant, se demandant si la tournure de sa phrase n’est pas maladroite. Elle est tiré de ses questions grammaticales par la voix d’un de ses collègues qui l’interpelle.

- Jones ! Y’a quelqu’un pour toi !

Elle redresse la tête, cherchant du regard celui qui l’appelle. Elle le voit alors qu’il fait des grands gestes dans sa direction, le téléphone collé à l’oreille.

- A l’accueil. Un certain Daeho.

Les yeux de Jess s’agrandissent de surprise alors qu’elle se redresse vivement de sa chaise. Voilà qui n’est pas commun. Passé la stupeur, elle comprend que s’il est venu, c’est qu’il y a quelque chose.

- Dis-leur de le laisser monter, il connaît le chemin.

Oui, il connait le chemin vers son bureau. Parce qu’elle ne compte plus le nombre de fois où elle a du l’arrêter pour racolage sur la voie publique. Certains flics et travailleurs du sexe entretiennent ce genre de relation, au point qu’ils ne cherchent plus à utiliser leur nom de famille. Juste des « Cela fait deux fois que je t’arrête ce mois-ci» et des «Ouais, ouais, je connais la chanson. » Les prostitués passent une nuit en cellule pour la forme et puis à eux la liberté. Mais c’est très rare qu’ils viennent à eux. Parce que pour des raisons évidentes, ils évitent les flics. Si Daeho vient à elle, c’est que c’est sans doute important. Elle débarrasse son bureau à la hâte, sous le regard interloqué de ses collègues. Au diable les rapports. Elle le connait bien. Et étrangement, elle s’est même prise d’affection pour lui, alors qu’il n’est son cadet que de quelques années. Comme une sorte de grande soeur qui s’inquiète de le savoir dans la rue. Leurs échanges sont pourtant jalonnés de sarcasme car Jess n’arrive pas à dire aux gens qu’elle tient à eux. Luke étant l’exception qu’elle a fini par épouser.

- Hojin, qu’est-ce qui t’amène ?

L’expression du jeune homme coupe toute tentative d’humour de la part de Jess. Elle comprend que quelque chose de grave s’est passé. Quelque chose de compliqué, sinon il ne viendrait pas la trouver directement à son bureau.

Ⓒslythbitch

Attendre. En règle générale, Daeho est plutôt patient. Ou du moins, c’est une qualité qu’il a dû apprendre et maîtriser en traînant ainsi dans les rues, en quête d’une nouvelle cliente. Mais là, c’est différent. Il ne l’est pas. Il ne supporte pas cette attente et l’expression du policier ne fait qu’accentuer cet état de rage et de colère avancée. Adossé sur le comptoir de l'accueil, les avants-bras posés et le regard fixé, ses pieds bougent au rythme de son agacement. Il prend alors une voix mielleuse mais teinté de mécontentement. Il aimerait que ça aille plus vite mais l’officier prend visiblement tout son temps, ce qui lui fait lâcher un soupir d’exaspération.
- Qu’est-ce que vous ne comprenez pas dans le mot “important”? Vous préférez peut-être “urgent”?

Il n’a jamais aimé les flics. Il faut le dire. Il se sent mal à l’aise ici, devant ce type qui le sonde à présent de la tête au pied. A croire qu’il y a marqué, noir sur blanc, “Ancien prostitué” sur son front dégagé. En même temps, ce n’est pas la première fois qu’il arpente cet endroit. Sauf qu’il est généralement accompagné. Il est également menotté et quand bien même. Il est bien trop énervé pour rester positif alors que dans un sens, son métier et ses arrestations intempestives ne l’ont jamais dérangé. Là, tout de suite, il veut juste voir l’agent Jones. Et le plus vite serait le mieux. Ses doigts pianotent hardiment la surface du bureau et il ne peut s’empêcher de lâcher un:
- Merci à vous Monsieur l’agent ! Votre vitesse d’action vous honore.

D’une voix extrêmement sarcastique quand ce dernier daigne enfin se lever de sa chaise pour accéder à sa requête. Non, vraiment. Daeho n’est pas d’humeur. Il n’est pas d’humeur taquine. il n’est pas d’humeur courtoise. Il n’est pas d’humeur patiente ni d’humeur tout court. Ses pensées n’arrêtent pas de tourner en boucle dans son esprit et il n’a qu’un seul désir. Une seule envie : voir ces connards derrière les barreaux en espérant que l’Agent Jones le prenne au sérieux et fasse le nécessaire pour. Il n’y a pas de raison cela dit. La policière le connait assez pour savoir qu’il ne viendrait pas ici de son plein gré sans une très bonne raison derrière Depuis le temps, il a apprit à lui faire confiance. Il a apprit également à l’apprécier, à se tourner vers elle en cas d'extrême nécessité. Mais rien n’empêche qu’elle décide pourtant de lui claquer la porte au nez. Car c’est toujours difficile pour un représentant du sexe de se faire entendre. Surtout dans un milieu aussi renfermé. Ils sont rarement pris au sérieux. Caché, pointé du doigt, mal aimé pour un métier que beaucoup considère comme honteux. Sale, non désiré. C’est toujours difficile, voir impossible de trouver quelqu’un capable de les aider. Car vous comprenez. “Une pute n’est rien qu’une pute. Violer? Pas possible, elle l’a forcément cherché. Elle n’a qu’à pas faire ce genre de métier”

Ces mots. Daeho connaît. Ce refrain. Ces semblables et lui l’ont entendu des milliers de fois, face à des forces de l’ordre peut enclin à les aider. Ou par des passants, convaincu A+B, qu’ils ne sont pas digne de la société. Le jeune homme n’en a jamais tenu compte. Cela lui passait au dessus. Il savait ce qu’il faisait et il le faisait sans l’ombre d’une culpabilité. Lui qui, pourtant, en a pour d’autres raisons, caché au plus profond de son être brisé et inavoué. Mais oui. Se prostituer lui plaisait, d’une certaine manière. il s’en fichait bien du regard des gens et même si sa nouvelle condition est bien meilleure que celle passée, il ne regrette pas ce choix. Pour la simple et bonne raison que ce milieu a eu le mérite de l'accueillir comme il se doit. Après la brisure de son coeur déchiré.

Une boule se forme dans sa gorge serrée. Cependant, ses pensées sont bien vite arrêté par le dit policier qui revient, l’invitant à monter. Parfait. Il est soulagé. Doucement, Daeho incline la tête et prend le chemin démontré. Il n’a pas besoin de guide. Ses pas le mènent d’emblée. C’est là où il se rend compte à quel point il connaît cet endroit et c’est en deux temps trois mouvements qu’il se retrouve devant le bureau escompté, avec ces yeux familiers braqués sur lui.
- C’est une amie. Elle a besoin d’aide. Ils l’ont…

Ses mots restent bloqué. Des larmes de haine brillent dans ses pupilles presque dilatées. Ses poings se serrent et il baisse la tête. Il tâche de ne pas revoir le visage de sa soeur de coeur s’interposer avec celui de son amie. Il tâche de ne pas penser à elle et ses doigts se crispent pour ne pas plus éclater sous ses nerfs déjà bien à vif. Il se mord les lèvres. Après une légère pause, il reprend, ancrant de plus belle ses iris aux siens pour lui faire comprendre à quel point elle doit l’écouter :
- Des types l’ont agressés. Physiquement. Elle est venu me trouver chez moi mais elle n’a pas eu le courage de déposer plainte. C’est pourquoi, je viens à sa place. Tu dois m’aider Jones. T’es la seule en qui j’ai vraiment confiance ici. Les autres…. Ils ne comprendraient pas.

