Il est passé minuit et Grace n’arrive pas à dormir. Ses parents se disputent, encore. Ils croient qu’ils ne font pas de bruit avec leurs chuchotements, mais elle entend tout. Leur chambre se retrouve juste à côté de la sienne et elle n’est séparée que par une simple cloison de gypse. Entre ça et un carton, il n’y a pas trop de différence. Ça fait des mois qu’ils n’arrivent pas à discuter sans se disputer. Elle en a marre. Qu’ils divorcent une bonne fois pour toute. C’est évident qu’ils ne sont plus bien ensemble et qu’il n’y a plus d’amour entre eux. S’ils restent unis que pour les enfants, qu’ils se rassurent, les deux enfants Sharp vont comprendre. Ils sont assez vieux. Elle grogne en se calant dans son oreiller qu’elle met autour de ses oreilles. Rien à faire. Elle n’arrive pas à s’endormir avec ce qui se passe à côté. Elle ouvre son ordinateur portable que la lumière bleue aveugle quelques secondes. Elle cligne des yeux le temps de s’habituer à la clarté nouvelle. Elle met ses écouteurs sur ses oreilles et navigue d’un site Internet à l’autre, regarde des vidéos et parfois elle tend l’oreille quand elle n’entend plus rien, mais ça repart toujours de plus belle. Elle sursaute lorsqu’elle reçoit un wizz sur MSN. Un sourire étire ses lèvres lorsqu’elle voit l’auteur. Ils échangent quelques phrases avant qu’elle lui demande s’il veut aller marcher. Il accepte et ils se donnent rendez-vous dans une quinzaine de minute à l’entrée du parc. Doucement et sans faire de bruit, elle enfile un jeans et garde son t-shirt de pyjama à l’effigie du seigneur des anneaux. Elle ouvre la porte et évite les lattes de plancher qui grince. Elle les connait par cœur avec le temps. Derrière la porte de la chambre principale, ses parents sont encore en train de discuter. Elle descend les escaliers et s’empare de son manteau dans le placard de l’entrée. En le décrochant du cintre, elle fait tomber un petit paquet du manteau de son frère. Elle le ramasse et l’observe. Dans un haussement d’épaules, elle le met dans la poche arrière de son pantalon. Puis, délicatement, elle ouvre la porte de la maison qui grince légèrement. Elle serre les dents, croisant mentalement les doigts que ses parents n’aillent rien entendu. Ils détestaient quand elle s’esquivait en douce, ce qui est chose courante depuis que l’atmosphère est devenue lourde. L’adolescente a bien du mal à vivre dans cette tension palpable.


Elle referme la porte derrière elle et passe son manteau sur ses épaules. Les journées sont plus chaudes, mais les nuits restent fraîches. Elle entoure un foulard autour de son cou et met les mains dans ses poches. Un mince filet de vapeur s’échappe de ses lippes et de ses narines à chaque expiration. Déjà, Grace se sent plus détendue, loin des disputes parentales qui lui grugent beaucoup d’énergie. Sans parler du lycée qui lui prend beaucoup de temps. Elle doit commencer à penser à son avenir. Elle a une bonne idée de ce qu’elle veut faire, mais ce n’est pas gagné. Tout ça lui prend la tête. Elle se met beaucoup de pression sur les épaules, surtout depuis le départ de frère pour l’université, sa mère qui perd la tête et qui est en pleine crise de la quarantaine et son père qui est plus éteint que jamais. Heureusement qu’elle a des amis pour lui changer les idées. Des amis qui n’hésitent pas à la rencontrer en plein milieu de la nuit. "Hey. L’autre insomniaque! Bienvenue dans le club." Elle sourit à Connor en lui donnant une boutade sur l’épaule. "J’espère que t’auras pas d’ennuis pour être sorti." Autant elle traine tous les jours avec le blond, autant, elle ne connait pas beaucoup son milieu familial. Il n’est pas le plus bavard de leur groupe et il parle encore moins de trucs personnels. "Mais, merci d’être là. J’en pouvais plus chez moi. C’est tellement lourd. " Un frisson la traverse alors que le vent frisquet s’incruste entre ses vêtements. On marche? Sans attendre sa réponse, elle avance. Un peu au hasard sans vraiment savoir où ils peuvent aller. Elle a juste besoin de penser à autre chose. "Ça va toi, au fait?" S’il n’arrive pas à dormir, il doit bien y avoir un truc qui le tracasse.

