Spielberg ou Spieblerg ? [Kurt]

Encore une journée bizarre. Ce matin il y a un client qu'est passé, il savait ce qu'il cherchait, mais il en avait presque honte. C'est bon, le rayon plus de 18 ans on sait bien que des gens le fréquentent ! Ce n'est pas non plus une nouvelle incroyable, monsieur cherche autre chose que madame, point. Enfin, ce genre de gugus c'est toujours lourd, un quart d'heure pour choisir son truc. De quoi bien flinguer le début de journée, les clients attendent et gueulent.

Je voudrais bien les y voir moi tiens, à gérer des cas comme ça. Enfin bon, au moins c'est passé, la journée continue même si je dois bien avouer en avoir marre plus vite que prévu. Certaines têtes de con qui passent, je les connais. Je les ignore et le patron s'en occupe, j'esquive les regards et je m'occupe juste des clients les moins lourds, ou ceux que je connais et que je peux supporter, ou tolérer au moins.

Lui je connais pas son nom, mais je l'appelle Jacques à chaque fois qu'il vient il me reluque un coup, puis on discute, il me demande conseil, je lui dis que je ne sais pas, il prend un truc qu'il connait puis bye-bye. Mais bon, au moins il reste agréable, autant que faire se peut. Si ils étaient tous comme ça alors ce serait presque sympa de bosser ici. Sauf qu'il y a des tanches qui préfèrent hésiter, ou se prendre pour je ne sais pas quoi. Le client est roi, mon cul ouais.

Puis vint le temps de manger. La pause du midi, je ne sais jamais vraiment trop quoi y faire, elle est courte et j'ai toujours la flemme de revenir à mon appartement. Donc, du coup ce midi, passage au bar le plus proche. Je prends un bon sandwich local, une bière et je quitte le bar. Le temps est vite écoulé, ce midi c’est moi qui ouvre alors je me dépêche. J'aime pas ouvrir le midi, tout le monde s’éclate à me regarder galérer à trouver la bonne clef. Certains viennent murmurer que c'est parce-que je suis bourré, c'est faux il est encore trop tôt pour ça. Mais bon, ne serait-ce que pour leur faire plaisir, je sors ma flasque et la porte à mes lèvres, une gorgée plus tard je rentre dans le magasin.

Je place le panneau ouvert sur la porte, puis rejoint le comptoir. C'est ouvert, mais il faut encore un peu de temps pour que les clients n'arrivent, donc j'ai un peu de temps. Alors je fouille dans mon sac, de là je sors mon carnet de croquis. Ca fait quelques jours maintenant que je bosse sur un truc spécial, un beau projet je trouve. J'ai eu l'inspiration il y a une petite semaine, par hasard, avec un reflet de soleil je vois la ville en reflet dans l'immeuble d'en face.

Alors j'en profite, je dessine, j'imagine, je représente ce que je peux, ou veux voir dans ce reflet. L'idée me plait beaucoup, mais c'est avec quelques difficultés que je me décide vraiment sur ce qui sera dans ce reflet. Il y a déjà six ou sept croquis que j'ai barré, plus ou moins tôt. Je reprends doucement mon tracé, lorsqu'un truc me plaît, je grogne, je le gomme, puis je recommence. Plongée dans mon dessin j'évite de regarder les petits curieux à l'extérieur qui m'observent.

Plongée dans mon dessin je ne fais pas gaffe au client qui rentre, c'est le coup de cloche qui me fait sortir de mes pensées, en soupirant. Je pose le carnet sur le comptoir et lève le regard. Je fais un signe de tête à l'homme qui vient de rentrer. Lui non plus il n'est pas dans la catégorie des plus chiants, sans pour autant être des meilleurs. Je m'accoude au comptoir, l'air blasée. Puis je prends la parole.

« Salut. Tu viens voir quoi ? »

De toute manière, il s'y connaît mieux que moi en cinéma, donc il se conseillera mieux que moi non ? Donc au pire, j'acquiesce juste pour son choix et on règle la question comme ça. C'est plus rapide, plus fiable et surtout ça m'évite de bouger pour faire la mariole à vendre quelques films auxquels je connais pas grand chose.

Spielberg ou Spieblerg

Say, yeah. Let's be alone together. We could stay young forever, scream it from the top of your lungs

C’est un de ces jours de congés comme tant d’autres. La maison Darkhölme est vide. Pas un bruit, si ce n’est que celui de la machine à café qui adresse des vrombissements mécontents quand Kurt appuie sur le bouton. Le liquide chaud et noir remplit sa tasse en quelques secondes et il finit par s’échouer devant son ordinateur. Il perd ainsi une heure devant les réseaux sociaux, à regarder les vidéos marrantes que ses contacts partagent, puis parcourt les actualités, en particulier le compte Twitter du Whisperer dans l’espoir d’avoir quelque chose de nouveau sur les Onze. Raven est douée pour échapper à ses anciens collègues mais Kurt ne peut s’empêcher de s’inquiéter pour elle. Il décide de tout arrêter et de sortir prendre l’air.

Et quelle meilleure façon d’apprécier un jour de congé que d’aller au cinéma ? Il se traine dans les salles obscures, savoure l’ambiance et l’odeur du pop-corn qui flotte dans l’air. Il en prend plein les yeux, est saisi aux tripes par ce film qu’il regarde avec un œil critique et sort de la salle avec cette sensation de léthargie qui le prend à chaque fois. Il aurait bien aimé emmener Poppy avec lui mais la jeune femme est occupée aujourd’hui. Et ses amis aussi. Il a réussi à choper un jour de congé le seul jour où tout le monde a quelque chose à faire. Du coup, il s’ennuie ferme. Il passe ainsi un moment à zoner au centre-ville, profitant du temps qu’il a devant lui pour trainer dans les magasins qu’il avait l’habitude de fréquenter avant de passer à l’anti-terrorisme. Cette nouvelle affectation lui prend pas mal de son temps.