Ⓒslytbitch.

Quelque chose cloche. Le sarcasme habituel de Daeho est absent. Cet air de défi qu’il lance à la vie n’est pas là. Jessica lit une émotion différente dans ses yeux. Une émotion qu’elle connait très bien, elle, parce que cette dernière a été le moteur de sa vie pendant trop longtemps. C’est de la colère. Plus que de la colère, c’est de la haine, dirigée vers quelqu’un. Pas elle, car il ne serait pas venue la voir. Il ne prend pas place, comme elle l’y a invité. Non. Il reste droit, planté devant elle alors que sur son visage, on peut lire la tempête qui se joue dans sa tête. Cela l’interpelle, la bouscule. Elle songe que quelque chose d’horrible est peut-être arrivé pour qu’il fasse le déplacement jusqu’ici au lieu de l’appeler. Par reflexe, sans doute, elle sonde le physique du jeune homme, à la recherce d’un indice. Pas de traces de sang.  Le visage ravagé, mais par les émotions, pas par des coups.

Puis enfin, il prend la parole. D’entrée de jeu, il va au fait. Cherche ses mots, car il a du mal à le dire. Elle devine les émotions qui l’étouffent et le prennent à la gorge. Elle a déjà été témoin de ce genre d’affaire, de ce genre de phénomènes. Et ça la prend, elle aussi, à la gorge. On pourrait pourtant croire qu’elle est habituée, car son boulot la fait cotoyer le pire de ce que l’humain est capable. Elle devrait rester de marbre et affronter le problème à bras le corps. Mais la vérité, c’est qu’on est jamais habitué. Une histoire horrible qui s’ajoute à une autre, puis à encore une autre. Cela a beau être son quotidien, elle ne s’y habitue jamais.  D’une voix douce, presque maternelle, elle l’encourage :

- Prends ton temps, Hojin.

Mais la vérité sort enfin. Claque, tombe. Une agression physique. Une amie. Elle fronce un sourcil, se demandant un instant pourquoi elle n’est pas venue d’elle-même. Puis elle comprend. Bien sûr. Evidemment. Ce système de merde qui laisse les travailleurs du sexe se balader dans les rues sans les protéger une seule seconde. Les laissant à la merci de n’importe quel taré. Elle passe une main sur son visage. Elle comprend mieux. Pourquoi il est venu la voir, elle, au lieu d’appeler la police et tomber sur n’importe quel officier qui aurait pu rire au nez de la victime. Le regard de Jess balaie les lieux et croise celui de ses collègues qui écoutent avec attention. Puis elle revient sur Daeho, en maitrisant ses mots et ses gestes.

- Tu les a vu faire ? Parce que je ne peux pas prendre ta plainte si tu n’es pas la victime ou que tu n'as pas assisté à la scène, Hojin. J’aimerais t’aider mais j’ai les mains liées.

Et elle se déteste pour avoir dit ça. Elle a l’impression d’être l’une de ceux qui ne comprendraient pas. Mais elle poursuit, histoire que ce soit bien clair.

- Si ton amie est prête à ce que je m’occupe de ça, je peux aller la voir. Avec toi, pour qu’elle ne prenne pas peur en me voyant. Mais je ne peux pas l’obliger à porter plainte, tu en as conscience de ça ?

Système de merde. Si ça ne tenait qu’à elle, bien sûr qu’elle aiderait Daeho. Elle irait corriger ces salopards elle-même, car elle vouait une haine sans borne à ce genre de déchet. Mais il y a des lois, des procédures qu’il faut suivre. Si l’amie de Daeho refuse, Jess ne pourra pas l’obliger. Elle marche sur des oeufs et chaque pas est délicat.

Ⓒslythbitch

Là, tout de suite, ses émotions s'entremêlent. Un mélange de peur, de tristesse et de colère incontrôlée. Il ne tient pas à être sarcastique. Pas aujourd'hui. Pas maintenant alors que son amie doit obtenir justice. Tandis qu'il ancre son regard dans celui de la policière, son ton claque dans le silence et il sert les poings du mieux possible pour ne pas exploser. Il lui implore son aide. Il voit en elle son unique chance de faire valoir leur droit et il déglutit, espérant pouvoir lui faire confiance. Il en a besoin. Son amie en a besoin et même si lui, a quitté la rue. La prostitution illégale pour un travail plus honnête, plus sécurisé. Mieux payé aussi. La condition de ses semblables lui tient à coeur pour l'unique et bonne raison que des liens se sont créés. Des liens difficile à briser. Parce que sa soeur de coeur n'a jamais pu être vengé aussi. Parce que sa soeur en est morte. Même s’il n’a jamais eu assez de preuve pour le prouver. De vieilles blessures s'ouvrent alors simultanément dans son coeur meurtri et il tremble presque quand Jones brise ses espoirs en une seule question. En lui demandant s'il a été témoin de la scène. Bien sûr que non. Ca serait trop facile. Ses jambes flageolent mais il tient bon. Son regard se baisse presque aussitôt et il murmure, d'un ton ferme mais déterminé. Bien décidé à ne pas abandonner :
- Non… Comme je te l'ai dit, elle est venue me trouver chez moi. Après l'agression...

Foutu système. Foutu administration qui ne fait rien pour les victimes. Qui attend sagement qu'un drame arrive. Sa mâchoire se sert et il se mord les lèvres, tant cela l'enerve d'entendre ça. Tant il se sent démuni, délaissé. Il ne peut pas en vouloir à Jones d'avoir les mains liées car à force de la côtoyer, il sait qu'elle est différente des autres. Plus attentif à leur condition. Mais il se sent trahit malgré tout. Oui. Il en veut à la terre entière. Il en veut à tout ces flics, ces hauts gradés de ne pas pouvoir. Ou de ne pas vouloir. Bouger leurs fesses pour intervenir. Surtout pour une vulgaire prostituée. Après tout, ils ne sont qu’une erreur de la société. Une chose à cacher parce qu’une pute, c’est sale. Moche. Interdit. Ça brise une réputation. Surtout quand un client s’avère riche et bien placé. Alors on estime qu’on peut tout faire avec. La frapper, la violer. La tourmenter, la torturer. Parce qu’elle n’a rien à dire. Qu’on choisit cette voie ou qu’on est obligé de la suivre, c’est pareil. Ça a toujours été ainsi. Daeho pourrait même s’en habitué. Mais non.
- J’aurai dû m’en douter.