Minuit passé. Nuit écoulée sans que le jeune homme ne parvint à dormir. Soupir. Connor avait bien essayé. Il avait fait quelques pompes avant de se coucher. Il s’était allongé. Il s’était finalement levé et le voilà à présent à faire les cents pas, sans savoir vraiment quoi faire pour trouver le repos escompté. Il n’était pas genre pourtant à avoir des insomnies mais la énième dispute entre sa mère et son père avait fini par l’inquiéter, le perturber. Cela durait depuis des mois. Connor mettait toujours un point d’honneur à ne pas s’en mêler. A les laisser se débrouiller et à comprendre que ce n’était en rien sa place mais les pleurs de sa mère - oui - le perturbait. Sans le vouloir, il avait tout entendu. D’une relation extra conjugal passée. D’une tromperie, que son père - visiblement - n’arrivait pas à pardonner. Il les avait entendu crier, hurler. Il avait entendu son paternel la traiter de tous les noms avant de claquer la porte de la maison dressée.

Soupir. Non. Connor n’arrivait pas à dormir et les sanglots étouffés de sa mère tout à côté n’arrangeait rien. Il ne savait pas quoi faire pour l’apaiser, la calmer, lui dire que lui - ne lui en voulait pas et qu’elle n’avait pas à s’inquiéter. Il voulait être un bon fils - comme toujours. Il voulait apaiser les choses mais en cette nuit, il se sentait impuissant. Terriblement impuissant. Il avait besoin de sortir, de lâcher prise et de ruminer. Il avait besoin de bouger. Tout simplement. De toute façon, le sommeil ne venait pas et c’est pour cette raison qu’il se retrouvait à présent à son bureau, sur son ordinateur, à regarder qui était connecté. Un sourcil levé au pseudo d’une très bonne amie de lycée. Volonté de lui parler alors qu’il lui envoya un wizz pour quelques mots échangés. Quelques mots écrit, bien vite dérivé sur une sortie nocturne, pour permettre à eux deux de quitter l’ambiance pesante dressée. Pour permettre à son amie de lâcher prise, d’avoir une épaule à qui se confier.
“On se retrouve là-bas. A tout à l’heure.”

Oui. Soirée déjà bien avancée. Connor se prépara rapidement et sortit de sa chambre, s’immobilisant devant celle de sa mère qui continuait - silencieusement - à pleurer. Devait-il la prévenir? Lui dire qu’il sortait? Hésitation. Il avait toujours fait en sorte - oui - d’être un bon fils. Un fils respectueux des règles avec une très bonne éducation. Il leva son bras pour frapper. Il s’arrêta cependant une nouvelle fois et poussa un soupir, choisissant finalement de ne pas la prévenir et de la laisser tranquille. De toute façon, il n’avait pas le coeur à la voir pleurer.
- Salut toi.  

Quelques minutes écoulées. Quelques minutes passées avant qu’il ne perçoive cette silhouette familière appréciée. Sourire échangé. Rire partagé. Connor lui adressa à son tour un léger coup de coude avant de passer son bras sur ses épaules, en toute amitié. Nuit qui tendait à être plus calme qu’à l’accoutumée. Moment partagé. Aux dires de son amie, un léger sourire traversa ses lèvres pincées et il posa une main sur sa tête, lui ébouriffa les cheveux, la rassurant d’emblée.
- Ne t’inquiète pas pour ça. J’en prend toute la responsabilité.

Ce n’est pas comme s’il était habitué à faire des conneries. Ce n’est pas comme si ses parents avaient des problèmes avec lui alors que - oui - Coleman suivait les règles et ne les avaient jamais alors transgressé. Pour une fois qu’il sortait de son plein gré. Un silence marqua sa réponse, bientôt brisé par la voix de Grace, l’invitant doucement à marcher.
- Tu n’as pas à me remercier. Les amis c’est fait pour ça non?

Obscurité. Légère lumière émise par les lampadaires sur le bas côté. Soupir. Bouffée d’air vivifiant, apaisant. Celle qui permettait de bien respirer. Ils ne savaient pas où ils allaient. Ils marchaient - tout simplement - écoutant le son de la nuit qui tendait à s’écouler. A la question de son amie, Connor poussa un nouveau soupir. Ses épaules se haussèrent légèrement et son regard s’ancra au loin, préférant ne pas y penser.  
- Disons que j’ai connu des jours meilleurs. Mais ne t’inquiète pas pour moi. Parle moi plutôt de toi. Tes parents se sont encore disputé? Tu veux en parler?

