Les mains dans les poches, la veste en cuir refermée, qui contredit avec ses costumes sur-mesure habituellement portés au boulot, le commandant en second du SHIELD déambule dans les contrées les plus reculées de Genosha. Qui consistent en réalité à quitter les grands centres des villes les plus reconnues pour s’aventurer en périphérie, dans des coins moins bondés, et moins surveillés, peut-être, par les autorités. Encore que tout est relatif pour le deuxième Bowman, qui a bien conscience que la liberté possède ses propres limites. Si les habitants se sentent protégés de tout, ce n’est pas tout à fait la vérité. La Garde Rouge garde toujours un œil sur ce qui se passe dans la société, encore plus depuis leur prise de pouvoir raffermie suite au dernier coup des Magnus. Et le SHIELD n’est pas en reste de son côté, Aidan ne peut pas l’ignorer au vu de son métier, il en connaît même un paquet sur les manœuvres parfois douteuses suivies par cette organisation qu’il dirige en partie. Mais il sait quand même reconnaître certaines zones qui échappent à l’inspection des plus attentifs d’entre eux, tout comme la personne qu’il va rencontrer. Ce n’est pas pour rien que la Résistance demeure introuvable, que le crime opère toujours à une certaine mesure, qu’il se passe également des choses étranges sur l’île. Il y a bien des choses que personne ne peut voir, lui le premier, et pour une fois, en cette journée à peine commencée, cela compte bien lui servir.

Ce n’est pas tous les jours, en effet, qu’Aidan sort aux petits aurores en dehors du boulot. Loin d’être là pour accomplir un sport qu’il effectue normalement aux abords de sa propre maison, le blond a organisé une rencontre aux premières aubes de la journée pour avoir le temps de mieux en profiter. Ou en regretter, selon comment le rendez-vous se passe. Il ne sait en effet pas vraiment à quoi s’attendre, c’est même à peine s’il connaît véritablement les motifs de son interlocutrice à accepter de le voir dans un environnement aussi désabusé. Tout ce que sait vraiment le commandant, c’est que cette femme est la même personne qui a déjà réussit à approcher son jumeau, bien que Marc n’ait pas daigné en parler plus que ça à son frangin. Aidan ne peut pas le blâmer, leur distance étalée sur des années va être, après tout, plutôt longue à rattraper. Mais la situation le dérangerait moins s’il n’avait pas découvert que la mystérieuse visiteuse de son frère n’est autre que la légendaire Ann Pembroke. Légendaire, vous dites ? Et bien en quelque sorte, oui. Après de longues recherches, plus ou moins poussées en fonction des archives auxquelles il a pu avoir accès, la Dame Pembroke s’est révélée être un ancien agent du SHIELD, qui a opéré au nom de l’organisation de nombreuses missions. Employée de longue date, toujours fiable et loyale à ce rassemblement de gens déterminés à protéger le monde des menaces environnantes, elle a brusquement tout quitté quand la chasse aux émergés a commencé. Aujourd’hui, elle est leader de la Résistance, de ce groupement d’individus aux pouvoirs tous plus diversifiés les uns que les autres, et en fait baver à la Garde Rouge et à la dictature en place. Ce qui, en soit, n’est pas pour déplaire à Bowman, bien qu’il n’en dira rien. Il n’est pas là pour discuter des exploits de la femme, simplement pour comprendre son lien avec son jumeau. Et peut-être bien avec lui aussi, car il a ce sentiment débordant que quelque chose de profond connecte l’inconnue aux frangins perdus de vue.