Son coeur bat rapidement contre sa poitrine et il se penche en avant. Il appose ses mains sur le bureau. Il respire bruyamment. Par saccade sans pour autant flancher. Car il ne s’en donne pas le droit. Il ne se le donnera jamais. Pas devant les autres. C’est une règle qu’il a toujours voulu garder. Comme pour tant d’autres choses qu’il ne se l’avouera jamais.

Ses yeux brillent et il incline la tête silencieusement. Il fuit son regard. Il sait que son amie a été clair à ce sujet et que leur chance de retrouver ces connards s’en retrouve maigre désormais. Elle ne voudra jamais porter plainte. Par peur des représailles. Pas peur aussi d’avoir de lourd problème avec son mac. Celui qui lui prend l’argent pour une rémunération sordide. Un ricanement incontrôlé s’échappe d’entre ses lèvres et il relève la tête. Il fronce les sourcils. Il se redresse et poursuit néanmoins, avec un léger ton sarcastique. Parce qu’il ne croit plus en rien :
- Et comme d’habitude, on s’en souciera une fois seulement qu’elle sera morte. T’inquiète, je commence à comprendre le système.

Non. Jones n’y est pour rien mais il ne peut pas s’empêcher de déverser sa colère contre quelqu’un. C’est comme ça. Il n’arrive pas à lutter. Daeho marque une courte pause pour réfléchir. Il n’a pas le choix. Un soupir traverse la barrière de ses chairs et il poursuit, nettoyant ses yeux humidifiés d’un revers de bras.
- Allons-y si tu veux. Mais si elle refuse de te voir. Et c’est ce qui risque d’arriver car il y aura trop d’enjeux pour elle. Tu ne feras vraiment rien pour l’aider? Après tout ce temps, je te croyais notre alliée…

Ⓒslytbitch.

Elle déteste ce système injuste, imparfait. Parfois trop patriarcal.  Un système où la parole d'une victime de violence sexuelle, psychologique ou physique sera toujours remise en doute. Alors qu'elle est explique la situation à Daeho, Jess craint qu'il ne la voit comme les autres, comme ceux qui laissent crever les prostitués. Elle veut l'aider. Son être tout entier est révolté. Mais il y a des procédures, des lois et même si elles sont par moment obsolètes et absolument pas parfaite, Jess ne peut pas les ignorer. Elle voudrait.  Si ça ne tenait qu'à elle, elle irait elle-même trouver ces trous du cul pour leur faire passer l'envie de recommencer. Le corps humain possède un nombre infini d'os à briser. Mais elle sait qu'elle ne peut pas. Elle ne doit pas le faire. Les procédures sont également là pour protéger des abus. Elle passe une main dans sa chevelure, serre les dents en voyant Daeho se décomposer devant elle. Un pincement au coeur, un battement de cil et voilà qu'elle est tout aussi désemparée que lui.  Elle le voit, les mains posées sur le bureau, ce rire nerveux sortant de sa gorge.  Elle connait cette réaction. D'ici quelques instants, ça se retournera contre elle.

Elle retient son souffle et se prépare mentalement à affronter l'orage qui va s'abattre sur elle. Jess sait que dans quelques secondes, elle ne sera plus une alliée mais une esclave du système à ses yeux. Elle est habituée à ce refrain. Ça ne rate pas. Bim. Les mots de Daeho claquent dans le silence pesant. Jess redresse la tête en fronçant les sourcils. Une part d'elle comprend sa colère mais une autre refuse d'être le bouc émissaire.

Il va se calmer sa joie tout de suite ou c'est moi qui vais le calmer ne peut-elle s'empêcher de penser.

Elle ne se démonte pas, cependant. La culpabilisation, ça va bien trente secondes. Peut-être que les autres flics auxquels Daeho a été confronté au cours de son existence n'ont rien fait, mais elle refuse d'être assimilée à eux. Surtout quand elle passe autant de temps et d'énergie à lutter, à son niveau, contre ce genre d'injustice. Elle croise les bras et dirige son regard incandescent sur lui.

- Je ferais ce que je peux, alors tu vas changer de ton tout de suite. répond-t-elle sèchement. Puis d'une voix plus calme, plus tempérée :  Ne va pas croire que ça m'enchante de laisser des fumiers pareils s'en sortir. Car ils recommenceront, c'est certain. Si on veut les coincer, il faut des preuves, des témoignages et des plaintes.

Elle secoue la tête et s'appuie à son tour sur le bureau, face à lui. En disant ces mots, elle espère lui faire comprendre qu'elle est d'accord pour faire de son mieux. Qu'elle est prête à mettre son énergie dans la traque de ces enfoirés, si ça peut permettre de rendre les rues plus sûres.  Mais il y a des choses à mettre au point, car Jess n'est pas sans connaître le tempérament enflammé du jeune homme.

- Je veux bien me charger de l'affaire mais il faut que les choses soient claires, Hojin. Je ne suis pas ton ennemie. Si tu veux mon aide, ce sera en suivant les règles, même si ce n'est pas ton fort. On marche dans la même équipe. Pas d'expédition punitive en solo, compris ?

Ⓒslythbitch

L'injustice. Ce monde en est rempli. Daeho sait que Jones n'y est pour rien. Qu'elle suit le protocole. Qu'elle ne peut pas faire autrement parce que ce n'est pas elle qui commande. Ce n’est pas elle qui dirige. Mais oui. Hojin est en colère. Il est en rage contre ce monde. Ce système qui ne lui a jamais fait de cadeau. Qui s'en contrefout bien des plus démunis et qui ne rentrent pas dans le moule. Il est en colère contre tous ces flics qui les prennent de haut. Qui prennent leur cas à la légère. Qui ne bougent pas leur royal fessier pour sauver quelqu’un. Une personne en danger. Comme son amie ou sa soeur. Sa soeur de coeur aujourd’hui brûlée, enterrée avec le reste de sa famille d’accueil arrachée. Il s'en prend à la policière. A défaut de ne pas pouvoir exprimer à d'autres ce qu'il ressent. Ce qui le déchire au plus profond de son coeur, de son âme bafouée. Ses sourcils se froncent sur son front déjà plissé et il peste, crache en tremblant presque de tous ses membres.