Alors qu’il passe un bras autour de ses épaules, Grace se rend compte qu’ils n’ont jamais réellement été seuls ensemble. Ils s’entendent très bien, ils rigolent et parfois se confient, mais il y a toujours au moins un autre membre de leur groupe d’amis pour les accompagner. Jamais, ils n’ont prévu de faire un truc que tous les deux juste pour glander, regarder un film ou aller manger un morceau. Avant cette nuit et ça ne déplaît pas à l’adolescente. Ils se connaissent depuis le début du lycée, mais elle ne le connait pas tant alors qu’elle l’apprécie beaucoup et le considère comme l’un de ses meilleurs amis. Elle ne s’esquive pas et profite plutôt de sa chaleur. Il n’y a jamais eu d’ambiguïté entre eux et elle ne la jamais considéré autrement qu’un ami. Elle sait que c’est la même chose du côté du garçon. Elle ne saurait dire pourquoi d’ailleurs. À priori, Connor est le jeune premier parfait. Sportif, intelligent, mystérieux et bien élevé. Grace sait qu’il fait l’envie de bien des filles de leur école et même de quelques garçons. C’est vrai qu’il parait bien et sa copine Tara n’arrête pas de lui répéter qu’elle irait bien avec lui. Ça la fait sourire et ça serait de mentir qu’elle ne s’est jamais imaginé avec lui ou qu’elle a déjà tenté de voir à quoi ils pourraient ressembler en tant que couple, mais pour elle, ils ont toujours et seront toujours des amis. Dans quinze ans, elle sait qu’il fera encore parti de sa vie. Elle ne peut pas en dire autant des autres. "Ouais, pourtant, je ne suis pas certaine que j’aurais réussi à sortir Dex de son lit et encore moins Selena." Elle pouffe de rire. Oui, les amis sont là pour ça. Un peu moins minuit passée. Elle n’a pas de mal à imaginer la tronche que lui aurait fait Dex, leur ami qu’elle fréquente plus ou moins, si elle l’avait réveillé en pleine nuit. Quant à sa meilleure amie, elle n’aurait même pas daignée ouvrir les yeux. Elle accote sa tête sur le bras du blond alors qu’ils marchent d’un même pas vers aucun endroit en particulier.

Elle profite du temps frisquet, mais calme. Il est rare qu’elle peut voir leur quartier aussi silencieux. Aucune voiture dans les rues, aucun enfant qui joue, aucun bruit d’aspirateur ou de tondeuse. Juste le son de leurs pas sur le bitume. Grace demande à son ami comme il va et il lui affirme qu’il a connu des jours meilleurs. "On est deux, alors." Qu’elle répond mi-amusée, mi-blasée. "Ouais, encore. Ça devrait même plus me surprendre ou m’énerver en fait. C’est tellement devenu la normalité. " Elle fait comme si ça ne la touche pas, mais en vérité, elle trouve ça très difficile. Elle croit qu’ils seraient mieux divorcés avec le moins de contact possible entre eux, reste que voir l’explosion du mariage de ses parents, c’est douloureux. "Ma…ma mère a…trompé mon père. " C’est la première fois qu’elle le dit, alors qu’elle le sait depuis plusieurs mois. Ça fait sentir tellement naze. Ça la rend triste et en colère en même temps."Ils ne savent pas que je sais. J’ai entendu une conversation. Ils croyaient que je dormais, mais les murs sont en carton…" Elle soupire. Ça lui fait du bien d’en parler, surtout à quelqu’un comme Connor qu’elle sait sans jugement et qui n’en parlera à personne. "J’imagine qu’ils vont divorcer. Ça serait mieux, mais je sais pas. Ça me met à l’envers. " Elle hausse les épaules. "Enfin bref, rien de nouveau chez les Sharp!" Elle sourit tristement. Ça lui fait du bien certes, mais elle ne veut pas non plus plomber l’ambiance et s’étendre sur le sujet. Elle veut surtout se changer les idées.

Ils passent devant le nouveau projet de développement de maisons luxueuses situé dans leur secteur. Grace bifurque dans la rue dans laquelle se trouvent de nombreuses maisons immenses encore en construction. Certaines ont seulement le squelette d’érigé, tandis que d’autres sont pratiquement terminées. "Putain. Qui va venir vivre dans ces cabanes énormes? " Elle n’ose pas imaginer tout le fric que le ménage familial doit ramener pour réussir à payer ce type de maison.