En soupirant alors qu’il parvient enfin à sa destination, les mains du commandant quittent ses poches pour rehausser le col de sa veste. De son regard azur, il balaie les environs avec froideur, s’assurant que personne ne l’a suivi. Dans sa branche de métier, après tout, on n’est jamais assez précautionneux. Finalement, il pousse la porte d’un bar qui affiche être fermé, mais dont il sait pertinemment que la plage horaires n’est pas respectée dès lors que le gérant doit aider ses compatriotes. Ancien camarade de l’armée, le bon vieux barman a tout de suite accepté de lui venir en aide lorsqu’Aidan a commencé à échauder un plan pour rencontrer Ann en toute sécurité. Il aurait pu faire comme elle avec Marc et la cueillir au détour d’une rue, mais ça lui aurait pris bien trop de temps. Ça lui aurait demandé une surveillance excessive qu’il n’aurait pas pu tenir en secret éternellement, et un fort coup de chance de repérer la leader de la Résistance parmi les milliers d’habitants de Genosha. Alors, en usant de ses contacts, et en se rapprochant d’alliés suspectés des Rebels, l’homme est parvenu à faire passer un message à l’inconnue. Et la rédaction semble avoir porté ses fruits, car il y a déjà une silhouette, tout de même acculée à une table tout au bout de l’établissement, qui attend patiemment qu’il la rejoigne. D’un site de tête, Aidan encourage son ami à refermer le verrou du bar et à laisser ses stores fermés. Le frère d’armes prépare quelques cafés que le dirigeant récupère, et ne tarde ensuite pas à s’éclipser tandis que le blond s’avance vers celle qui a suscité tant d’efforts pour une simple entrevue. Il aurait pu prétendre être un peu plus amiable que ce que sa réputation de commandant laisse souvent entendre, mais la méfiance prime sur le reste. C’est naturel, quand on s’approche des siens, il y a son envie de protéger ses proches qui prend le dessus. Et si cette femme a pu atteindre Marc d’une quelconque manière, il lui appartient de veiller à ce qu’elle ne recommence pas, encore qu’il est curieux d’entendre sa version de cette affaire. Le commandant dépose les cafés devant eux tandis qu’il prend place face à son interlocutrice du moment, croisant ses mains sur la table alors qu’il s’annonce, sans plus de sommation : « Miss Pembroke. Je présume que vous avez fait tout ce chemin parce que vous savez qui je suis. Mais pour la forme, je me présente quand même : Aidan Bowman. » Il aimerait dire qu’il est enchanté de la connaître, mais au vu des circonstances, on va se passer de cette phrase de pure politesse. « En revanche moi, j’ai bien peur de ne pas savoir qui vous êtes réellement. Je sais simplement que vous étiez un agent du SHIELD avant toute cette histoire de la Résistance. Et je sais aussi que vous avez rencontré mon frère, il y a quelques temps. Marc Bowman, vous vous souvenez ? » De but en blanc, Aidan annonce la couleur. Il n’y va pas de mains mortes, mais il pressent que c’est inutile de jouer au plus malin entre eux. Ils sont là, tous les deux, attablés de bonne volonté l’un en face de l’autre. Le moins qu’ils se doivent, maintenant, c’est d’échanger en toute sincérité.

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Elle ne savait pas à quoi s’attendre. Quand le message lui était parvenu, une certaine émotion s’était emparée d’elle. Elle n’avait rien laissé paraître car elle ne voulait pas qu’on lui pose des questions à ce sujet. Néanmoins, elle avait eu tout le mal du monde à cacher son agitation. Elle avait longtemps hésité à venir, se demandant si ce n’était pas un piège du SHIELD pour mettre la main sur elle. Peut-être n’aurait-elle rien fait de ce message s’il avait été de la main d’un autre agent de son ancienne organisation. Mais le mot venait d’Aidan Bowman. Son fils.

Evidemment, la première question qu’elle se posa fut celle-ci : Marc avait-il parlé d’elle à son frère ? Ce rendez-vous ne pouvait pas être une coïncidence, non ? Si c’était bien de ça dont il voulait lui parler, Ann n’était pas sûre que ce soit une bonne idée de le rejoindre. Il faut dire que son entrevue avec Marc, elle l’avait souvent regretté, la honte de ce qu’elle avait fait des décennies plutôt l’accablant toujours bien qu’elle avait fait ce qu’elle avait fait pour leur bien. Mais c’était comme remuer le couteau dans la plaie et cela ne concernait pas seulement les deux frères. Cela englobait aussi Erica, cette sœur dont ils ignoraient l’existence.

Oui, elle aurait dû se tenir à l’écart de son passé. Laisser ces enfants qu’elle n’avait pas éduqué vivre leurs vies sans qu’elle n’en fasse partie. Alors, elle s’était presque convaincu que rencontrer Aidan était une mauvaise chose. Qu’il fallait qu’elle en laisse au moins un tranquille avec ses histoires. Mais la tentation de le rencontrer était forte, encore plus alors que c’était lui qui réclamait ce rendez-vous. N’arrivant pas à se décider, elle en avait donc discuté avec Daisy. D’abord pour savoir si le SHIELD se serait mis en tête d’aider la Garde Rouge, même si elle en doutait, avant de finalement lui avouer ses propres craintes. Elle ne lui révéla pas exactement que Marc et Aidan étaient ses fils mais elle lui fit comprendre qu’ils faisaient partie de son passé. Après une longue discussion, Ann avait décidé qu’elle irait. Peut-être finirait-elle par regretter cette décision. Mais elle avait besoin de savoir ce qu’Aidan lui voulait.