C'est horrible. De se sentir aussi impuissant. De voir tous ses espoirs s'envoler car il sait. Il réalise que son amie refusera de témoigner. Qu'elle restera dans son mutisme. Pour se protéger elle mais aussi sa famille visée. Son mac est un connard. Daeho le connaît. De loin, puisqu'il s'est toujours évertué à ne pas le croiser. A ne pas entrer dans son cercle de prostitué au risque de ne jamais pouvoir s'en sortir. Il sait à quel point il est dangereux, n'hésitant pas à les menacer, à leur mentir pour qu'ils soient fructueux. Fermer sa gueule et encaisser. Voilà le quotidien de son amie. Dépouillée, volée, emprisonné sans possibilité de prendre la porte de sortie. Et maintenant violée, tourmentée, brisée par de parfaits étrangers sans espoir de voir ses bourreaux se faire enfermer. Oui. Foutu système. Justice? Tu parles. Pas pour eux. Système de merde qui l'a poussé déjà maintes fois à se débrouiller seul plutôt qu'à demander de l'aide. Pourquoi faire? La preuve ici. Pour une fois qu'il voulait suivre les règles au lieu de foncer tête baissée au devant du danger comme il avait pu le faire avec le bourreau de sa soeur. Quoi que… Même là encore c’était un échec et il aurait mieux fait de le tuer avant qu’il ne foute le feu à leur maison envolé. Mais ça. C’est une autre histoire. Une histoire qu’il n’a jamais pu percer, prouvé. Car pas de preuve. Encore une fois. Foutaise. Mensonge. Il aurait mieux fait de s’abstenir. La justice ne sert à rien et ne servira jamais.
- Mmm.

Jones perd patience. Elle lui demande de changer de ton et Daeho hausse les épaules. Il ne la regarde pas directement. Il se contente de croiser ses bras contre sa poitrine en tapant du pied, boudeur. Il ne réplique pas cependant. Parce qu’il sait en son fond intérieur qu’il va trop loin. Oui. Il en a conscience. Il n’arrive cependant pas à se canaliser. A se calmer car il y a trop de colère accumulé. Il garde un visage fermé, brouillé en la regardant continuer. En l'écoutant parler, énumérer le protocole en lui précisant bien qu'elle est de son côté.
- Mouai. Si tu le dis.

L'asiatique soupire. Le jeune homme finit néanmoins par se calmer. Un peu. Et ses épaules s'abaissent sous les avertissements claqués. Il n'a pas le choix. Malgré sa haine et son côté diva, il lui fait confiance. Toujours. Parce qu'il a apprit à le faire au fil des années. A force de se faire arrêter puis relâcher. Il n’a pas eu le temps encore de lui dire avec fierté qu’il bosse légalement maintenant mais il n’en a pas envie. Ce n’est pas le moment. Son coeur n’est pas à la joie éprouvé et ses bras tombent à nouveau le long de son corps svelte. Il prend une grande inspiration. Il renifle, cache sa peine, sa rage, ses larmes derrière son air déterminé. Puis son regard embrumé s'ancre à nouveau dans les siens et il répond, d'une voix plus lente, moins aiguisée mais piquante pour autant parce qu’il ne peut pas s’en empêcher. C’est trop pour lui. Cela resurgit sa forte sensibilité :
- Ok. Ok j'ai compris. Je n'ai pas le choix de toute façon. Je te suivrai SELON les règles et ce, sans rechigner. Je ne te quitterai pas d’une semelle et je me comporterai bien. Comme un petit enfant sage. Ça te vas? Tu es contente? On peut y aller maintenant?

Ⓒslytbitch.

Jessica n’a aucunement prévu de fonder une famille. Elle compte bien profiter de sa vie avec Luke avant de songer à faire des gosses. Elle ne se sent pas l’âme d’une mère. Après tout, elle a mis un temps incroyable avant d’être capable de s’occuper d’elle-même. Donc, non, elle n’a pas prévu d’avoir des enfants pour l’instant. Pourtant, alors qu’elle vient de recadrer Daeho, on peut déceler une certaine fermeté maternelle et l’envie de lui coller une claque derrière la tête lui donne l’impression d’être sa daronne pendant quelques instants. Ce qui est stupide, puisqu’ils n’ont qu’une année d’écart. Le terme exact serait plutôt grande sœur dans ce cas mais Daeho agit un peu comme un enfant. Elle doit le recadrer elle-même, comme elle l’aurait fait avec un des ados à problèmes qu’elle croise parfois dans le commissariat. Ses sarcasmes lui font lever les yeux au ciel avec force et elle serre les mâchoires. Était-elle aussi insupportable quand elle répondait de la même façon aux figures d’autorité qui se sont chargées d’elle ? Parce qu’elle a bien envie de leur adresser une lettre d’excuse et de gratitude pour toute la patience dont ils ont fait preuve à son égard. Daeho est là depuis cinq minutes et Jessica a déjà envie de lui éclater la tête contre la table pour qu’il arrête son petit jeu.

Mais elle ne peut pas lui en vouloir. Elle le sait. Son amie a été violée et elle serait probablement dans le même état de rage que lui. A s’en prendre à ceux qui ne peuvent pas agir parce que le système leur lie les mains. On a plus de résultats pour des crimes concernant la cruauté envers les animaux que pour les affaires de viols. Encore plus quand il s’agit des prostitués. Elle prend donc sur elle pour se montrer patiente et pédagogue – deux mots qu’elle ne connait pas mais qu’elle est obligée d’appliquer. Alors elle l’avertit. Ce sera selon les règles. Elle connait le caractère sanguin du jeune homme. Il est parfois insupportable mais ce n’est pas un mauvais gars. Il n’a juste pas eu de chance. Elle s’est reconnue en lui la première fois qu’elle l’a vu, car il avait cette colère envers le monde entier qui lui rappelait la sienne, avant qu’elle ne rencontre Luke et qu’il lui fasse voir la vie sous un meilleur angle. Les gens comme Daeho et Jess ont besoin de quelqu’un ne se laissent pas intimider par les masques qu’ils portent, par cette colère destructrice qui brûle en eux et ce caractère sauvage qui dissuadent parfois les plus patients.

- Je devrais me contenter de ça, visiblement.

Elle se redresse, décollant ses mains du bureau pour enfiler son holster et sa veste. Simple mesure de sécurité. Elle doute qu’elle devra s’en servir mais on ne sait jamais. Genosha est un pays de fou, en ce moment. Ça ne l’étonnerait pas qu’ils tombent sur une menace qui n’a rien à voir avec la raison de leur déplacement. Son service ne sait plus où donner de la tête et la politique en place n’arrange rien.

- Allez, en route, sale gosse. J’ai besoin que tu me montres le chemin.  

Elle désigne d’un signe de tête la sortie et invite Daeho à ouvrir la marche. Ils s’y rendront en voiture, bien entendu. Ses mains dans les poches, elle marche à ses côtés en prenant la direction du parking. Elle ne sait pas où cette affaire va les mener et surtout si elle ne fait pas une erreur en voulant agir comme ça. C’est d’ailleurs ironique qu’elle dise à Daeho de suivre les règles alors qu’elle est toujours à la limite d’avoir la police des polices sur le dos à cause de son caractère tête brûlée et ses excès de zèle. Et ce n’est pas sa partenaire qui dira le contraire.