Au final, il finit par aller au vidéo store. Parce qu’il aime cet endroit et qu’il est toujours en train de fouiner devant les étagères à la recherche de la perle rare. Il a cette espèce de passion pour les vieux films en noir et blanc, ce qui peut paraitre étrange pour quelqu’un de son âge. Il ne les télécharge pas, parce qu’il préfère avoir une copie physique entre les mains. Puis le téléchargement, c’est illégal. Non, la vérité, c’est qu’il voue un amour inconditionnel à ce cinéma d’une autre époque. Celui où les effets spéciaux étaient bricolés avec les moyens du bord. Où le jeu des acteurs ressemble à celui d’une représentation de théâtre avec une dramatisation incroyable. Il s’est mis en tête de regarder toute la filmographie de Errol Flynn mais ça s’avère compliqué. Pour l’instant, il a quelques versions DVD de ses plus grands succès à la maison. Il a même gardé le vieux magnétoscope de Raven dans sa chambre quand il tombe sur des versions VHS. Au vidéo store, il y a quelques uns de ces films mais pas grand-chose. Il les a déjà vu pour la plupart. A la place, il en profite pour faire des découvertes. Même si ce ne sont pas des vieux films en noir et blanc, parce que le cinéma, ce n’est pas que ça. La preuve, il revient du cinéma après avoir maté un bon vieux blockbuster qui lui en a mis plein les mirettes.

Il s’arrête devant le comptoir et offre un sourire avenant à Lynda, qu’il connait un peu. Elle est pas très commode comme fille mais Kurt fait partie de ces gens qui restent avenants quand ils se trouvent dans un endroit qu’il aime. Et un vidéo store, ça fait partie de ses endroits préférés sur Terre. Du coup, ça aide un peu. « Salut ! » Il glisse les mains dans ses poches en prenant un air songeur. C’est vrai, ça, il vient voir quoi ? Il n’a pas réfléchi. « Euh, en fait, je sais pas trop. J’aimerais bien un truc qui sorte de l’ordinaire. Style midnight movie, tu vois ? Ou des films étrangers, peut-être ? » Il a un peu l’impression d’être le hipster de service avec ses questions à la con. Au pire, il peut se contenter de lui demander ce qu’elle pourrait éventuellement lui conseiller parmi les nouveautés ? « Sinon, vous avez reçu de nouveaux trucs ? » Kurt Darkhölme, le hipster du cinéma. On est bien, là.

Au fond, c'est une belle chance que le patron souhaite simplement avoir quelqu'un de fiable pour tenir la boutique, parce que moi, le cinéma, je connais à peine. Heureusement, certains clients se suffisent à eux-même, ils savent quoi chercher, ou, ils viennent juste me voir pour payer. Moi j'encaisse et puis ciao, à la revoyure. Bon malheureusement pour moi, ils ne sont pas tous comme ça. Et là, ça ne se passe pas comme j'aurai voulu. Tant pis pour mon dessin.

Le client, Kurt, vient chercher conseil et indications. Pour trouver son film, un truc style Midnight Movie, ou film étrange. Je reste stoïque, mais au fond je ne sais pas trop de quoi il parle, ni précisément ce qu'il veut. Un midnight movie ? L'expression me dit quelque chose, je baisse nonchalamment les yeux, à la recherche d'une espèce d'anti-sèche avec des titres qui marchent souvent. Avec un peu de chance ça passera.

Quoi que, connaissant le bousin en face de moi, il pigerait vite que ce n'était pas tout à fait le genre de film qu'il cherchait. Je soupire un instant, m'accoude sur le comptoir et plonge mon regard dans l'ordinateur regroupant les œuvres en stock. Avec un peu de chance je vais pouvoir trouver un truc correspondant un peu non ? D'une main je rentre midnight movie dans le moteur de recherche, croisant les doigts... Et bingo !

Il y a un film avec ce nom tiens, ça sera parfait. Même si j'ai aucune idée de ce que c'est. Tandis que je m'apprête à lui répondre, il est plus rapide que moi. Si on a reçu de nouveaux trucs ? Je tourne légèrement la tête vers la réserve. Je suis sensée les mettre en rayon, mais je ne sais même pas trop ce qu'il a dans le carton de la dernière fois. Ce n'est peut-être pas l'idée du siècle... Enfin, on verra bien plus tard. Déjà je redresse le regard vers lui, puis pointe vaguement du doigt un étagère un peu plus loin.

« Un p'tit film, Midnight Movie, là-bas, si ça t'intéresse. Sympa. Je crois. »

Non, je ne l'ai jamais vu. J'ai aucune idée de ce que c'est. Mais bon, le nom est assez évocateur non ? Au pire, il y a toujours la technique de lire le dos de la boîte et d'expliquer en même temps... Je déteste cette technique, je ne suis pas douée pour improviser en plus du texte. Donc souvent, je conseille de lire le texte, car il résume très bien le film. Bon, ça c'est pour sa première demande, question nouveauté...

« Pour les nouveaux machins, le dernier chargement est derrière, j'ai pas vraiment encore eu le temps de le ranger je suis pas mal occupée en ce moment. »

Je pousse le carnet de dessin pour éviter qu'il ne soit visible. Mais c'est vrai au fond, j'ai pas mal de dessin à faire et pas trop le temps pour ranger ça.

« Tu veux jeter un coup d'oeil ? »

Et puis pourquoi pas, en un sens ça pourrait permettre d'avoir un coup de main pour les déballer au moins... Et puis si ça se trouve il en connaît un ou deux, ça m'évite d'aller regarder sur internet pour savoir ou ranger les films...