Il avait bien préparé son plan. Il avait tout prévu pour que la rencontre se passe dans la discrétion et Ann comprenait pourquoi il était si haut placé au SHIELD. Dans une autre vie, sûrement aurait-elle été fière de lui. Cependant, à l’instant présent, elle ne se permettait pas un tel sentiment. Elle n’y avait pas le droit. Alors, une fois qu’elle fut entrée dans le bar vide et que le complice d’Aidan lui fit signe d’aller s’installer, Ann obtempéra, se mettant tout au bout de l’établissement. Elle estimait qu’il valait mieux avoir une vue d’ensemble sur un lieu inconnu plutôt que de rester près de la porte.

Sa nervosité gagna en intensité en voyant l’homme qu’était devenu le bébé de ses souvenirs. Comme pour Marc, elle voyait les traits de son père dans son visage, même si c’était moins marqué que pour son jumeau. Elle l’observa approcher en tâchant de rester calme, lui faisant un simple signe de tête en guise de remerciement pour le café. Malheureusement, cette boisson n’était pas très présente au sein du refuge de la Résistance, ça manquait énormément. Mais Ann était trop perturbée pour boire quoi que ce soit, bien qu’elle ne laissât paraître qu’un visage impassible, compétence qu’elle avait acquise au sein de l’organisation à laquelle appartenait son fils, assis face à elle.

« Je présume que vous avez fait tout ce chemin parce que vous savez qui je suis. » Si seulement il savait. Il y avait tellement de choses qu’il ignorait et que jamais il ne pourrait imaginer.

- Oui, je m’en souviens parfaitement de cette rencontre. Dit-elle d’un ton neutre alors même que son cœur battait vite.

Il n’y allait pas par quatre chemins et Ann appréciait cela. Elle se demanda un instant s'il agirait comme il le faisait si elle l'avait éduqué. Sûrement aurait-il eu une autre personnalité puisqu'il aurait eu une vie différente. Elle l'ignorait et ne devait pas y penser. Elle chassa donc ce questionnement inutile de son esprit pour se concentrer sur la discussion.

- Est-ce de cette rencontre que vous voulez discuter ? Plus souvent, on essaye de prendre contact avec moi pour la Résistance.

Elle prenait un air détaché, comme si Marc n’était pas un sujet sensible pour elle. Elle voulait qu’il ait l’impression d’avoir une parfaite inconnue en face de lui. Une inconnue célèbre sur l’île, certes, mais qui n’avait aucun lien de près ou de loin avec lui. Elle avait fait trop d’erreurs avec Marc la dernière fois. Alors avant de dire quoi que ce soit, elle attendrait d’en savoir plus.

- Que vous a-t-il dit sur cette rencontre ?

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La concentration est de mise pour l’homme qui fait face à celle qui est probablement passée sur tous les médias : figure détestée ou au contraire adulée, le leader de la Résistance, qu’importent les racontars, n’en reste pas moins un être humain comme un autre. Aidan, du moins, fait l’effort de conserver cette idée en tête tandis qu’il la dévisage durement, la sondant de ses yeux azurs et légèrement froids en l’instant. Désavouée par la Dynastie Magnus, lorsque le SHIELD et la Garde Rouge ne faisaient plus qu’un à l’époque, il a fallu du temps au sous-commandant pour trouver quelques traces du passage de l’Agent Pembroke dans ces services. Au vu de son palmarès, le blond ne doute pas un seul instant qu’elle aurait pu gravir les échelons, et être à sa place, si ce n’est à celle d’Amaury, aujourd’hui. Malheureusement, l’île en a décidé autrement. Les résistants aussi, alors qu’elle a pris leur tête et qu’elle guide chacune de leur action. En toute franchise, le Bowman n’est pas bien au courant du fonctionnement de la résistance. D’abord parce qu’il ne cherche pas à cerner et à arrêter à tout prix les rebelles comme les soldats rouges, ensuite parce que d’autres menaces pèsent sur Genosha, ce que les gens ont tendance à oublier avec toutes ces histoires d’émergés. Il n’empêche qu’à force d’observer la brune, il s’interroge subtilement. Il se demande comment elle aurait été si elle travaillait encore pour le SHIELD, comment elle fonctionnerait dans l’application de ses missions. Oui, en toute honnêteté, Aidan aurait été curieux d’en savoir plus sur elle lors de cette période où il n’y avait pas toute une politique pour les séparer. Peut-être même aurait-il aspiré à travailler avec elle, s’il avait pu se faire une idée concrète de ses capacités en tant qu’agent.