Ⓒslythbitch

Oui. Daeho n'a pas le choix de s'y plier. Ses épaules s'abaissent mais il ne cache pas son mécontentement. Il appuie chacun de ses mots prononcés. Son cœur bat rapidement contre sa poitrine contractée et il soupire, souffle bruyamment comme pour faire part à la policière qu'il n'accepte pas ses fichus conditions de son plein gré. Mais le temps est compté. Plus ils resteront ici à parlementer, plus les agresseurs de son amie auront plus de chance de se laver les mains après leurs méfaits. Rien que d'y penser, Daeho se tend. Serre les poings à cette sinistre vérité. Tout son corps tremble et il se mord les lèvres pour se canaliser. Finalement, il aurait dû s'en occuper par lui-même au lieu de venir ici. Non… mauvaise idée. il n'avait pas le choix. Quand bien même, son amie l'en a empêché. C'était sûrement la meilleure solution trouvée. Il était tenté. Oh oui. De foncer dans le tas et de laisser son côté sanguin le transporter. Mais non. Malgré sa colère, il fait confiance à Jones. Il ne l'a pas choisi pour rien. C'est la seule ici, dans ce commissariat, qui ne le prend pas uniquement pour un vulgaire prostitué. Qui se soucie un minimum de sa sécurité. De son "bien-être" et il ne peut pas nier qu'elle n'est pas comme les autres. Qu'elle n'a jamais rien fait pour l'aider. Il se calme légèrement mais il ne peut s'empêcher cependant d'afficher un air boudeur, irrité, agacé par ce système qui, nettement, lui casse les pieds.
- Visiblement oui. C'est à prendre ou à laisser.

Bon. Sa colère le rend de mauvaise humeur, oui. Et il ne peut s'empêcher de répliquer même s'il n'est plus en position d'exiger quoi que soit à son interlocutrice pourtant appréciée. Par ailleurs, cette dernière se lève et l'invite calmement à se mettre en route. A lui ouvrir le chemin souhaité. Hojin hausse des épaules et se détourne, soufflant à nouveau entre ses lèvres pincées :
- Je ne suis pas un sale gosse. Je veux juste qu’on arrête ces fumiers. Je pensais que tu aurais pu le comprendre. Bref. Oui, allons-y. Elle est encore chez moi à se reposer.

A espérer maintenant qu’elle ne s’est pas enfuie après avoir découvert son petit mot laissé sur sa table de chevet. Daeho est inquiet. Ses hanches se dandinent comme à l’accoutumé et il enfouit l’une de ses mains dans la poche avant de sa veste, se fondant en mutisme pendant tout le long du trajet écoulé. Sur la route, ses yeux se fondent dans le décor et il se perd peu dans ses sombres pensées. Des pensées qui lui font serrer les poings. Des pensées qui lui martèlent le cœur comme jamais. Des pensées qui n’appartiennent qu’à lui alors qu’il revoit sa sœur de cœur. Celle qui n’est plus désormais. Celle qui a disparue dans les flammes avec le reste de sa famille d’accueil. Il repense à ce que ce connard lui a fait. Il repense à ses larmes, à sa souffrance. A cette émotion intense qui l’a tout bonnement brisée. Sa gorge se serre et il réprime à nouveau une larme au coin de ses pupilles plissées. Il s’en veut encore de n’avoir pas été là pour les sauver. Pour la sauver. Eve. Fleur délicate qui ne l’a jamais jugé. Qui l’a toujours pris comme il était. Au plus profond de lui. Qui ne s’est jamais moqué, au contraire, quand il arborait des vêtements de femme appréciée. Qui le trouvait beau malgré sa féminité refoulée. Oui. Hojin se sent impuissant et il espère ne pas refaire la même erreur avec son amie dévastée. Souillée. Déchirée par la malveillance de ces hommes qui a fait d’elle, un objet. Un vulgaire objet qu’on frappe, prend et jette pour l’unique et bonne raison qu’elle en fait ce métier.
- C’est la première à gauche.

Daeho sort soudain de ses pensées et indique du bout du doigt une ruelle à Jones avant de se redresser légèrement sur son siège reculé. Il espère toujours que la policière pourra l’aider. Qu’elle dépassera ses foutus obligations pour faire régner la justice. Même si pour eux, prostitués, il n’en existe aucune. Triste réalité. Maudite vérité qui le fait grimacer. Qui le fait gigoter sur ce siège à mesure que l’immeuble se dessine dans l’obscurité.
- Voilà c’est ici. J’espère qu’elle n’est pas partie. Elle n’est pas au courant que je suis venue te trouver. Jones?

Hojin marque un silence, une pause alors que la voiture s’arrête enfin sur le bas-côté. Un soupir s’échappe d’entre ses lèvres et ses iris viennent se poser sur la jeune femme assise à ses côtés dans un ton nettement plus calme et fatigué :
- Tu me promets de ne pas la brusquer? Elle… Elle me fait confiance et je viens certainement de la briser en venant te chercher. Je n’aimerai pas qu’elle se sente encore plus mal qu’elle ne l’est déjà.

Ⓒslytbitch.

Jones a conscience que le terrain sur lequel elle s’engage est glissant, risqué. Elle doit avancer avec prudence, de préférence en réfléchissant à chacun de ses pas. Mais le fait est que Jones n’est pas connue pour sa sympathie et encore moins pour prendre les gens avec des pincettes. D’où la requête d’Hojin de ne pas brusquer son amie. Quiconque ayant côtoyé la brune assez longtemps est au courant de son manque de tact et de ce caractère revêche qui est loin des conventions sociales. Elle a passé l’âge de jouer à la fleur délicate qu’un rien peut faner. Elle est trop vieille pour accorder de l’importance à ce qu’on pense d’elle et à l’effet qu’elle peut produire sur les autres. La seule personne pour qui ça a de l’importance est son mari et c’est pour lui uniquement que Jessica est capable de changer. Après tout, n’avait-il pas su l’apprivoiser, elle ? Peu impressionné par le caractère de la jeune femme en colère qu’elle était alors, Luke avait su s’y prendre. Quel autre homme que lui aurait-elle pu bien finir par épouser ? Alors qu’elle suit les indications de Daeho, qu’elle conduit jusqu’au domicile du jeune homme à peine plus jeune qu’elle, elle se mure dans un silence qui n’augure rien de bon. Car Jess ne sait pas marcher sur des oeufs, elle ne sait pas être rassurante. Ni brosser les gens dans le sens du poil. Elle ne se cache pas derrière les mensonges confortables que chacun espère entendre. Elle préfère dire la vérité blesse, celle qui fait l’effet d’un sparadrap qu’on arrache. Mais face à une victime de viol, comment peut-elle agir normalement ? Elle sait au fond d’elle qu’elle va devoir faire ce qu’elle déteste le plus : enfiler un masque.

