Respiration. Concentration. Mon visage ne reflète aucun sourire particulier. En cette soirée, je reste parfaitement concentré. Mes yeux parcourent les alentours et mes sourcils sont plissés. Un émergé. Je suis sur les traces de l'un de ces émergé dont je me suis promis de traquer. A vrai dire, cela fait plusieurs jours que je m'informe sur lui, que je le suis, quitte à me montrer discret pour pouvoir l'arrêter au bon moment, pour le prendre au dépourvu et surtout, le prendre sur le fait. C'est pour ça que pour le coup, je reste seul. Je garde un oeil sur cette forme qui se mouve dans cette ruelle plutôt bondée. Au moindres gestes suspects, je pourrais alors appeler les renforts et me lancer.

Soupir. Je sais. J'ai changé. J'ai particulièrement changé sur ma manière de voir les choses. D'appréhender cette guerre qui vient - finalement - à peine de commencer. J'ai perdu des proches pour ça.  Des amis. De la famille. Même Gavin qui n'a pas manqué de me rappeler à l'ordre pour avoir rejoint cette élite qui s'en était pris à lui. A lui et à tant d'autres à ce festival où tout à été chamboulé. Oui. C'est incompréhensible. Dans un sens. Rejoindre cette élite qui a manqué de me rendre orphelin pour la deuxième fois consécutive. Qui s'en est prit à mes proches, mon ex. Mais c'est comme ça. Silence. Je ne regrette pas ce choix pour en connaître enfin la nécessité. La véracité d'une vérité que je refusais d'admettre pour ne pas avoir été touché par la sinistre réalité. Mais oui. Tout à changer. Tout est devenu plus clair quand j'ai reçu ce message anonyme relatant enfin la vérité. La vérité sur le meurtre de ma famille qui tend encore à me tenir éveillé. Qui tend encore à focaliser toute mes pensées. Ce message, je l'ai gardé et il n'y a pas un jour où je l'oublie pour l'avoir relu à de nombreuses reprises sans en connaître encore son identité.

Mouvement. L'émergé change de direction et tourne à un coin de rue, pour prendre probablement un chemin moins emprunté. Je quitte mes pensées. Je quitte ce mur où je m'étais planqué. Mes mains se fondent dans mes poches et je tâche encore une fois de rester discret. De ne pas paraître moi-même suspect pour connaître l'aversion des citoyens sur la Garde Rouge dressée. Moi même je l'avais. Avant. Avant que tout ne change depuis mon retour sur cet île isolé.

Je ne cherche pas à me faire pardonner. Non. Je ne cherche pas à changer d'opinion et hésiter. Les émergés sont dangereux. Peut-être pas tous. C'est vrai. Je pense parfois à Raven. Qui a fait partie - un jour de ma famille reconstitué - mais la plupart. Oui. Comme cet homme. Ce meurtrier qui n'a pas hésité une seule seconde à décimer celle que je ne cherche pas à oublier. Comment je le pourrai? Oui. Comment je pourrai oublier ce jour où ma véritable famille a été massacré ? Partir étais une mauvaise idée. J'en ai conscience. J'ai beau avoir tenté de tourner la page, rien n'y fait et même si - oui - j'ai perdu beaucoup en rejoignant l'élite détesté. Je n'en éprouve aucun regret. Pas un seul. Juste de la tristesse de voir certaines personnes me tourner le dos et ne pas chercher à comprendre ce que j'ai tenté d'expliquer.

Silence. Il n'est plus l'heure de penser. Il n'est plus l'heure de me perdre dans mes réflexions. L'émergé marche d'autant plus vite et je dois accélérer le pas pour ne pas le perdre dans la foulée. Mes bras tombent le long de mon corps svelte et musclé. Mes sourcils sont arqués. Ma respiration se fait plus rapide mais je garde un rythme calculée avant de me tendre subitement. Tant je ne m'attend pas tellement à me retrouver nez à nez avec une autre personne. Et pas des moindres puisque ce visage m'est amplement familier.
- Kurt ?

Souffle. Murmure. Silence. Non. Je ne m'attendais pas à le voir ici. Dans cette ruelle où - à présent - l'émergé s'enfuit, se fond plus rapidement pour se perdre totalement dans une autre intersection tournée. Merde. Il est en train de m'échapper. Ma mâchoire se crispe à cette pensée et j'observe Kurt qui - lui - ne semble pas surpris de me croiser. Il m'attendait. Pourquoi? Comment? J'en sais rien mais le savoir là, à m'attendre visiblement de pied ferme m'immobilise d'emblée. Je me demande presque ce qu'il a en tête. Je n'ai pas oublié notre confrontation passée et ma tête se redresse. Mon poing se serre, me fait lâcher cette question qui a besoin d'une réponse claire et non déformée. Pour être encore blessé, touché par cette confrontation qui n'a fait que creuser notre fraternité passé. Fragilisé par ce qu'il refuse de comprendre, d'assimiler.
- Je peux savoir ce que tu fais ici? Tu me suivais? C'est ça? Tu en viens carrément à m'espionner?

Ⓒslythbitch.