Mais aujourd’hui, le blond n’a pas le loisir de se perdre dans des avis nostalgiques, basés sur quelques lectures de dossiers. Parce qu’il ne rencontre pas Ann pour le plaisir d’échanger autour d’un café de bon matin. Ni pour s’assurer que l’être face à elle n’est rien de plus qu’un énième être humain, plongé dans une guerre par choix comme par obligation. Tout ce qui l’intéresse, en l’instant, c’est de comprendre. Son lien avec Marc, la réalité de sa présence sur l’île et de ses contacts rapprochés avec son jumeau. Peut-être même vis-à-vis de lui-même. Aidan ne saurait en effet expliciter le sentiment, mais plus il dévisage la brune, plus il perçoit une certaine familiarité en elle. Pourtant, il en est persuadé : avant ce jour, il ne l’a jamais rencontré. Cachant son trouble derrière une gorgée de café, il laisse Miss Pembroke réagir à ses premiers dires. Un discret rictus vient étirer ses lèvres quand Ann précise être généralement contactée dans le cadre de ses activités. L’homme fait claquer sa langue sur son palais, secouant doucement la tête quand il rétorque, naturellement : «Je suis désolé de vous décevoir, mais je ne suis pas venu ici dans le cadre de la Résistance. Je ne cherche ni à recruter, ni à changer de voie pour le moment. » Rejoindre les rangs de la rébellion ne fait certainement pas partie de ses plans. D’abord, il n’est pas émergé. Et puis, malgré tout, il tient à son travail au SHIELD, tant qu’il puisse avoir une certaine liberté dans ses actions. Tant, surtout, que celles-ci apportent quelque chose de concret à la sécurité de l’île. Il a quitté les rangs de l’armée pour ça, après tout. « Mais si ça peut vous rassurer, je ne fais pas partie des chasseurs de la Dynastie. Je ne suis pas là pour vous coincer. » Ce n’est pas son job. Ce n’est pas son souhait non plus.

En soupirant distraitement, il se plonge dans le regard de la brune. La jaugeant doucement, y reflétant la lueur déterminée qui baigne autant dans ses prunelles que dans les siennes. Il jette un regard par-dessus son épaule, par réflexe, quand le fond du sujet est abordé. Bien qu’il n’y ait absolument personne d’autre sur les lieux, Aidan fait montre d’une prudence quelque peu exagérée, notamment parce qu’il est question de sa famille et qu’il tient à la protéger. Qu’importe les secrets régnants entre les jumeaux, rien ne changera ce devoir fraternel qui subsiste entre eux. Puis, reportant son attention sur Ann, le blond confie, quoique toujours indécis : « Pas grand-chose, en vérité. Pour une raison que j’ignore, Marc ne semble pas avoir voulu s’étaler sur le sujet avec moi. » Pas encore du moins. Il faut dire que l’entrevue entre les deux constitue un secret, qu’Aidan ne devrait peut-être pas connaître. Mais sa position et ses contacts lui rapportent parfois des informations qui le dépassent plus que l’entendement. « Mais je connais mon frère. Ce n’est pas la Résistance qui a pu motiver une telle rencontre entre vous, je me trompe ? » La tasse vient couvrir les lèvres alors que les pupilles s’accrochent au visage pâle de la femme en face de lui. Il essaye de discerner le faux du vrai, l’être humain derrière la figure emblématique recherchée à tous les coins de rue de la ville. Peut-être est-ce risible, peut-être aussi qu’il dépasse les bornes. Mais le Bowman attend des réponses, parce qu’il tient à écarter sa famille de tout potentiel danger, parce qu’il tient aussi à se rattraper pour ses absences accumulées. Sans réaliser encore qu’il y a bien longtemps que les Bowman ont été brisés. « Alors dites-moi, Miss Pembroke. Que voulez-vous ? Qui êtes-vous, vraiment ? Et ne me dites pas ce que je sais déjà. » Sous-entendu : il ne sert à rien de balancer tout un blabla sur la Résistance. Ce n’est pas la quête du jour, et ce chemin n’a pas été effectué pour simplement confirmer le statut public de l’émergée.

Ⓒslytbitch.