La pause que marque le jeune homme en arrivant au lieu annoncé interpelle Jones. Elle ne dit rien alors que les mots de Daeho, plus doux et plus hésitants emplissent l’espace et le silence entre eux deux. Jessica hoche la tête, sans ouvrir la bouche. Une promesse silencieuse et solennelle. Elle défait sa ceinture, plongée dans un profond mutisme. Elle ignore pourquoi mais il y a quelque chose en elle qui s’éveille lentement en pensant à cette jeune femme qu’elle n’a jamais vu. Une colère, qui provient du fond de ses entrailles. Parce qu’il s’agit d’une victime de viol et que ce n’est un secret pour personne que Jess prend ces affaires au sérieux. C’est bien pour cette raison que Daeho est allée la trouver elle et pas un autre. Il sait pertinemment qu’elle fera ce qu’elle peut pour punir les coupables.

Elle le suit, toujours sans dire un mot. Elle se laisse guider jusqu’à l’appartement du jeune homme, où Jess met les pieds pour la première fois depuis qu’elle le connait. Elle glisse les mains dans les poches de sa veste en cuir et laisse trainer un oeil aux environs, pour enregistrer des détails. Une issue de secours, s’il le faut. Des endroits d’où quelqu’un peut surgir sans être vu. Elle rentre la tête dans les épaules et grimace, murmurant presque :

- Tu vis vraiment dans ce coupe-gorge ?

Son instinct de flic reprend le dessus, alors qu’elle analyse de plus belle les parages. Ce coin n’a pas l’air très sécurisé, ni très rassurant. Et c’est dans des coins comme ça que vivent ceux qui n’ont pas les moyens de faire la fine bouche. Elle pose une main sur le bras du jeune homme avant qu’il ouvre la porte de l’appartement et qu’il ne lui présente son amie.

- Daeho… Une fois qu’on aura vu ton amie… Jess déglutit avant de reprendre calmement. Il faudra vraiment qu’on discute de ta situation.

Jess sait bien que le métier de Daeho est dangereux. Qu’il comporte des risques. Mais même si elle le considère comme une épine dans le pieds, un sale gosse qui a presque son âge, Jess n’est pas rassurée. Il se passe bien trop de choses atroces sur cette île pour ne pas en rajouter une couche. Après avoir accroché son regard, elle retire sa main et lui désigne la porte :

- Après toi.

Ⓒslythbitch

Sauver son amie. Lui donner la justice espérée. Daeho se rattache à cette pensée et un soupir s'échappe de ses lèvres pincées. Il ne peut plus reculer désormais. Il doit faire confiance à Jones et il sait que cette dernière est vraiment la seule à pouvoir l'aider. A pouvoir aider son amie même si cette dernière lui a implorer de ne pas s'en mêler. De ne dire à personne ce qui s'est passé, ce qu'il vient pourtant de briser en allant retrouver la policière pour lui dire toute la vérité. Il ne peut pas nier. Il se sent affreusement coupable mais il n'avait pas d'autres choix que de la trahir. De briser sa promesse formulée. Il lui doit bien ça. Il le doit alors qu'il n'a jamais pu le faire pour sa soeur. Pour Eve, aujourd'hui décédée. Ses épaules se haussent et ses yeux se plissent lorsque soudain la policière fait état des lieux indiqués, brisant ses pensées amères comme sa culpabilité aux reproches claquée. Reproches qu'il n'apprécie pas tellement et qu'il s'empresse de montrer, en se montrant piquant comme à l'accoutumée.
- Oui, pourquoi? Il y a un problème?

Son regard se pose sur elle et ses mains s'enfouissent dans les poches de sa veste. Son ton est nonchalant, appuyé. Il est vexé. Ses sourcils se haussent et ses épaules s'abaissent alors qu'il fait pourtant l'impasse de cette remarque non désirée. Il sait d'où vient le problème mais lui, ne s'en offusque pas. Il est habitué. Ces immeubles, délabrés et froids, font partie de son quotidien et bizarrement, il ne se sent pas en insécurité. C'est sa maison, son immeuble. Sa vie aussi, son combat alors qu'il a dû se débrouiller tout seul à la mort soudaine de sa famille d'accueil. Ses hanches se dandinent et il ne pipe mot jusqu'à sa porte d'entrée où il s'affaire déjà à sortir ses clefs. Jones peut bien juger, elle ne sait pas ce qu'il a traversé. Elle ne sait pas la solidarité qui s'est formé dans cette situation bancale où leur métier est désapprouvé. Pointé du doigt comme une vilaine bactérie qu'on doit éradiquer. Un nouveau soupir s'échappe de la barrière de ses chairs et Daeho prend une grande inspiration pour ne pas laisser son appréhension exploser. Pour ne pas laisser son irritabilité le rendre détestable alors que Jones s'est montré présente à son appel désespéré. Elle s'inquiète, c'est tout. Il se sent touché mais il est bien trop en colère pour l'en remercier. Il s'apprête à ouvrir la porte quand brusquement, il sursaute au toucher hésitant de la policière qui, visiblement, prend sa condition à coeur, ce qui le fit de plus belle soupirer.
- Mui. Si tu veux. J'ai quelque chose à te dire à ce sujet de toute façon.

Sa voix se fait attristée malgré la joie passé d'avoir trouvé ce travail tant espère. Il est heureux d'avoir rencontré Lena et Jay. Il est heureux de pouvoir exercer librement, en sécurité derrière ce bar apprécié. Dans cette maison close adulé. Sous la protection réelle de ses nouveaux patrons et amis en toute légalité mais son coeur n'est pas à la joyeuseté. Son coeur n'est pas à une bonne nouvelle annoncée. Son coeur est lourd de colère et de tristesse et c'est pour cette raison qu'il n'ajoute rien de plus en invitant Jones à entrer.
- Maiva?

Son coeur bat de plus belle contre sa poitrine. Ses mains sont moites surtout quand son amie répond, d'un ton si léger, si brisé qu'il se sent encore plus coupable d'avoir amené la policière jusqu'ici. Il se mord la lèvre à cette pensée.
"Daeho, c'est toi? C'est quoi ce…. "

Son amie sort de sa chambre et ses yeux s'agrandissent sous la présence de Jones à ses côtés. Elle est terrifiée. Ses mains essayent maladroitement de ramener son peignoir emprunté sur son corps malmené et son regard se fait fuyant, larmoyant alors qu'elle s'empresse de reculer, de cacher son visage bouffi et maculé de bleu en tournant subitement la tête sur le côté.
"Qui est-elle? Ne me dis pas que… Daeho, tu m'avais promis ! Je pensais pouvoir te faire confiance !"

- Je sais Maiva mais écoute moi. Jones n'est pas là pour te nuire, je te le promet. Je la connais. Elle peut t'aider. Je ne l'aurai jamais ramené ici sinon et tu le sais. Tu ne peux pas faire comme si rien ne s'était passé. Maiva, donne lui une chance s'il te plait. Ils doivent payer.

Daeho tremble mais il fait tout pour paraître le plus rassurant possible. Son regard glisse sur la policière puis sur son amie brisée, à deux doigts de s'en aller alors qu'elle entre brusquement dans la chambre confiné. Ferme la porte la clef en claquant d'une voix déchirée, à demi audible derrière la paroi ébranlé :
"Vas-t-en. Allez vous en tous les deux. Je n'aurai jamais du… je n'aurai jamais du te le dire. Bon dieu, qu'est-ce que j'ai fais… Non. Je t'ai menti, il ne s'est rien passé… absolument rien. Partez… "

Les deux bras ballants le long de son corps svelte, l'asiatique soupir et des larmes de haine, de remord et de tristesse brouillent sa vue bien qu'il cherche courageusement à les cacher. Ses poings se serrent. Ses sourcils se plissent et son ton se fait accusateur alors qu'il se murmure à lui-même entre ses lèvres pincées, ses dents serrés :
- Je suis désolé… Tu vois, je te l'avais bien dis Jones. Elle a raison. Je n'aurai jamais dû venir te chercher. C'était une grossière erreur. Que comptes-tu faire maintenant? La forcer à se confier au risque plus encore de la renfermer ?

Ⓒslytbitch.

C’est une chose de savoir le milieu que Daeho fréquente mais c’en est une autre que de voir cet environnement. Son inquiétude se manifeste devant cet amas de rue peu sécuritaire. Le terme de « coupe-gorge » traverse la bouche de Jones car c’est précisément ce que ce quartier lui évoque. Elle ne compte pas les interventions de ses collègues dans ce coin et savoir que Hojin habite ici ne la rassure pas des masses. Elle comprend cependant sa réaction. Qui est-elle pour juger cet endroit ? Elle qui vit dans un coin moins dangereux, avec son mari. Ça n’a pas toujours été le cas, car avant de rencontrer Luke et de vivre la vie qu’elle avait rêvée avec lui, Jess a connu des moments difficiles. Pas aussi difficiles que ceux de Daeho, certes. Et cette colère sourde que manifeste Hojin dans ses sarcasmes, elle la connaît bien. Elle a longtemps été la seule compagnie de Jones. Et apparemment, Daeho a quelque chose à lui dire, concernant sa situation. D’une voix un peu moins aggressive, moins colérique. Ce qui éveille alors la curiosité de la jeune femme. Mais pour l’heure, il y a des affaires plus importantes à régler. Ils ne sont pas venu ici pour débattre de la sécurité du quartier et de sa valeur immobilière. Elle suit le jeune homme, se plaçant derrière lui stratégiquement. Il connaît la victime et voir son visage la rassurera davantage que celui de Jess, inconnue au bataillon.

Mais comme Daeho s’en doutait, les choses prennent un tournant négatif. Maiva se décompose en la voyant. Jess note la présence d’hématome sur sa peau qu’elle dissimule avec pudeur. Les poings de Jones se serrent, la colère grandit et elle a du mal à rester calme. Ce n’est pas parce qu’elle est habituée à ce genre d’intervention qu’elle reste de marbre. Les victimes d’abus sont son point faible. Son bouton berserk et elle le sait. Alors elle peine à se contenir devant l’étendue des dégâts, devant les voix plus hautes l’une que l’autre. Et devant l’expression perdue de Daeho quand son amie finit par s’enfermer dans la chambre. Les mots qui parviennent à ses oreilles achèvent de lui faire perdre son calme. Elle écarte Daeho du passage et bande ses muscles avant d’asséner un coup de talon furieux contre le battant. La porte sort des gonds et s’écrase au sol. Toujours en colère, Jess ne s’attarde pas sur la force qu’elle a mis dans ce coup.

- On va mettre les choses au clair de suite. J’ai pas fait ce chemin pour me prendre un stop en pleine face. Je suis venue parce que Daeho a demandé mon aide, parce qu’il se soucie de toi.

La jeune femme commence à se redresser, sortant de sa torpeur. Elle s’apprête à ouvrir la bouche pour se défendre, mais Jones ne lui en laisse pas l’occasion.

- J’ai pas fini s’énerve Jess, loin de calmer la situation. Ces connards vont recommencer parce qu’ils pensent que les flics comme moi s’en tapent de ce qui peut vous arriver. Si tu veux nier la gravité de ton agression, c’est ton problème. Mais dis-toi une chose. Toi, tu resteras détruite toute ta vie. Mais pour eux, ton viol n’est qu’un mardi soir parmi tant d’autres. Maintenant si tu veux que je les arrête, ça ne tient qu’à toi de me dire ce qu’il s’est passé et de me donner une description.

Jones fouille rageusement dans la poche de sa veste et jette sa carte sur le lit, bien en vue.

- T’en fais ce que tu veux. J’en ai fini ici, sauf si tu te décide à parler.

Elle fait volte-face en enjambant la porte, toujours furieuse. Elle a fait tout ce qui ne fallait pas faire et n’est plus capable de raisonner correctement. Elle n’est plus l’agent Jones, fière représentante des forces de l’ordre, mais juste Jessica, avide de justice et de vengeance. Elle s’arrête sur le pas de la porte d’entrée, tournant toujours le dos à Daeho.

- Si tu sais à quoi ils ressemblent et leurs noms, dis-le moi. Je vais m’en charger moi-même.

Envoyant en l’air toutes les recommandations qu’elle lui a faite. Trop en colère pour faire preuve de recul.

Ⓒslythbitch

Daeho tremble. Il serre les poings comme pour mieux se canaliser. Des larmes de colère, de peine, de tristesse s'accumulent au coin de ses yeux plissés mais il fait tout pour ne pas les montrer. Il fait tout pour se maîtriser. Oui, il se sent en colère. Il se sent désarmé. Pire. Il ne sait plus quoi penser. Pourtant, une part de lui sait qu'il a prit la bonne décision mais en cet instant, il le regrette. Il baisse la tête en serrant la mâchoire pour ne pas hurler. Il a trahis son amie. Il l'a trahis en allant voir Jones contre son gré. C'est un fait. Il n'aurait jamais dû accepter. Il aurait dû s'en occuper lui même. Un hoquet traverse la barrière de ses chairs et un sifflement est lâché. Voilà leur vie. Voilà ce qu'arrive à des prostitués comme lui quand leur vie est entachée. Voilà ce qui arrive à ses amies - à ses précieuses amies - qui n'ont pas la chance. Cette chance. De ne pas être entravé par un Mac rencontré. Qui n'ont pas eu cette chance d'avoir une meilleure vie, plus légale et plus sécurisée.

Sa gorge le brûle. Tout le brûle en vérité mais il n'a pas le temps d'en dire plus qu'il est soudain écarté. Ses paupières s'écarquillent et il se raccroche à un mur pour ne pas tomber. Jones. Jones l'a poussé et la voilà en furie, fonçant dans la porte avec brutalité.
- Mais t'es folle ! Jones !

Daeho n'aurait jamais pensé. Il n'aurait jamais imaginé non que la situation prend ainsi une tournure violentée. Ses dents se serrent et il papillonne à nouveau des paupières comme pour se réveiller. Il essaye de calmer Jones en posant une main sur son bras contracté. Sans grand succès. Son coeur s'accélère et il plisse des sourcils devant les mots énoncés, échangés, passant son regard de son amie à la policière qui ne mâche plus ses mots pour être écouté.
- Arrête ! Tu ne vois pas que tu l’effraie encore plus !

Oui. Il n'aurait jamais dû prendre la décision de lui demander de l'aide pour là, tout de suite, le regretter. Maiva semble ébahis et ses jambes tentent de se dérober. Les yeux rivés sur Jones, elle tente malgré tout de répliquer mais cette dernière l'en empêche, la force à détourner le regard pour ne plus avoir à le supporter. Daeho se sent mal. Très mal. Il sait que Jones à raison sur toute la ligne mais il n'est pas d'accord sur sa manière de faire. Non. Il ne l'est pas du tout. Il essaye une nouvelle fois de prendre son bras pour l'écarter, pour l'éloigner de son amie qui a désormais la tête rabaissée. Il murmure à plusieurs reprises entre ses dents serrés :
- Arrête.

Sans pour autant être écouter. Bordel. Autant parler dans le vent et il s'écarte presque quand Jones fini par faire volte face, crachant toujours autant son venin sous les yeux honteux de Maiva qui se contente de s’asseoir, les larmes plein les yeux et les doigts crispés. C'est trop. Daeho peste et regarde une dernière fois son amie brisée avant de rattraper la policière, poussée sur sa lancée.
- Hey ! Qu'est-ce qui t'as pris? T'étais obligé de t'y prendre comme une sauvage? Tu crois vraiment que ça va lui faire changer d'avis? Bordel... Maintenant c'est fichu. Elle ne voudra jamais... Maiva?

Mais alors qu'il s'apprête à énoncer une vérité. Celle qu'il pensait du moins, une ombre se mû timidement derrière la porte brisée, le surprenant assez pour l'immobiliser et le faire sursauter à la voix murmurée qu'il n'aurait jamais pensé entendre surtout après ce qui venait de se passer.
"Je... Je ne connais pas leur nom mais je me souviens de leurs visages. Du moins en partie... Je crois.. Je pense que l'un deux étaient plus âgé. Il parlait comme si c'était lui qu'on devait écouter. La quarantaine peut-être. Cheveux blanc. Tout est si flou mais je me souviens nettement qu'il avait une marque de naissance sur la joue gauche. Je... Tout s'est passé très vite. Si vite... Ils faisaient sombre. Ils m'ont entraîné derrière un restaurant et c'est là qui m'ont.... qui ont... Comment pouvez vous m'aider? Rien ne changera. Rien ne change et ma parole ne comptera pas. Vous le savez aussi bien que moi. Je n'ai pas de preuve, je n'ai rien. Alors oui dites-moi? Dites-moi comment vous allez pouvoir m'aider? Je suis curieuse de le savoir"

Ⓒslytbitch.

Elle tremble. De colère mais également de honte. Ses pensées se bousculent dans sa tête, formant une cacophonie indistincte. Elle déteste se sentir impuissante. Surtout dans des cas comme celui-ci. Elle déteste ne pas savoir quoi faire, ni quoi dire alors qu’elle a le pouvoir de changer les choses. Elle a perdu les pédales et malmenés un témoin. Dans une enquête non officielle. Si sa hierarchie l’apprend, elle va entendre parler du pays. Et Daeho exprime son indignation, à juste titre. Jess sait qu’elle n’aurait pas dû perdre son calme et agir de cette manière. Elle a, l’ombre d’un instant, perdu le contrôle de ses émotions. Perdu pied face à la détresse de Maiva et face à son refus. Mais elle sait qu’elle ne peut pas forcer une victime à parler et à accepter ce qu’il vient de se passer. Le choc émotionnel que cela procure est trop important pour être sous-estimée. Là, tout de suite, Jones se déteste et c’est pour cela qu’elle ne rétorque pas, ne se défend pas devant les réprimandes de Daeho. Parce qu’elle les mérite amplement.

Elle se retourne lentement en entendant la voix dans son dos, sans révéler les expressions de son visage. Les yeux rivés sur le sol, les oreilles tournées vers Maiva, Jones écoute la description qui est faite de ces types. Note mentalement chaque détail. Elle serre les mâchoires en entendant la suite. Sur comment elle allait l’aider. Comment elle allait arrêter ces types. Et comment faire changer les choses. Les choses, elles ne changeront pas. Pas avec un système judiciaire comme celui-ci. Un mec qui frappe son caniche a plus de chance d’être puni qu’un groupe de violeurs en réunion. En admettant que Maiva accepte de la suivre au commissariat et de déposer une plainte, Jones sait très bien qu’elle se retrouvera mains liées, au pied du mur, à se heurter à un système qui protège ce genre de type. Elle ne l’a que trop vu. Les jointures de ses mains blanchissent tant elle serre les poings. Après un instant de silence, elle finit par se retourner pour de bon, rivant ses yeux enflammées sur la jeune femme.

-  Ta parole et celle de Daeho me suffisent. Si tu te souviens de l’endroit où ça s’est passé, je peux commencer à chercher par là et remonter leur trace.

Elle hoche la tête en dévoilant un sourire qui n’avait rien de conciliant ou de rassurant, ne laissant aucun doute sur ce qu’elle avait l’intention de faire une fois qu’elle les aurait retrouvé. Elle n’ira pas jusqu’au meurtre, car il y a des limites. Mais une discussion musclée n’est pas exclue. Mais Jones réfléchit également. Il faudra des preuves pour couvrir ses arrières. Des témoignages, également. Et elle se doute que Maiva est loin d’être leur seule victime.

- Je vais faire ma part, mais il faut que tu fasses la tienne. Des preuves, tu en as. Sur toi. Tes vêtements portent peut-être des traces d’ADN qui peuvent nous permettre de les identifier. Et si tu as des marques, elles parleront pour toi. Mais pour ça, il faut que tu viennes avec moi pour que j’enregistre ta plainte. Ou je peux le faire ici, si tu te sens plus en sécurité. Tu devras peut-être également te rendre à l’hôpital pour faire constater tes blessures par un oeil externe. Daeho et moi pouvons t’accompagner si tu le désires.

Elle énumère les faits, s’exprimant d’une voix calme et beaucoup plus douce qu’avant.

- Et si tu n’es pas la seule victime, tu dois essayer de convaincre les autres autour de toi d’en parler. Plus vous faites de bruits, plus vous serez entendu. Je me chargerais de faire remonter tout ça à des oreilles qui seront capable d’écouter. Et… si malgré tout ça, ça ne suffit pas, il faudra se tourner vers des moyens moins légaux pour s’occuper de ces ordures.

De nouveau, ce sourire plein de sous-entendu. Elle va faire de ces fumiers sa priorité.

Ⓒslythbitch